Brandt : mort par balle législative signée Macron
Brandt n’a pas sombré : une bande au pouvoir l’a liquidé. Une SCOP viable existait, les salariés étaient prêts, l’État pouvait agir. Il n’a rien fait. Le TAE a exécuté, Macron et sa bande ont fourni l’arme. Brandt est le premier cadavre d’une réforme meurtrière.
Pedro Guanaes
Brandt : un fleuron industriel sacrifié alors qu’il pouvait être sauvé
Brandt n’était pas une entreprise condamnée. Placé en redressement judiciaire à l’automne, le groupe restait dans une phase où tout était encore possible : des offres existaient, une dynamique collective s’était enclenchée autour d’un projet de reprise en SCOP, les salariés étaient prêts à s’engager, les collectivités avaient commencé à mobiliser des fonds, et même l’État s’était montré publiquement favorable. Dans n’importe quel système judiciaire normal, c’est-à-dire avant la création du TAE, cette configuration aurait automatiquement entraîné la prolongation de la période d’observation. C’est précisément à cela que sert un redressement : donner du temps, organiser les financements, sécuriser les garanties et laisser une chance au repreneur. Un tribunal consulaire aurait accordé quelques jours, ou quelques semaines, pour finaliser un dossier qui n’avait rien d’absurde ni d’amateur. Il aurait considéré l’entreprise non pas comme un amas de lignes comptables à clôturer, mais comme une activité vivante, avec une histoire, des savoir-faire, des machines, des marchés et des emplois.
BRANDT - MARQUE PRÉFÉRÉE DES FRANÇAIS
LE PORTE-PAROLE DES CONSOMMATEURS FRANÇAIS
MARQUE PRÉFÉRÉE DES FRANÇAIS
Le TAE, lui, a choisi la voie inverse. En déclarant que les offres n’étaient “pas suffisamment finalisées”, il a appliqué une logique purement formaliste, déconnectée de l’économie réelle. Il a refusé de voir ce qui aurait sauté aux yeux de n’importe quel juge consulaire : qu’un dossier en voie de finalisation n’est pas un dossier mort, mais un dossier qui nécessite un délai supplémentaire. Et ce délai, la loi l’autorise largement. Un redressement judiciaire peut durer jusqu’à dix-huit mois. Brandt n’était à peine au début. Rien — ni le droit, ni la pratique, ni la situation économique — n’imposait de liquider aussi brutalement.
En réalité, la liquidation n’a pas sanctionné l’absence de solution : elle a sanctionné l’absence de temps. Le tribunal n’a pas voulu en donner, l’État n’a pas su en créer, et le dispositif qu’on nous vendait comme une modernisation n’a offert aucune souplesse. Brandt n’a pas disparu parce qu’il n’y avait pas d’alternative ; Brandt a disparu parce que la réforme du TAE, structurée pour juger vite plutôt que pour sauver intelligemment, a fermé la porte avant même que le repreneur n’ait pu entrer.
Le Tribunal des activités économiques : une réforme technocratique devenue machine à liquider
Le Tribunal des activités économiques, que le gouvernement présente comme une modernisation de la justice commerciale, s’avère en réalité mal adapté au tissu industriel français. Cette réforme, décidée sans consulter les entreprises et sans véritable débat public, a remplacé une justice consulaire fondée sur l’expérience des entrepreneurs par une structure dirigée uniquement par des magistrats professionnels. On nous avait promis plus d’efficacité, d’homogénéité et de clarté. Mais ce que l’on constate, c’est une justice plus rigide, plus distante, qui ne tient pas compte des enjeux humains, productifs et locaux derrière chaque dossier.
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Affiches Parisiennes •Maxime MONNIOTTE
Depuis des siècles, les tribunaux de commerce suivent une règle simple : essayer de sauver l’entreprise avant de penser à la liquider. Les juges consulaires, qui connaissent la réalité des entreprises, savent qu’un plan de continuation ou une faillite peut se jouer en quelques jours, voire en quelques heures. Cette approche pragmatique, essentielle pour la survie des PME, des industries fragiles et des régions dépendantes de l’emploi industriel, a été écartée d’un coup. Le TAE, lui, ne laisse plus cette marge de manœuvre. Il juge uniquement sur dossier, sans considérer l’évolution possible des offres, et prend des décisions strictes dans des situations qui demanderaient pourtant plus de nuance, de temps et une vraie compréhension des cycles économiques.
Dans le cas de Brandt, cette réforme a révélé sa vraie nature : une justice qui cherche avant tout à “sécuriser” la procédure, même si cela signifie accélérer la disparition d’une entreprise qui aurait pu être sauvée. Les magistrats du TAE n’ont pas pris en compte le fait qu’une offre soutenue par les salariés, les collectivités et l’État pouvait être finalisée très rapidement. Ils n’ont pas jugé utile d’accorder quelques jours de plus, alors que la loi l’autorisait et que l’enjeu, la survie du dernier fabricant français de gros électroménager, méritait bien plus qu’un simple jugement administratif. Le résultat n’est pas neutre : c’est un choix politique déguisé en décision de justice. Ce choix, c’est celui de la liquidation immédiate, de l’abandon industriel et d’une rupture totale entre la justice et la stratégie nationale.
Le TAE n’a pas modernisé la justice économique, il l’a affaiblie. Il a supprimé ce qui faisait la force du modèle consulaire : l’expérience, la compréhension et la prudence, pour les remplacer par un formalisme automatique. Brandt en est la première grande victime, et il y en aura sûrement d’autres.
Un État qui accuse les banques mais refuse d’utiliser ses propres leviers
Dans l’affaire Brandt, le gouvernement a expliqué que la liquidation était inévitable, car les banques n’avaient pas fourni les garanties requises. Pourtant, cet argument ne tient pas face à une analyse sérieuse. L’État français possède ses propres banques, ses outils financiers et des structures publiques faites pour intervenir dans des situations industrielles difficiles. S’il avait voulu sauver Brandt, il en avait les moyens. Il a simplement choisi de ne pas le faire.
On oublie souvent que Bpifrance, la banque publique, peut garantir des prêts, prendre des participations, avancer des fonds relais ou sécuriser des montages en cours. On oublie aussi que la Caisse des dépôts et consignations, pilier financier de l’État depuis deux siècles, est là pour soutenir les secteurs stratégiques et les projets industriels majeurs. Enfin, l’État peut, s’il le veut vraiment, organiser une coordination bancaire, réunir des investisseurs, encourager la prudence ou l’audace, et prendre ses responsabilités politiques au lieu de les laisser à un tribunal. Dire que la liquidation était due aux banques privées cache donc une réalité plus simple : le gouvernement a choisi de ne pas intervenir.
Ce manque d’action a eu des conséquences immédiates au moment crucial. Si l’État avait garanti, même temporairement, les engagements nécessaires, le tribunal aurait pu accorder un délai supplémentaire. Quelques jours, une semaine, parfois quinze. Ces délais ont déjà sauvé d’autres entreprises dans des situations plus difficiles que celle de Brandt. Mais l’État n’a pas permis ce temps. Sans ce minimum, le TAE a jugé le dossier vide alors qu’il aurait pu le voir comme en voie de consolidation.
Le gouvernement a donc laissé faire, tout en faisant croire qu’il était impuissant. Il s’est caché derrière la procédure, les banques et une soi-disant impossibilité technique, alors que toutes les institutions sous son contrôle auraient pu maintenir Brandt en vie le temps de finaliser une offre crédible. La liquidation n’est pas le fruit du hasard, mais d’un manque d’engagement. Ce n’est pas un accident, c’est une décision politique cachée derrière des mots de gestion.
Dans cette affaire, l’État n’a pas été dépassé. Il a choisi d’être absent. Et cette absence, alors qu’une grande entreprise luttait pour survivre, ressemble à un abandon impardonnable.
Brandt et la SCOP : un modèle alternatif volontairement brisé
Ce qui rend la liquidation de Brandt encore plus grave, c’est qu’elle ne détruit pas seulement une entreprise, mais aussi une possibilité. Celle d’une reprise en SCOP, portée par les salariés, soutenue par les collectivités et, au moins officiellement, par l’État. Une SCOP n’est pas un modèle marginal. C’est une forme de gestion démocratique qui a déjà prouvé sa capacité à sauver des entreprises abandonnées par les actionnaires et ignorées par les banques. Récemment, le cas Duralex a été emblématique. Dans de nombreux secteurs, les SCOP sont même plus durables que les sociétés classiques. Elles proposent une autre façon de voir le travail, le capital et l’industrie. Brandt aurait pu devenir cela : la preuve vivante qu’une alternative existe et qu’elle fonctionne.
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France Inter
Le projet des salariés n’était ni symbolique ni romantique. Il était concret, structuré, accompagné par des professionnels et financièrement soutenu par des acteurs publics. Ce projet assurait la continuité de l’emploi local, la défense d’un savoir-faire et la garantie que la production française d’électroménager ne serait pas totalement laissée aux importations. Une SCOP Brandt, appuyée par l’État, aurait envoyé un message fort : la France peut encore choisir de préserver ses industries et le faire en inventant des modes de gestion qui ne suivent pas seulement la logique du profit immédiat.
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Alternatives Economiques •Propos recueillis par Naïri Nahapétian
C’est pourtant ce modèle-là que le TAE a balayé sans même lui laisser le temps d’exister. En refusant de prolonger le redressement de quelques jours, il n’a pas seulement liquidé une entreprise ; il a liquidé une alternative politique. La SCOP représentait une réponse structurée au discours permanent sur la désindustrialisation, une démonstration que d’autres capitalismes sont possibles, que les salariés peuvent être repreneurs, que l’industrie peut être gouvernée autrement. Cela n’a manifestement pas pesé dans la décision. Ou plutôt : cela a peut-être pesé dans l’autre sens.
Car il y a dans cette affaire un sous-texte que personne ne veut nommer mais que tout le monde perçoit. Une SCOP qui réussit, et qui plus est dans un secteur industriel stratégique, remet en cause les dogmes dominants : ceux qui prétendent que seuls les actionnaires peuvent tenir les rênes, que seules les logiques financières guident la rationalité économique, que la participation des salariés ne serait qu’un supplément d’âme. Une SCOP Brandt victorieuse aurait été un caillou dans la chaussure idéologique d’un système qui ne tolère l’innovation que lorsqu’elle n’affecte pas la structure du pouvoir. En liquidant Brandt, le TAE ne s’est pas contenté d’appliquer le droit ; il a empêché la démonstration d’un autre modèle possible.
La liquidation de Brandt n’est donc pas seulement la fin d’une entreprise. C’est aussi la disparition d’une alternative sociale, d’une expérience qui aurait pu montrer que la France peut produire, gérer et décider autrement. C’est peut-être cela, plus que tout, qui dérangeait.
Et les politiques dans tout ça ? L’indignation tardive d’un système qui a laissé faire
Après la liquidation de Brandt, de nombreux responsables politiques ont exprimé leur indignation. Pourtant, ce sont les mêmes élus qui, il n’y a pas si longtemps, approuvaient sans objection la réforme du TAE. Aujourd’hui, ils parlent sur Twitter de “catastrophe industrielle”, de “faillite de l’État” ou de “tragédie sociale”. Ils s’indignent, protestent et s’émeuvent. Mais où étaient-ils lors de la présentation, du débat et du vote de cette réforme ? Qui a vraiment alerté sur les risques d’une justice technocratique déconnectée du terrain ? Qui a essayé d’arrêter un dispositif dont la brutalité était annoncée dès le départ ? La réponse est claire : personne.
Il est toujours plus simple de s’indigner après coup, une fois que les machines sont arrêtées, que les salariés ont perdu leur emploi et que les entrepôts sont vides. Pourtant, la liquidation de Brandt n’est pas un accident imprévu. Elle résulte directement d’un système institutionnel que les responsables politiques ont laissé s’installer sans s’y opposer. Certains découvrent aujourd’hui les effets négatifs d’un système qu’ils ont eux-mêmes permis, par passivité, par manque de sérieux ou par confort politique. Ils déplorent les conséquences, mais ils ont accepté la cause. Ils dénoncent la violence du résultat, mais ont ignoré la violence du processus.
Le vrai problème n’est pas l’émotion ressentie après coup. C’est qu’aucun responsable politique n’a voulu agir en amont, alors que la seule façon d’éviter la catastrophe aurait été de s’opposer à la réforme du TAE, de demander des modifications, de remettre en question sa logique, ou de défendre le système consulaire qui protégeait des milliers d’emplois. En refusant ce débat, en laissant la justice commerciale devenir technocratique, et en acceptant le remplacement de l’expérience entrepreneuriale par un formalisme judiciaire, les politiques ont créé les conditions qui ont rendu la liquidation possible.
Ils ne peuvent pas aujourd’hui s’étonner d’un problème qu’ils ont eux-mêmes laissé grandir. Le drame de Brandt n’est pas un simple accident : il montre un système qui écrase tout ce qui ne rentre pas dans ses règles, un système qui n’apprend rien, ne prévoit rien et ne protège plus personne. Tant que ce système ne change pas, d’autres entreprises connaîtront le même sort. Et l’indignation tardive des responsables politiques ne changera rien.
Les responsables ont des noms : Macron, Borne, Dupond-Moretti… et tous ceux qui ont laissé faire
On peut examiner la liquidation de Brandt sous tous les angles, parler de fatalité économique, de la fermeté du tribunal ou du manque de financement. Pourtant, ces explications ne tiennent pas si l’on regarde la réalité en face : Brandt n’a pas été victime d’un accident industriel, mais de choix politiques. Et ces choix ont été faits par des personnes précises.
Emmanuel Macron a soutenu une réforme qui a affaibli la justice commerciale. Élisabeth Borne a porté la loi qui a créé le TAE. Éric Dupond-Moretti en a été le principal artisan et défenseur. Les députés, tous partis confondus, ont laissé passer ce texte, parfois en votant pour, souvent en s’abstenant, mais sans jamais défendre l’outil judiciaire qui avait permis de sauver des milliers d’entreprises françaises. Personne n’a mesuré les conséquences. Personne n’a voulu s’opposer au gouvernement sur ce sujet. Personne n’a assumé sa responsabilité politique. Aujourd’hui, tous font semblant de découvrir l’ampleur des dégâts.
La réalité est simple : ce n’est pas un tribunal qui a liquidé Brandt, mais un système politique qui a abandonné la défense de l’industrie française. Ce système a préféré la logique technocratique au bon sens économique et s’indigne après coup pour cacher son échec. Macron, Borne, Dupond-Moretti, les députés de la majorité et ceux de l’opposition silencieuse ou complaisante partagent tous la responsabilité de ce désastre. Ils ont vu la réforme arriver, compris ses conséquences, et choisi de ne rien faire.
Brandt n’est pas juste une entreprise qui a disparu. C’est le symbole d’un pouvoir politique qui dit vouloir réindustrialiser le pays, tout en détruisant les moyens d’y arriver. C’est aussi le symbole d’une élite qui ne protège plus, ne prévoit plus et ne défend plus rien. Tant que ce système ne change pas et que les mêmes réformes sont appliquées avec la même indifférence, d’autres entreprises connaîtront le même sort. Ceux qui ont laissé Brandt disparaître n’ont pas seulement échoué ; ils ont consciemment condamné une partie de l’avenir industriel de la France.