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Offensive transphobe au Sénat : Rapports spécieux pour une loi abjecte
Annoncée en mai 2023, la première attaque législative contre les droits des personnes trans en France est lancée. Aux manettes, une organisation anti-trans proche de la Manif pour Tous, cachée derrière les sénateurs du groupe LR.
La sénatrice LR Jacqueline Eustache-Brinio, connue pour son islamophobie décomplexée et opposée à la constitutionnalisation de l’IVG, a sorti en mars son rapport sur la « transidentification des mineurs ». Elle a également déposé une proposition de loi pour interdire l’accès aux soins aux personnes trans de moins de 18 ans. Le rapport, fort de 370 pages (à grand coup de copier-coller) n’a pas été conçu pour être lu – le document de « synthèse et conclusion » de huit pages est là pour ça. Son vrai rôle est de servir de totem de légitimité pour disséminer de la désinformation dans les médias, en espérant déclencher une panique morale. Pour l’instant, celle-ci ne semble pas avoir pris. Cependant, petit à petit, ces discours plantent des graines chez les personnes non informées.
Il va donc falloir travailler à désherber tout ça. Ce rapport, que nous apprend- il ? Plein de choses que l’on savait déjà ! Tout d’abord, qu’il n’a pas été rédigé par la sénatrice. C’est l’Observatoire de la Petite Sirène (OPS), une organisation opposée aux droits des personnes trans, qui a tout fait : du choix des personnes à auditionner, aux auditions elles-mêmes, jusqu’à la rédaction du rapport. Si cela est évident à sa lecture, l’OPS nous a même fait le plaisir de l’avouer [1]. Ensuite, qu’ils – l’OPS donc – cachent bien mal leur jeu. Mme Eustache-Brinio prétend sur BFM qu’elle ne vise pas les adultes trans, mais le rapport argumente pour l’interdiction des transitions jusqu’à 25 ans, revendication assumée de l’OPS (et qui même là n’est qu’une étape).
De même, l’introduction prétend faire la différence entre les « vrais trans » et les jeunes « victimes de contagion sociale » (théorie maintes fois discréditée), qualifiés par le terme dégradant de « transidentifiés ». Ce terme est ensuite employé pour toutes les personnes trans mentionnées dans le rapport, sous-entendant que les « vrais trans » n’existent pas.
Un travail pré-mâché à l’international
Surtout, ce rapport achève de prouver les liens entre l’OPS et le reste du réseau transphobe inter- national, dont beaucoup de membres connus ont été auditionnés. Figurent par exemple dans cette liste au moins quatre membres de la « Society for Evidence based Gender Medicine » (SEGM), le groupe anti-trans le plus central de ce réseau, fondé par les mêmes évangélistes intégristes qui se battent contre l’IVG aux États-Unis.
On y trouve aussi Genspect (Royaume-Uni) et « l’Association pour une Approche Mesurée des Questionnements de Genre chez les Jeunes » (AMQG, Suisse). Ces organisations et leurs alliées ont développé des stratégies pour faire avancer leurs idées réactionnaires : production de documentaires, conception d’études « scientifiques » biaisées, embrigadement de parents qui rejettent leur enfant trans, infiltration dans les structures de santé, collabo- ration avec des « féministes », escalade progressive des revendications… Leur dernier fait d’arme : la Cass Review, une revue de littérature biaisée sortie le 9 avril sur commande de la National Health Service (NHS), qui rejette 98 % des études sérieuses pour conclure au rejet des soins aux personnes trans de moins de 25 ans.
Le rapport de LR ne fait donc que reprendre le travail et les techniques des transphobes à l’international. On y retrouve les mêmes pseudo-études. Par exemple, celles de Kenneth Zucker, psychologue canadien, qui prétend que 80 % des jeunes trans finissent par détransitionner.
En réalité, la grande majorité de sa cohorte n’a jamais été trans, mais a été amenée à sa clinique pour des « troubles » tels qu’être trop féminins ou masculines ou préférer les « mauvais » jouets. Pire, une enquête en 2015 a démontré qu’il faisait subir des thérapies de conversion et se livrait à des abus sexuels sur mineurs ; il a été licencié et sa clinique a été fermée. Aujourd’hui, il parade dans les milieux transphobes et a été auditionné comme si de rien n’était pour le rapport de LR.
Un autre exemple : le chiffre de 84 % de médecins français qui s’opposeraient aux traitements hormonaux pour les mineurs vient d’un sondage sur un blog où tout le monde peut s’autodéclarer professionnel de santé pour répondre. Plus c’est gros, plus ça passe ! À ce titre notons les seize pages d’argumentaire de l’association d’extrême-droite SOS Éducation, qui présente la Dilcrah, le Défenseur des Droits et Santé Publique France comme des « associations militantes transidentitaires ».
Si le rapport donne la parole à cinq membres d’associations trans, c’est pour ne pas en tenir compte voire relayer leurs propos à leur sauce. Surtout, ils et elles sont enseveli·es sous les 30 à 40 auditions de personnes directement opposées à la transidentité, dont la majorité étaient déjà publiquement connues pour cet engagement. Sept font même partie de l’OPS et douze sont invitées à leur prochain colloque.
Une bataille législative incertaine
Le rapport de LR énonce quinze « préconisations », dont l’abrogration de la circulaire Blanquer, la binarité de genre sur les formulaires, ou la « protection » des toilettes. La proposition de loi, qui sera étudiée au Sénat à partir du 22 mai, n’en reprend pour le moment que les plus importantes et dangereuses : l’interdiction des bloqueurs de puberté, hormones et chirurgies pour les mineurs trans (voir le tract UCL [2]).
Elle justifie cela en renvoyant la transidentité à une maladie mentale : elle prévoit un « plan pour la pédopsychiatrie » qui, s’il était confié aux auteur·ices du rapport, se traduirait par une campagne nationale de thérapies de conversion. La bataille législative à venir sera longue et la balle sera malheureusement dans le camp de Renaissance.
Aurore Bergé – connue pour ses accointances transphobes – a certes déclaré qu’elle s’y opposerait, mais son cabinet a fait savoir qu’il approuvait au moins l’interdiction des chirurgies. Le risque d’en voir émerger une version « allégée » est entier. Outre les conséquences directes qu’aurait cette loi, les débats risquent de faire rentrer pleinement la France dans la même logique de violences et d’escalade qu’au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Notre rôle, en tant que militantes et militants, est de dénoncer la farce que sont ce rapport et cette loi. Nous devons mobiliser pour faire pression contre son adoption, pour permettre l’extension de l’accès aux soins et pour contrer la désinformation auprès du grand public.
[1] Élodie Hervé, « La transe antitrans de la sénatrice LR »,Les Jours, 28 mars 2024
[2] « Pour l’accès au soin des mineurs trans », 3 avril 2024, à lire sur Unioncommunistelibertaire.org