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« N’importe quel idéal révolutionnaire peut être jugé terroriste »
Les familles et les comités de soutien ont été parties prenantes du procès, en soutien des inculpé·es. Quelques semaines après le verdict nous avons pu échanger avec Yo, frère d’une des prévenu·es, le lendemain de leur passage devant le juge d’application des peines.
Comment le procès a-t-il été vécu par les inculpé·es et leurs proches ?
Yo : Le procès a été choquant pour tout le monde. À plusieurs moments, on se demandait « qu’est-ce qu’on fout là ? » devant le contraste entre la sévérité du tribunal et la faiblesse du dossier, avec plusieurs moments lunaires. Les avocats et journalistes présents sur place nous ont fait part du même sentiment.
Quelle a été votre réaction lors du délibéré ?
Le délibéré a été un choc général devant la lourdeur des peines. Certaines peines prononcées sont plus lourdes que celles requises, on a du mal à y voir autre chose qu’une affirmation politique, d’autant que la juge a refusé de détailler les motivations du jugement, et a rejeté en bloc toutes les demandes de la défense. De nombreux points du dossier ont été remis en cause ou interrogés par les avocats lors des audiences, qui ont demandé l’accès à certains documents comme les vidéos des gardes à vue. Le rejet de toutes ces demandes montre une volonté claire de couvrir les pratiques de la DGSI.
Des lois et jurisprudences sécuritaires adoptées à l’origine dans le contexte des attentats de 2015, ont été appliquées ici tel quel, malgré l’absence d’attentat ou même de projet. La logique du jugement sous-entend en fait que n’importe quel idéal politique révolutionnaire peut-être jugé terroriste. Lors du délibéré la juge a déclaré en parlant de Libre Flot qu’elle considérait que « ses intentions terroristes sont matérialisées à plus ou moins long terme ». Les autres inculpé·es sont jugé·es coupables d’avoir participé aux intentions de Libre Flot, même sans en avoir conscience.
Cette logique se base sur une jurisprudence qui date des attentats commis par Mohamed Merah : une personne lui ayant vendu des armes sans connaître ses intentions avait été reconnue coupable d’association de malfaiteur à caractère terroriste. Le tribunal considérait alors que la connaissance du projet terroriste de Merah n’était pas nécessaire pour caractériser l’infraction. Dans le cas des inculpé·es du 8 décembre, au final le simple fait d’avoir fréquenté Libre Flot devient donc suffisant pour justifier les condamnations, alors qu’en l’occurrence il n’a même pas été possible de démontrer l’existence d’un projet concret.
L’accès à l’enquête semble avoir été cadenassé par le tribunal. Comment la défense s’est-elle passée dans ces conditions ?
Les avocats avaient demandé l’accès à certains scellés comme des disques durs saisis chez les inculpé·es. Les avocats voulaient contextualiser certains points : l’accusation est par exemple beaucoup revenu sur le pdf d’une brochure des cellules de feu retrouvée sur un disque dur, mais il aurait été important de pouvoir montrer que ce n’était qu’un document au milieu de centaines de gigaoctets d’autres brochures et documents, et de connaître l’historique de consultation du fichier. Les téléphones saisis n’ont pas non plus pu être consultés, alors que leur contenu aurait pu permettre d’amener des éclairages sur la réalité des relations entre les inculpé·es. La juge finira par déclarer qu’elle considère que « la qualité du débat ne rend pas nécessaire d’accéder aux scélés ».
Les avocats ont aussi demandé l’accès à l’ensemble des enregistrements des sonorisations, dont moins de 1 % a été utilisé et versé au dossier par la DGSI. La demande a, là aussi, été refusée avec comme prétexte la « préservation de la vie privée »...
À chaque demande des avocats, le tribunal répondait reporter sa réponse au délibéré, empêchant concrètement à ces éléments d’avoir une influence sur le procès. Au final toutes les demandes seront rejetées en bloc. On y voit vraiment une intention de faire obstacle à la défense. La présidente n’a d’ailleurs toujours pas transmis à ce jour la copie du jugement aux avocats, empêchant de préparer l’appel dans de bonnes conditions, on s’attend à ce qu’elle la communique le plus tard possible.
Quelles sont les nouvelles après le passage devant le juge d’application des peines (JAP) ? Quelle est la situation actuelle des inculpé·es ?
La JAP a décidé que l’appel était suspensif, à l’encontre de la demande du tribunal, et ce pour tou·tes les inculpé·es. En conséquence, il n’y pour le moment pas de mise en détention ou de bracelet électronique.
Par contre, cela est accompagné d’un sursis probatoire qui induit plusieurs mesures de contrôle : obligation de travail, obligation de soin pour certaines addictions supposées, et rendez-vous réguliers avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation. Ils ont également l’interdiction de communiquer entre eux pendant trois ans.
Enfin, l’inscription au FIJAIT n’est pas levée, avec les obligations qu’elle entraîne. Cette inscription dure 10 ans, renouvelable une fois. Surtout, nous ne savons pas comment de nouvelles lois sécuritaires pourraient faire évoluer ce statut dans les années qui viennent sous l’argument de l’anti-terrorisme.
Quelles sont les perspectives maintenant ?
Les choses sont encore en train de se dessiner, mais 6 inculpé·es sur 7 font appel. Pour le moment les choses se font un peu au jour le jour, les avocats eux-même sont pris au dépourvu par certains points comme la non transmission de la copie du jugement. Pour les mis en examens, il va falloir mettre en pratique les différentes obligations induites par le jugement, et se reconstruire en terme de santé, de stabilité, de logement et de revenus.
Les différents comités de soutien doivent encore débriefer et évaluer les perspectives mais de nouvelles campagnes pour des soirées de discussion, d’information et de soutien devraient être organisées. C’est très important pour soutenir financièrement les familles, précarisées par ces procédures, entre les frais de justice, et les divers frais liés aux incarcérations et au procès. Après avoir beaucoup porté ça ces dernières années, les proches ont besoin de relais pour pouvoir dégager du temps et être présent·es pour les inculpé·es. Plus largement, on voudrait aussi que ces évènements puissent être l’occasion de partager nos expériences de la répression pour que les milieux militants s’emparent plus largement du sujet. On est ouvert à toutes les initiatives de soutiens, n’hésitez pas nous contacter.
Propos recueillis par N. Bartosek (UCL Alsace)
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