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Racisme d’État à Mayotte : Obsédés par le ventre des femmes
A Mayotte, alors que l’opération Wuambushu fait ses ravages sur les populations comoriennes, l’Agence régionale de santé cible le ventre des femmes en annonçant un programme de proposition massive de stérilisations.
Depuis fin avril, le département français de Mayotte est le théâtre de l’opération répressive dite Wuambushu, visant à expulser 10 000 personnes étrangères en situation irrégulière en deux mois, à créer deux centres provisoires de rétention et à détruire des quartiers entiers au prétexte qu’il s’agit « d’habitations informelles » [1].
Simultanément à cette opération militaro-policière, l’Agence régionale de santé (ARS) de Mayotte présentait un plan d’action « sur la maîtrise de la natalité à Mayotte ».
La natalité des comoriennes pointée du doigt
Le département mahorais connaît le taux de natalité le plus élevé de France : en 2022, il a vu naître 10 730 bébés pour un territoire de 310 000 habitant·es. Le taux de fécondité y est de 4,2 enfants par femme tandis qu’il est de 1,8 en métropole. Trois quarts des naissances y sont données par des femmes étrangères Comoriennes, la plupart arrivées clandestinement dans le département, ce qui n’a rien d’étonnant puisque la moitié des habitant·es de l’île de Mayotte seraient de nationalité étrangère, c’est-à-dire originaires de l’une des trois autres îles de l’archipel des Comores.
Mayotte est aussi le département le plus pauvre de France (77 % des habitant·es vivent sous le seuil de pauvreté national) et un département où règne une loi d’exception : en 2018, la loi « Asile et immigration » a instauré une modification du double droit du sol (qui attribue la nationalité française aux enfants nés en France dont l’un·e des parents au moins est également né·e en France) en y ajoutant un frein spécifique au territoire mahorais. Il faut désormais que l’un des deux parents puisse prouver qu’il ou elle réside en France de manière régulière et ininterrompue depuis plus de trois mois pour que l’enfant puisse prétendre naître français.
A ces restrictions discriminatoires du droit du sol, l’Agence régionale de santé de Mayotte vient de proposer d’ajouter, pour limiter la « croissance démographique », une mesure visant spécifiquement les femmes : fin mars, elle a annoncé que des stérilisations (ligature des trompes) seraient systématiquement proposées aux jeunes mères, mahoraises et comoriennes, venant accoucher au Centre hospitalier de Mayotte (CHM), prises en charge dans les services de Protection maternelle et infantile (PMI) ou par les sages-femmes du secteur libéral.
Les discours développés après 1945, mettant en avant la natalité des colonisé·es comme cause de la misère, et la « surpopulation des DOM » comme frein à leur modernisation et à leur développement, sont toujours aussi vivaces [2]. Cette rhétorique désigne les femmes comoriennes et mahoraises comme responsables de la situation sociale de l’archipel. Sur cette base, l’État colonial français s’octroie le droit de contrôler leurs corps et leur natalité ! Ainsi l’Agence régionale de santé de Mayotte vient d’annoncer pour limiter la « croissance démographiqie » que des stétilisations seraient systématiquement proposées aux jeunes mères mahoraises et comoriennes.
Destruction des services publics
L’ARS avance même que la croissance démographique engendrerait une « pression importante » sur les services de santé mahorais, alors que c’est le manque de moyens – généré par la destruction systématique des services publics de soins, et une gestion néocoloniale et raciste - qui est à l’origine de cette situation. Une seule maternité est fonctionnelle à Mayotte, et elle est en sous-effectif chronique de soignant·es [3].
Ce sont les Comoriens et Comoriennes, et parmi elles les Mahoraises et Mahorais, qui en font les frais : le taux de mortalité infantile est, à Mayotte, de 10,1 pour 1 000 enfants, contre 3,7 en métropole. Au-delà des chiffres de la natalité, c’est la mort que la présence française produit : la Cimade estimait en 2016 à plus de 12 000 le nombre de personnes décédées en tentant de traverser la mer entre Anjouan et Mayotte [4].
Si l’ARS du département promet d’améliorer « la sensibilisation et l’accès à la contraception masculine et féminine » et de massifier la distribution gratuite de préservatifs sur le territoire, on peut être sûr que la proposition phare et le levier central de cette politique demeurera la stérilisation, moins coûteuse, plus rentable, définitive...
Cette mesure s’inscrit dans l’histoire longue du contrôle racialisé de la natalité dans les (ex)-colonies françaises, étudiée par Myriam Paris en ce qui concerne la Réunion (voir encadré). S’il ne peut être assimilé purement et simplement aux avortements et stérilisations forcées pratiquées à l’époque à la Réunion, le projet de l’ARS de proposer systématiquement la stérilisation en constitue sans aucun doute une version actualisée néolibérale.
Dans celle-ci, on se paie le luxe de faire croire que le consentement des femmes serait recueilli : rassurons-nous, l’opération sera réalisée uniquement sur « celles qui le souhaitent ». On peut faire l’hypothèse que la réalité du dispositif sera toute autre : pression (« bienveillante » ou plus directement contraignante), mensonges ou approximations sur l’opération, ses conséquences et son irréversibilité, fausses promesses ou flou laissé sur la perspective d’obtenir une régularisation administrative... tout sera fait pour qu’elles cèdent.
Mais ne nous y trompons pas : on ne peut pas consentir quand on est aux prises avec le pouvoir colonial.
Camille (UCL Paris Nord-Est)
QUAND L’HISTOIRE COLONIALE SE REPETE
Le travail de Myriam Paris (docteure en sciences politiques), paru dans son livre Nous qui versons la vie goutte à goutte, met en lumière les pratiques qui ont cours à partir des années 1960 et pendant plus de vingt ans : alors qu’en France dite métropolitaine, les pouvoirs publics promeuvent une politique nataliste et, pour ce faire, maintiennent l’interdiction de l’avortement et la pénalisation de la publicité pour les produits contraceptifs, la réduction de la natalité est au contraire, encouragée à la Réunion.
Des dispositifs de contrôle de la fécondité des Réunionnaises pauvres et racisées sont mis en place tant par les pouvoirs publics que par des acteurs privés. Ces dispositifs prennent la forme de multiples violences qui leur sont infligées, notamment l’injection de produits ayant des effets indésirables graves et avérés, des stérilisations et des avortements forcés et cachés. Ces pratiques ont lieu au moins jusqu’aux années 1980.
Myriam Paris, Nous qui versons la vie goutte à goutte. Féminismes et économie reproductive : une sociohistoire du pouvoir, Dalloz, 2020
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