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Chat GPT : Intelligence artificielle, absurdité humaine
L’intelligence artificielle est revenue à la une ses derniers mois avec la curiosité publique que ChatGPT, DALL-E ou Midjournery ont suscitée. Entre émerveillement, peurs, appels à régulations et profits capitalistes, quelle est la réalité du progrès autour de l’IA ? Et quels sont les enjeux derrière ces débats ?
L’histoire de la production scientifique autour de l’intelligence artificielle (IA) plonge ses racines au milieu du XXe siècle. Jusqu’à très récemment, les succès dans le domaine de l’IA connus du grand public restaient limités à des tâches précises de « divertissement » : jeu d’échec fin des années 1990, le jeu de Go en 2016 ou le poker en 2017.
À l’automne 2022, ChatGPT de l’entreprise OpenAI est venu bousculer l’actualité en apportant au grand public des réponses textuelles semblant cohérentes et fournies à des questions (sous forme d’invites), contenant des paramètres telles que la forme de la réponse attendue ; un résumé ou une dissertation par exemple. Le résultat bluffant sur un domaine aussi complexe que le langage, pose des questions légitimes sur les finalités d’utilisation de cet outil, qui peut s’auto-améliorer, et les transformations que ses multiples utilisations impliquent dans le monde.
ChatGPT est une IA dite « générative », qui peut grâce à ses algorithmes produire du contenu, l’enrichir en le précisant et le complexifiant de manière « autonome ». Sa construction utilise l’apprentissage non supervisé qui se base sur des modèles statistiques où lors de la phase d’apprentissage de la machine, les données soumises ne sont pas étiquetées et le résultat n’est pas connu. Exemple simple de cette méthode : soumettre des photos d’animaux à une IA avec le but d’avoir une classification par espèce. L’algorithme va trouver des liens entre différentes photos et pourra les classifier correctement par groupe d’animaux semblables si le modèle est bien construit et les données suffisantes.
Les différentes versions améliorées de ChatGPT sorties ces derniers mois poussent par leurs performances à sonner l’alerte au sein de plusieurs organismes, professions et et auprès de scientifiques autour des dégâts potentiels et des questions qu’imposent un tel outil de manière très rapide : remplacement de l’humain y compris dans des métiers dit intellectuels ; quelle place future pour les systèmes éducatifs dans l’acquisition du savoir ? ; comment lutter contre la production du contenu faux et inventé de toute pièce ?, etc.
À l’aube d’un nouveau monde ?
Cependant, le schéma global dans les débats et les réponses apportées à ces questions restent très médiocre face aux enjeux réels que posent ces IA. D’un côté le schéma en question puise dans la caricature et l’imaginaire des peurs entretenues par la science-fiction. À regarder les unes des journaux, nul besoin de se convaincre que l’image d’un Terminator ou Matrix est nettement plus parlante à l’inconscient collectif que les nuances méthodologiques évoquant la réalité des choses, ou de la possibilité d’avoir une prise dessus. Projeter le débat aussi loin et de manière floue, assoit la dépossession d’un sujet qui impactera nos vies, pour le laisser aux mains de capitalistes, de politiciens et d’experts qui croient leurs hallucinations.
De l’autre, des réponses enthousiastes et messianiques qui s’émerveillent devant l’arrivée prochaine d’une super intelligence qui amènera une nouvelle ère [1]. Dans Le Mythe de la singularité [2], J.-G. Ganascia démontre que ce fantasme entretenu autour de la singularité, ce moment où une super intelligence dépassera de loin ce que l’intelligence humaine peut concevoir, relève de la fiction qui alimente une levée des fonds très lucratifs, bien réelle celle-là.
L’un des mots jumeau de l’IA ces derniers mois est celui de la régulation. On peut citer l’appel [3] « à faire pause » et à réguler l’IA, signé par des scientifiques et des hommes affaires, dont certains, comme Elon Musk ne s’embarrassent pas de tartufferies. Les États de leur côté, disent qu’il ne faut pas empêcher l’innovation et que c’est aux entreprises de gérer les questions éthiques. Résultat : des réglementations vides de sens.
La tyrannie de la commodité
Dans un monde où la course à l’IA a une importance stratégique pour les états, une législation contraignante n’est pas à l’ordre du jour [4], donnant un feu vert à la politique du fait établi qui permet de faire des profits en masse. La commodité [5] d’un produit auprès du grand public est un des aspects les plus importants à débattre au sujet des IA génératives : la facilité d’utilisation, les domaines d’applications et la qualité de la réponse, vont ancrer ces outils dans les pratiques humaines dans les prochaines années, le voulons nous réellement et pour quel résultat ?
Le rejet simple serait un échec annoncé de l’action collective. Il suffit de songer aux positions d’il y a vingt ans dans les milieux militants vis-à-vis des téléphones portables et à leur place actuelle dans les usages quotidiens, malgré un niveau, autrement plus élevé, d’intrusion dans les vies privées. La liste des dégâts possibles peut être faite sans attendre de les voir se réaliser. Des travailleurs et travailleuses au Kenya ont mené des actions syndicales et en justice contre les opérateurs du numériques [6] qui les exploitent [7] pour renforcer la « pertinence » des IA (et cela remet en question le caractère purement « non supervisé » de l’apprentissage).
Ils et elles disent que l’insoutenabilité des images qu’ils doivent ingurgiter jusqu’à l’écœurement attaque chaque jour gravement leur santé, rappelant que sans leur travail, les annonces en grandes pompes par des PDG crapuleux ne sont rien. Les actions de ces travailleurs et travailleuses [8] montrent une des voies à suivre pour mettre des seaux de sables dans les rouages de ces IA, en ce qu’elle permet de retrouver la puissance d’agir collective, sur une dépossession annoncée.
L’enjeu est de contrer sur le terrain des luttes et des idées, cet uniformisme qui nie la complexité du vivant et l’asséchement de la pensée qu’il implique. Car le monde réel n’est pas qu’un obstacle à enjamber ou une marchandise à faire fructifier.
Marouane Taharouri (UCL Naoned)
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