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La Palestine, miroir grossissant du colonialisme français
Le climat politique en France est explosif, entre répressions étatique des mobilisations pour Gaza, déchaînement de l’extrême droite, propos et actes d’islamophobes et antisémitismes auquel s’est surajouté l’attentat d’Arras. Dans ce contexte, le colonialisme en Palestine résonne avec le colonialisme français d’hier… et ses répercussions d’aujourd’hui.
Depuis le début des évènements à Gaza, la solidarité a pu s’exprimer partout dans le monde, sauf... en France [1] où l’embrasement du débat a pris des proportions inédites : interdiction de manifestations, menace de dissolution du NPA, mise au ban politique de LFI désignée, y compris par le RN, comme antirépublicaine et pro-Hamas… Jusqu’à présent en France, deux approches de la question palestinienne traversaient les partis politiques et la société civile : gaulo-mitterandiens vs atlantistes (c’est à dire critiques ou alignés sur les positions étasuniennes). Sans jamais avoir rompu avec Israël, la France, depuis De Gaulle, a eu une politique étrangère plus nuancée que nombre d’autres États occidentaux, Mitterrand étant même allé jusqu’à reconnaître l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Des activistes sionistes se sont battus des années pour faire basculer la France dans le soutien inconditionnel à Israël, pourquoi et comment ont-il pu gagner ?
Israël-Palestine, question franco-française ?
Pour comprendre la situation présente, un rapide retour en arrière est nécessaire. La France a toujours lorgné sur le Proche-Orient, depuis le XIXe siècle jusqu’à son partage lors des Accords de Sykes-Picot en 1916, entérinés par la Déclaration du Balfour en 1917, dans lequels Français et Britanniques ont trahis les promesses d’indépendance faites aux arabes [2]. Puis, à la Libération de 1945, la France porte une responsabilité historique dans le vol des terres aux Palestinien·nes au profit du futur État d’Israël, d’abord par l’appui à l’Irgoun (extrême droite sioniste ancêtre du Likoud) en 1946-47 pour faire partir des Juifs et Juives depuis les camps de Pologne en Palestine [3], puis par le poids diplomatique qu’elle engage dans le vote du plan de partage en 1947. Enfin, en 1956, la France entre en guerre contre l’Égypte de Nasser, dans le contexte du combat contre le FLN algérien. Le soutien d’Israël à la France s’obtient alors en échange de l’acquisition de technologies nucléaires. Cet appui cesse néanmoins à partir de la Guerre des six jours en 1967 avec l’embargo sur les armes que la France fournissait à Israël.
Si jusqu’alors le soutien des Juifs et Juives de France à Israël restait faible, un tournant s’opère au cours des années 1960. Ce sera d’abord l’arrivée en 1962 de rapatriées, traumatisées d’avoir dû quitter l’Algérie : les associations Pieds noirs en général se distingueront par un pro-israélisme revanchard de la perte de l’Algérie [4]. La Résolution de Khartoum prise par les pays arabes en 1967 et la Guerre du Kippour en 1973 achèveront la bascule d’un soutien quasi-unanime et acritique à Israël et sa politique. Parallèlement, la question du soutien à la Palestine dans les milieux de l’immigration post-coloniale s’affirmera dans les années 1970 autour du MTA [5].
Du colonialisme à la « guerre au terrorisme »
Le recentrage pro-israélien de la France s’effectuera dans le contexte de « guerre au terrorisme » à partir des années Sarkozy et de la diabolisation des personnes musulmanes (ou assigné·es comme tel·les) et immigrées. Se développe alors un intérêt opportuniste pour les pro-sionistes de construire un ennemi « islamiste/musulman·e » commun à la France et, par amalgame, à Israël (schémas que l’on a vu jouer à plein depuis le 7 octobre).
Il faut noter qu’à travers la question israélo-palestinienne, les affects des histoires coloniales des enfants et petit enfants de nord-africain·es Juifs et Juives et Musulman·es se sont cristallisés. La violence des débats que nous connaissons aujourd’hui est héritière de cette histoire coloniale… Dans le regard colonial, l’arabo-musulman·e de Palestine et des quartiers populaires français, c’est le ou la même : les mêmes mots pour les stigmatiser, les mêmes pratiques répressives brutales en réponse – c’est d’ailleurs ce que ne cesse de marteler Zemmour et ses militants dans les médias et sur les réseaux sociaux. Les interdictions des manifestations pour Gaza n’ont d’égales que les interdictions des manifestations de juillet dernier contre les violences policières : on veut faire taire les mobilisations des français·es issu·es de la colonisation, leur insolence à vouloir influer sur la politique étrangère française comme à réclamer justice.
Déchaînements racistes et réactionnaires
Nous assistons aujourd’hui à un consensus pro-israélien effrayant allant de la gauche molle à l’extrême droite. Meyer Habib peut ainsi déclarer que « Marine Le Pen fait désormais partie de l’arc républicain ». L’extrême droite apporte son soutien aux méthodes jusqu’au-boutistes de Netanyahu qu’elle appelle de ses vœux depuis longtemps dans les quartiers.
En parallèle, complotistes et antisémites ne perdent pas une minute : 327 actes antisémites recensés dans les dix jours suivant le 7 octobre, l’attaque du Hamas présentée comme un coup monté... Le groupe d’extrême droite « Lyon populaire » a même fait un parallèle ignoble entre le nationalisme de libération palestinien et le nationalisme français [6]. Rendre acceptable la riposte israélienne ce sera aussi rendre acceptable de futures guerres et répressions françaises.
Mais le fait qu’un antisémitisme persistant à gauche s’exprime également provoque des contradictions et confusions diverses. Il s’agit de garder nos boussoles claires : refuser l’essentialisation des populations faisant de tout·e Juif ou Juive un·e partisan·e de la politique coloniale et raciste de l’État d’Israël et de tout musulman·e un·e islamiste en puissance. Il nous faut réaffirmer le droit à la résistance contre le colonialisme malgré toute les intimidations et accusations d’antisémitisme – sans laisser entendre que le Hamas, mouvement religieux fondamentaliste, libérera les Palestinien·es, ni que, tout en reconnaissant le droit à la résistance, ses attaques ciblant majoritairement des civil·es sont légitimes –, tout en combattant les instrumentalisations racistes, antisémites et fascisantes aux conséquences graves. Enfin, nous devons déconstruire les arguments essentialisant de « guerre de religion » et d’« importation du conflit », en rappelant que c’est l’Europe qui a importé ses contradictions nationalistes et colonialistes en Palestine. Si quelque chose est importé de là-bas, ce sont des techniques de répressions et des produits des colonies… et donc soutenons la campagne BDS, comme toutes les initiatives venant de ce qu’il reste de la société civile progressiste et des forces sociales organisées en Palestine occupée, comme internationalisme agissant.
Nicolas Pasadena (commission antiraciste de l’UCL)
1] Et en Allemagne avec répression policière des manifs et procédures de dissolutions.
[2] Proclamation du « foyer national juif », qui systématise le colonialisme sioniste.
[3] [4] Charles Enderlin, Les juifs de France, entre république et sionisme, Éditions du Seuil, 2020.
[5] Mouvement des Travailleurs Arabes, voir « 1970, naissance des premiers comités Palestine », Alternative libertaire, n°303, mars 2020
[6] Sur leur compte Instagram, 7 octobre 2023, « ni islamisme ni sionisme, nationalisme ».
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