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Collectif Une Seule Ecole : s’engager contre la ségrégation scolaire
Depuis des années, le gouvernement a fait de la notion d’inclusivité un de ses éléments de langage majeur pour parler de l’école et de sa prise en compte du handicap.
Cela ne s’est pas fait sans heurt : le 25 janvier, FO organisait une grève pour « dire non à l’inclusion systématique et forcée ». Opposé à cette position, mais également critique des discours du gouvernement, le Collectif Une Seule École (CUSE) s’est créé pour porter une autre voix.
Fiona Campbell, spécialiste en Études critiques du handicap définit le validisme comme : « Un réseau de croyances, de processus et de pratiques qui produit un type particulier de soi et de corps (la norme physique) qui est projeté comme parfait, typique de l’espèce, et donc essentiel et pleinement humain. Le handicap est alors pensé comme un état inférieur d’humanité ».
Du corps défectueux à la société défectueuse
À partir de cette définition, on comprend le lien étroit entre le validisme et le modèle médical du handicap, qui perçoit le corps handicapé comme un corps défectueux et le handicap comme une variation négative, une déviation de la norme biologique qui est le fait de l’individu. Les difficultés des personnes handicapées sont donc perçues comme étant directement liées à leur différence physique, psychique, cognitive, sensorielle ou intellectuelle. La logique de ce modèle a conduit à écarter les personnes handicapées de la société et à les institutionnaliser. On voit aussi clairement le lien que le validisme entretient avec toutes les autres oppressions qui ont comme base commune un processus d’infériorisation d’un groupe humain. Une infériorisation construite à partir d’un idéal ou d’une norme : blanc, homme, cis, valide…
Il y a toujours un problème avec l’école, lorsqu’on s’intéresse aux discriminations et aux rapports de domination : elle se pense elle-même comme le lieu de l’universalisme républicain. Les politicien·nes, les journalistes et les travailleur·euses de l’Éducation Nationale parlent d’elle de cette manière. L’école ne pourrait pas être un lieu de discriminations dans la mesure où elle serait un « sanctuaire » où l’on enseigne le principe républicain d’égalité et de tolérance. Puisque le principe d’égalité y est sans cesse invoqué, puisqu’il est écrit au fronton des écoles, alors il serait déjà pleinement réalisé. Ceci est évidemment une fiction et les rapports de dominations sont à l’œuvre à l’école comme dans le reste de la société.
L’école française est discriminatoire. Elle est notamment validiste parce que la société française est validiste [1] et l’école ne se situe pas en dehors de la société. Elle est conçue à partir de la norme valide à laquelle tous et toutes les élèves doivent se conformer, avec de maigres compensations qui souvent ne s’appliquent pas et à travers des rééducations très majoritairement en dehors de l’école. Rapprocher le plus possible l’élève « déviant » de la norme, non contestée, est l’objectif visé.
Les élèves considérés trop « déviants », avec des handicaps trop « lourds » (il faut comprendre par là trop éloignés de la norme valide) sont écarté·es de l’école et renvoyés vers des structures « spécialisées ». On voit que c’est l’existence d’une norme valide qui construit le besoin « spécial ». Et lorsque les jeunes parviennent à être scolarisé·es (souvent dans des dispositifs spécialisés type SEGPA ou ULIS, parfois hors dispositifs), leur parcours reste extrêmement cloisonné : les adultes les orientent très vite vers quelques CAP ou bac pro, leur parlent à peine de voie générale, si ce n’est pour les en décourager.
Les représentations que se font les travailleurs et travailleuses de ce que doit être un élève, de ce que doit être leur travail et de ce que sont les besoins d’un·e élève handicapé·e sont erronées et peu remises en question. L’essentialisation des élèves handicapé·es à leur handicap constitue un des problèmes majeurs. Le validisme, comme tous les systèmes de domination, est diffus, présent partout et toujours.
Nous avons grandi dans une société validiste, le validisme nous a en partie façonné, tous et toutes. Il a façonné nos imaginaires et nos représentations ; il a façonné également celui des travailleurs et travailleuses de l’Éducation Nationale qui, dans leur grande majorité, pensent sincèrement que si les élèves handicapé·es doivent être mis·es à l’écart, c’est pour leur bien, qu’ils et elles relèvent du soin et pas de l’école, qu’un·e élève qui ne peut pas suivre le programme n’a pas sa place en classe.
Remettre en cause les normes scolaires
L’école est le lieu d’une grande normativité. Ses normes sont celles de la réussite scolaire, de la productivité, de la bienséance par exemple. Elle intime aux élèves présentant un écart à la norme de manière générale – élèves allophones, en grande difficulté, trans, pauvres… – et aux élèves handicapé·es en particulier de se conformer à ces normes. Le rôle de l’école n’est pas de permettre à tous et toutes de s’épanouir depuis les singularités propres à tout individu, ni de s’émanciper. Les élèves doivent pouvoir suivre les programmes, le rythme, le groupe. Qui ne peut le faire n’y a pas sa place.
Enfin, l’école française est l’école d’une société capitaliste. Elle est conçue comme un levier de la compétitivité économique. L’école capitaliste valorise l’efficacité, la performance, la productivité et exclut par là un nombre important de ses élèves, dont les élèves handicapé·es. De la même manière qu’une fois adulte il ou elle aura à s’adapter au monde du travail, c’est à l’élève de se conformer à l’école. C’est une condition pour accéder aux apprentissages. Une partie des élèves sont toujours exclu·es de l’école ordinaire pour être placé·es dans des institutions (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique – ITEP, Instituts médico-éducatifs – IME…) qui sont définies par l’ONU comme des lieux de ségrégation.
Entre validisme assumé et antivalidisme timide
Nous avons assisté récemment à un appel du syndicat Force Ouvrière contre « l’inclusion systématique à l’école » qui est un appel à l’exclusion et à la ségrégation. Écarter un enfant de l’école c’est l’écarter de la société à vie. Mais il n’y a pas que FO qui ait fait des appels actifs au maintien de la ségrégation en raison du handicap. La Fédération d’Action sociale de la CGT a émis récemment un communiqué pour s’opposer à l’octroi du statut de salarié aux travailleurs et travailleuses handicapé·es des ESAT [2]. Ces personnes proviennent en bonne partie des IME et sont les enfants qui ont été écartés de l’école ordinaire.
Il faut distinguer deux positions syndicales. D’un coté celle des syndicats corporatistes qui ont abandonné la double besogne comme FO et ne s’intéressent pas aux luttes contre les discriminations. Comme les questions pédagogiques et éthiques, elles ne constituent pas le point de départ de leurs réflexions et orientations. De ce fait, ils envisagent la présence des élèves handicapé·es dans l’école ordinaire comme une dégradation des conditions de travail des travailleurs et travailleuses de l’Éducation Nationale.
De l’autre coté on trouve les positions des syndicats de transformation sociale pour qui la lutte contre les discriminations relève bien de la lutte syndicale. Il convient alors de s’interroger sur les raisons qui font que ces syndicats ne s’engagent pas pleinement dans la lutte antivalidiste. Au sein de SUD Éducation ou de la CGT Educ’action (dont un certain nombre de militant·es sont par ailleurs engagé·es au sein du CUSE), le mouvement est lancé mais se confronte encore à la difficulté de passer d’un modèle médical à un modèle social du handicap.
De même, aucun parti politique en France ne s’est clairement prononcé pour la désinstitutionnalisation, condition sine qua non d’une école inclusive. Il y a eu des déclarations de façade à gauche mais aucun parti n’a engagé une réflexion sur la planification du processus de désinstitutionnalisation. Il y a aussi des militant·es antivalidistes au sein des partis de gauche mais ils et elles sont très isolé·es.
Les syndicats et les partis politiques pensent qu’il faut choisir entre les personnes handicapé·es et les personnes travaillant dans les institutions. Ils pensent que choisir de défendre la désinstitutionnalisation reviendrait à trahir les personnes qui travaillent dans les institutions. Or au CUSE, nous souhaitons leur intégration au service public d’éducation, dans une logique de travail collectif au service du plus grand nombre d’élèves. Il n’y a pas de « concurrence » entre le droit des travailleuses et travailleurs et le droit des personnes handicapées.
Les organisations de gauche les plus radicales dénoncent et veulent la fermeture de tout ce qui représente un enfermement et une privation des libertés, des CRA aux prisons : la logique voudrait qu’elles s’opposent également aux institutions spécialisées.
L’antivalidisme, un outil pour l’émancipation
La lutte antivalidiste est particulièrement peu développée et visible en France, alors qu’elle possède une radicalité profonde. Le handicap interroge l’injonction au darwinisme social, à la performance et à la productivité dans le capitalisme néolibéral. Les salarié·es se doivent d’être les plus performant·es possibles dans un système de concurrence où seuls les plus aptes méritent un travail. Le validisme est un système de sélection sociale qui distingue des « valides » et des « non-valides ».
Le système capitaliste est structurellement validiste car il est un système productiviste : la personne dite « valide » est d’abord celle qui peut produire et servir l’économie nationale. La personne « non-valide » est assignée à l’improductivité, et donc à l’inutilité. Mais nul n’est inemployable non plus, si les conditions de salaire sont réduites : en ESAT il n’y a pas de salaire mais des indemnités calculées en fonction des allocations déjà perçues. Le travailleur ou la travailleuse handicapée devient rentable et peut être usée au travail, sans les quelques droits protecteurs octroyés aux valides.
Les institutions contre l’école non validiste
Il ne peut pas y avoir une école non validiste tant qu’il existe un ailleurs où renvoyer celles et ceux que l’école considère indésirables. Tant qu’existent des structures différentes, spécialisées, des enfants y seront déplacé·es, exclu·es et enfermé·es. Aussi ces institutions légitiment l’exclusion et déresponsabilisent les équipes dans leur devoir d’accueil de tou·tes les jeunes : pourquoi rendre accessible les apprentissages en classe si des structures sont là pour accueillir les enfants qu’on juge inadapté·es à l’école ?
Le CUSE, un collectif de luttes
Le Collectif Une Seule École rassemble des militant·es handicapé·es, des parents expert·es des questions d’inclusion, des ancien·nes élèves discriminée·es et institutionnalisé·es, des professionnel·les du médico-social et de l’Éducation Nationale [3]. Nous sommes toutes et tous convaincu·es que l’école doit accueillir tous les enfants de manière inconditionnelle et dans les classes ordinaires.
Nous pensons que l’avènement d’une école pour toutes et tous passera forcément par un changement dans les pratiques médicales, éducatives et pédagogiques et dans les lieux où elles s’exercent. Nous pensons que des moyens humains, matériels et financiers doivent être mobilisés mais qu’ils doivent s’accompagner d’une prise en compte politique de la question du handicap qui passe par la désinstitutionnalisation.
Les organisations syndicales politiques et militantes doivent prendre position sur la question de la scolarisation de tous les enfants dans le cadre ordinaire de l’école. Nous souhaitons accompagner les organisations qui veulent prendre en compte cette question, participer à des formations, construire des outils et des ressources. Mais nous souhaitons aussi montrer les conséquences graves que peuvent avoir des positions politiques floues sur les existences des enfants handicapé·es envoyé·es en institutions ségrégatives.
Elena Chamorro, Odile Maurin, Thomas Lecherbault, Jacqueline Triguel, Renaud Guy (membres du CUSE)
[1] « Les personnes handicapées sont plus souvent victimes de violences physiques, sexuelles et verbales », 22 juillet 2020, DREES.
[2] Établissement et Service d’Aide par le Travail, structure faisant travailler des travailleur·euses handicapé·es. Si depuis le 1er janvier 2024, ils et elles bénéficient enfin du droit de grève et du droit syndical, les travailleur·euses en ESAT n’ont toujours pas le statut de salarié·es, et ne sont donc pas couvert par le code du travail et peuvent être rémunéré·es en dessous du SMIC.
[3] Retrouvez le texte « Tribune du Collectif Une Seule École » actant la création du collectif, sur questionsdeclasses.org/tribune…
Tribune du Collectif Une Seule École (CUSE)
En 2005, la France a voté une loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Cette loi [...]www.questionsdeclasses.org
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