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**Défense des retraites : Solidaires, radicaliser sans perdre l’unité**
Si l’intersyndicale ne s’est pas contentée de « poser des dates », c’est en bonne partie parce que Solidaires y a poussé une ligne plus combative et créative… mais sans faire de miracle. D’autant que le mouvement a révélé quelques faiblesses préoccupantes au sein de l’organisation.
Contrairement à certaines contre-réformes qui, par le passé, avaient pris le mouvement social par surprise, l’attaque sur les retraites était annoncée dès avril 2022 et la présidentielle. L’Union syndicale Solidaires avait donc sorti un matériel national dès juin, et organisé une campagne interprofessionnelle centrée sur les retraites. Malgré cela, la préparation à la bataille a été poussive, la plupart des structures adhérentes à Solidaires restant focalisées sur les sujets professionnels de leurs secteurs.
En septembre 2022, le dossier est revenu sur le devant de la scène, le gouvernement lâchant des ballons d’essai dans la presse, avec la menace d’un passage en force ultrarapide. Solidaires s’est alors inscrite dans une intersyndicale « large », qui a avancé d’autant plus lentement qu’elle ne se réunissait presque plus dans ce format depuis des années.
Difficulté supplémentaire : la Nupes a tenté, à l’époque, de prendre la main sur la question sociale avec sa marche citoyenne « contre la vie chère et l’inaction climatique » le samedi 16 octobre 2022. Ce fut un bide, en comparaison de la journée interpro qui, le 18 octobre, à l’appel de Solidaires, CGT, FO et FSU, mobilisa dix fois plus de monde, en grève de surcroît. Trois mois plus tard, le 21 janvier, l’échec de la « Marche pour les retraites » de la Nupes confirma la prééminence de la gauche de la rue sur la gauche parlementaire, dégageant l’horizon pour l’action syndicale.
Lancer les grèves sans attendre
À cette époque, les discussions stratégiques au sein de Solidaires ont abouti à la conviction qu’il ne fallait pas attendre la publication du projet gouvernemental mais, comme en 2019, tenter de lancer des grèves reconductibles en amont. On imaginait alors une annonce conjointe mi-novembre avec la CGT et la FSU, puis un départ en grève en janvier, ce qui laissait deux mois de préparation. Cela peut paraître tardif, mais il fallait passer les élections à la SNCF et dans les trois fonctions publiques qui, au mois de décembre, occupaient les équipes syndicales.
L’intersyndicale à huit au centre du jeu
Finalement, impossible de lancer des grèves en amont : l’intersyndicale, avec son timing qui se construisait « en réponse au gouvernement » a pris le pas sur le reste, en partie parce qu’aucun secteur n’a cherché à pousser, comme l’avaient fait la RATP puis le rail en septembre 2019. Nous avons donc perdu le choix du terrain et du calendrier, mais nous avons utilisé le temps des fausses concertations de l’automne pour préparer du matériel et des formations internes.
Et puis le gouvernement, lui aussi, a perdu du temps : son projet était mal ficelé, et il a dû attendre la fin du Mondial de foot (la France était en finale…). Finalement, il a dévoilé son projet le 10 janvier. Et tout s’est brusquement accéléré. L’intersyndicale a très vite réussi à imposer son contre-discours ; la première journée de grève, le 19 janvier a bien marché, avec un raz-de-marée dans la rue ; la « bataille de l’opinion » a été remportée.
Cette première date a donc été un succès inespéré car, au sein même de Solidaires, la plupart des structures adhérentes avaient attendu le 10 janvier pour entamer le travail d’expertise et de mobilisation. Plusieurs n’avaient même pas jugé utile de produire, pour la grève du 19 janvier, un tract spécifique qui aurait détaillé les effets de la réforme dans leur secteur. Dans des secteurs à préavis obligatoire, certains syndicats SUD (mais aussi CGT) n’avaient même pas déposé de préavis de grève pour les premières journées de mobilisation. Ce qui, paradoxalement, n’a pas empêché certains de leurs animateurs de cosigner une tribune trotskiste pour la grève générale dans le JDD du 29 janvier 2023. Posture radicale et inconséquence pratique…
Le rôle de Solidaires dans la lutte
Parfois accusée de suivisme au sein de l’intersyndicale, Solidaires a pourtant réussi à lui faire adopter des éléments (également défendus par certains syndicats CGT, mais jamais par la confédération). On peut citer :
- la nécessaire auto-organisation des grévistes, avec des AG décisionnelles, dès le 19 janvier ;
- la possibilité pour les syndicats de lutte d’aller plus loin que l’intersyndicale, en construisant la grève reconductible à partir du 7 mars, et la grève féministe du 8 mars ;
- l’appel à des blocages économiques et à des actions d’éclats ;
- le refus d’une condamnation fourre-tout de « la violence » qui aurait mis sur le même plan violences policières et feux de poubelle ;
- le refus d’un retour trop facile à « l’anormal », avec les casserolades et les « cent jours du zbeul ».
Cependant, de même qu’en 2019-2020, alors que les planètes s’alignaient, Solidaires n’a guère réussi, en dehors de la SNCF, à peser pour une généralisation de la grève à partir du 7 mars. Là encore, plusieurs structures adhérentes à Solidaires, mais davantage encore d’équipes locales, n’ont pas essayé de créer les conditions minimales (tracts, tournées, AG...) pour étendre la grève. Souvent, ces équipes approuvaient ce mode d’action en théorie, mais en pratique le jugeaient « pas possible chez nous », avec l’idée récurrente que c’était plus simple ailleurs, voire que, dans tel ou tel secteur, la grève était inutile.
Cela prouve l’importance du travail de conviction, de préparation en amont, pour que les équipes syndicales de terrain ne se découragent pas à l’approche de la bataille, et tentent au moins de proposer la reconductible en organisant des AG.
Pour l’unité d’action des syndicats de lutte
Ce qui est notable est que des salarié·es ont osé se mettre en grève pour la première fois dans plein d’entreprises qui sont des déserts syndicaux. C’est l’occasion pour Solidaires d’y constituer des équipes syndicales. Il faut chercher dans nos syndicats des militant·es pour donner du temps à cela : faire connaître Solidaires dans les déserts.
Il est urgent d’implanter l’organisation car, avec seulement 110 000 syndiqués et 4,38 % des suffrages au niveau interprofessionnel, Solidaires ne peut prétendre, à elle seule, impulser une grève générale. Il lui faut nouer des alliances, telles que l’axe CGT-FSU-Solidaires qui s’est affirmé depuis plusieurs années. Les discussions sur l’unité d’action du syndicalisme de lutte – sans même parler d’unification à ce stade – doivent donc se poursuivre.
L’intérêt de l’intersyndicale large est qu’elle a permis d’aligner l’ensemble des syndicats, même les plus cogestionnaires, contre les 64 ans, et de réussir 14 journées de grève interpro. La question de son maintien dans le temps et sur d’autres sujets est posée, mais ce ne sera fructueux que si les syndicats de lutte pèsent sur ses orientations. Des syndicalistes libertaires de Solidaires
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