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Révoltes urbaines : Les quartiers populaires sur le devant de la scène
La révolte de la jeunesse populaire fin juin oblige à penser les vécus de dominations dans les quartiers populaires comme une question globale. Une campagne exigeante et ambitieuse doit être menée pour exiger justice pour les quartiers populaires et ne pas laisser les jeunes isolé·es.
La mort de Nahel Merzouk le 27 juin dernier, tué à bout portant par un policier, a provoqué une semaine de révoltes dans les quartiers populaires qui s’est étendue à tout le pays dès le deuxième soir. Le jeudi 29 juin, la marche blanche organisé à Nanterre par la mère et les proches de Nahel a été réprimée violemment et la nuit du jeudi au vendredi sera la plus forte de la révolte.
Les semaines suivantes, la marche annuelle pour Adama Traoré à Beaumont-sur-Oise sera interdite ainsi que les rassemblements sur Paris. Alors que le ras-le-bol des jeunes a explosé spontanément et qu’on leur fait le reproche de commettre des actes violents, présumés non politiques, dans le même temps on interdit les expressions et mobilisations pacifiques des comités Vérité et Justice… bel exemple d’hypocrisie d’État ! Les réponses politiques et policières seront elle autorisées en un florilège de propos racistes et de dépolitisation de la révolte. Alors que l’exigence d’abolition du permis de tuer voté par Cazeneuve en 2017 s’imposait comme réponse, le gouvernement fera tout pour qu’on éloigne la question du meurtre de Nahel et qu’on se centre sur les pillages qui « n’auraient plus rien à voir avec sa mort » : il ne faudrait pas qu’on fasse le lien entre pillage et inflation par exemple, alors que beaucoup de commerces de première nécessité ont été pillés.
Le système du ghetto
Mais ici, violences policières et inflation vont de pair. La révolte oblige à remettre les quartiers populaires sur le devant de la scène comme une réalité ayant son unité d’oppressions articulées. Ces oppressions sont trop souvent approchées dans leurs fragmentations : question sociale / capitaliste d’un coté, question raciale / coloniale de l’autre, distinguant exploitation, chômage, logement souvent traités séparément, et non reliés aux discriminations racistes et sexistes. En réalité, les maux sociaux des quartiers populaires et les différentes dominations ne peuvent pas être séparées, et dès lors, les revendications non plus.
La situation de nos quartiers n’est ni exceptionnelle ni accidentelle : partout dans le monde les classes dominantes font la guerre aux prolétariats urbain discriminés et leur réservent un régime de gestion coloniale et d’abandon contrôlé. Au menu : chômage, discriminations et paupérisation. Ces populations sont assignées aux travaux précaires, créant les conditions des maux de la pauvreté (survie et débrouille illégale, etc.) pour ensuite le leur reprocher, les réprimer et les incarcérer… pour le plus grand profit des exploiteurs capitalistes (voir par exemple l’économie des prisons privées aux USA [1].
C’est le système du ghetto. En France cela se traduit par des quartiers où les non-propriétaires se retrouvent : des populations d’origines ouvrières, souvent immigrées ou issue de la colonisation, de nombreuses mères célibataires, subissant humiliations quotidiennes, discriminations au travail, à l’éducation, au logement, à la santé... Ce processus de paupérisation / précarisation / discriminations fait système et profite à la bourgeoisie : reproduction de classe, population étranglée soumise à de mauvaises condition de travail et de bas salaires (contrats précaires, intérim, sous-traitance). Les banlieues sont les laboratoires néolibéraux avant généralisation : hier les zones franches, les emplois jeunes et contrats aidés (le CPE avait été une humiliante réponse aux révoltes de 2005), aujourd’hui l’uberisation dont Macron s’est fait le chantre, et qu’il a vendu comme une solution contre le chômage. La bourgeoisie par son séparatisme de classe a ghettoïsé les banlieues, pour mieux les « reconquérir » ensuite par la gentrification et le « nettoyage policier » [2].
Nous n’avons pas à faire ici à des accidents et à des abandons involontaires, mais à un système causé par un régime étatique et économique raciste qui ne tiendrait pas sans l’accompagnement idéologique qui justifie le traitement inégalitaire et policier (islamophobie, récemment la stigmatisation « des profiteurs d’aides sociales qu’ils enverraient au bled »…)
De 2005 à aujourd’hui, des évolutions
Mais cette particularité des quartiers doit être reliée à la contestation sociale générale, comme le mouvement des retraites où de nombreux travailleurs et travailleuses des quartiers populaires se sont mobilisé·es. Ce moment de forte mobilisation de plusieurs couches de la société a lui aussi été un moment d’explosion face aux détresses sociales du moment, tout comme les gilets jaunes en 2018, dont la répression a obligé à regarder en face les violences policières.
Au printemps avec la répression des manifs retraites et de Sainte Soline, cette question s’est réimposée, avec l’exigence de dissolution des BRAVM. La Macronie, qui a essuyé un nombre important de mouvements sociaux depuis 2017 de plusieurs couches différentes de la société, a la hantise que toutes puissent converger. Elle réprime donc à tour de bras. Les choses ont changé depuis les révoltes de 2005, qui ont vu après cette date les mobilisations dans les quartiers populaires se renouveler et se diversifier. Les comités Vérité et Justice nombreux et organisés ont percé le mur du silence à travers les mobilisations de différents collectifs (Lamine Dieng, UNPA, comité Adama, etc). Ils ont interpellé une gauche et des organisations de luttes qui ont elles-mêmes connu un renouvellement générationnel (la génération CPE fut contemporaine des révoltes de 2005, 20 ans plus tard elle est aujourd’hui animatrice de lutte et sensible à ces questions). De ce fait la révolte ne fut pas isolée comme en 2005 : citons par exemple la venue de Sophie Binet à Nanterre le lendemain de la mort de Nahel.
Tout ceci constitue une victoire dont le gouvernement a peur. Si la Loi Séparatisme avait quelque peu affaiblit le mouvement antiraciste ces dernières années, la révolte a provoqué un sursaut auquel a répondu le mouvement social. Un appel signé par différents syndicats, associations et organisations politiques fut rendu public très rapidement « Notre pays est en deuil » [3] qui appellera aux manifestations des jours suivants. Une date pour une marche unitaire est déjà prévue pour la rentrée, le 23 septembre [4]. Il s’agit de pérenniser ce sursaut dès la rentrée, de l’inscrire dans le temps et qu’il soit vecteur de luttes de masse contres les injustices dans ces quartiers. Les luttes dans les quartiers populaires ont par ailleurs toujours existé, les marches pour l’égalité des années 1980 (dont on fêtera les 40 ans à l’automne, et qui sera un rendez vous important) ou les initiatives du MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieues) [5] qui avait lancé la campagne « Justice en banlieue ». Nous devons désormais construire une nouvelle mobilisation de masse.
Nous exigeons justice en banlieue
Le mouvement libertaire doit prendre toute sa place dans les mobilisations à venir où la diversité des tactiques doit être un atout. Nous devrons favoriser convergences et auto-organisation, et prévenir des écueils militants à même de créer de nouvelles divisions, rancœurs et désillusions : ni se substituer, ni abandonner. Nous devons également comme libertaires porter nos propres revendications et analyses. Après 2005, certaines revendications s’imposaient à nous [6], toujours d’actualité, nos exigences démocratiques et autogestionnaires doivent prendre une épaisseur politique plus importante pour contrer l’hégémonie de la théorie fascisante du grand-remplacement : remettre en cause offensivement l’État-nation, sa république assimilationniste et sa laïcité autoritaire et identitaire, par l’affirmation, la reconnaissance et la dignité du peuple des banlieues tel qu’il est : populaire, multiculturel, créolisé, en mouvement, aux histoires diverses (ouvrières, migratoires, coloniales, de luttes) affirmer son droit a la liberté d’expression et à l’hybridité culturelle !
Nous devons affirmer le droit a la reprise en main totale des habitant·es des quartiers populaires sur toutes les décisions qui concernent leur vie : le droit à la santé et à de bonnes conditions de vie loin des pollutions, à la souveraineté alimentaire, le droit a des services publiques sous contrôle des habitant·es et autogérés par elles et eux ! Une oppression radicale exige des réponses radicales.
Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)
[1] Angela Davis, Une lutte sans trêve, éditions La Fabrique, 2016.
[2] Les répressions accrues accompagnent souvent les plans de rénovation / gentrification, cf Mathieu Rigouste, La domination policière, une violence industrielle, La Fabrique, Paris, 2012, 257 pages.
[3] « Notre pays est en deuil et en colère », sur le site de Solidaires, solidaires.org.
[4] 1er août 2023, « Appel à la marche unitaire du 23 septembre « Pour la fin du racisme systémique, des violences policières, pour la justice sociale et les libertés publiques » », sur le site de Solidaires, solidaires.org.
[5] MIB, Mouvement de l’immigration et des banlieues, actif dans les années 1990-2000
[6] « Quartiers populaires : cinq ans après les révoltes, qu’est ce qui a changé ? », Alternative libertaire, n° 201, décembre 2010.
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