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Antitsiganisme : Lubrizol, retour sur un cas d'école
L’antitsiganisme est l’un des angles morts de l’antiracisme. La gestion de la protection et de l’évacuation des populations des « Gens du voyage » autour de l’usine de Lubrizol en 2019 en est un exemple flagrant, et malheureusement pas isolé. Retour sur un racisme systémique en acte.
Il y a de cela quatre ans, le 26 septembre 2019, l’usine Lubrizol de la ville de Rouen a connu un incendie de grande ampleur. On estime a plus de 9 500 tonnes de produits potentiellement toxiques consumés, contaminant l’air, l’eau, la terre. Le ciel devient noir, certain·es habitant·es arrêtent de consommer l’eau du robinet et se confinent dans leur maison.
La préfecture conseille dans la foulée d’éviter dans l’agglomération de Rouen les « déplacements non indispensables », de ne pas s’exposer inutilement aux fumées et de rester à l’intérieur autant que possible.
Les écoles et les crèches ferment sur 13 communes le jour même ou le lendemain, les parents viennent chercher leurs enfants. Des enseignant·es utilisent leur droit de retrait même après la réouverture quelques jours plus tard. On est méfiant et on se demande les conséquences sur la santé que l’incendie va impliquer.
Une aire d’accueil n’est pas une « zone d’habitation »
Seulement voilà : dans ce contexte plus qu’anxiogène, les autorités publiques ne voient pas, « oublient », de prévoir l’évacuation d’une vingtaine de familles habitant sur l’aire d’accueil aux gens du voyage de Petit-Quevilly, située à 500 mètres de l’usine. Les habitant·es vont eux et elles mêmes demander des informations auprès des policiers, la zone n’est pas considérée comme une zone d’habitation, aucune information ne leur est transmise.
Pire : on leur refuse le droit d’évacuer avec leurs véhicules. Le gestionnaire de l’aire d’accueil passera leur conseiller de se confiner dans leurs caravanes, qui ne constituent pourtant pas un habitat étanche face aux fumées toxiques en leur donnant quelques masques. Il ne repassera que 4 jours plus tard, pour récupérer le loyer.
Une tribune du 1er octobre publiée dans Libération – signée notamment par des habitant·es de ces aires constitué·es en collectif – obtient un relai médiatique assez important à ce moment pour mettre en lumière leur situation et demander la mise en place immédiate de mesures de protection.
Des aires d’accueil situées dans des zones à risques
Elle dénonce l’inaction des autorités locales et fait remarquer que « le schéma départemental d’accueil des gens du voyage de Seine-Maritime inscrit dès 2012 que "certaines aires d’accueil devront cependant donner lieu à des relocalisations […] car elles se trouvent édifiées sur des zones à risques (Seveso, inondations, glissements de sols…)" ».
Aussi cette tribune permet d’inscrire la situation des habitant·es de l’aire d’accueil de Petit-Quevilly dans un contexte de discriminations plus globales et systémiques des personnes assimilées à la catégorie administrative de « Gens du Voyage ».
Même si l’affaire est spectaculaire, elle n’est pas « surprenante » pour qui connaît la situation des Voyageurs et Voyageuses en France. Ce fut une porte d’entrée pour Wiliam Acker pour faire connaître ces discriminations, dans son livre Où sont les « gens du voyage » ?. Face aux médias lui demandant des sources lorsqu’il parlait de la discrimination que vivent les Voyageurs et Voyageuses notamment au travers de l’emplacement des aires d’accueil – qui n’ont d’accueillant que le nom – William Acker a répertorié toutes les aires d’accueil de France et mis en lumière la discrimination évidente à l’encontre des Voyageurs et Voyageuses.
Les communes de plus de 5 000 habitant·es sont dans le devoir de créer des aires d’accueil (loi Besson 1 de 1990) et les Voyageurs et Voyageuses n’ont pas l’autorisation de s’installer en dehors de ces aires. C’est une première discrimination puisque beaucoup de communes en France n’en ont pas et ne sont pas tenues d’en construire. Les communes de plus de 5 000 habitant·es représentent seulement 6 % des communes françaises. C’est à dire que les foyers sont loin de pouvoir s’installer n’importe où. Problème : la loi n’est pas respectée. Les aires sont surpeuplées, les schémas départementaux ne sont respectés qu’à 70 % et les sanctions pour non-respect de la loi ne viennent quasi jamais.
Surpopulation, pollution, discrimination
51 % de ces aires sont polluées. A proximité de déchetteries, proches de stations d’épuration, de voies ferrées, de sites SEVESCO, souvent des parkings, ces aires ne sont pas adaptées pour l’habitat humain. « Si tu cherches l’aire d’accueil, regarde du côté de la déchetterie » peut-on lire comme blagues entre habitant·es de ces aires et notées dans des papiers sur la question. William Acker utilise le terme de racisme environnemental pour désigner ces discriminations.
Souvent à l’extérieur des villes, à l’écart du reste des habitations pour faire l’objet du moins de contestation possible et pour des terrains peu chers. Il existe des problèmes de surpopulation et de déplacement multiples de personnes chassées des endroits où elles s’installent, parfois des décennies à vivre là, mettant en péril l’accès à l’emploi, à la santé ou à l’éducation des enfants. Par ailleurs, les caravanes n’étant pas considérées comme des habitations, les droits sociaux rattachés au logement diffèrent, alors même qu’elles payent un loyer et des charges.
Sur la question des Voyageurs et Voyageuses, que l’on appelle tantôt Gitans, tantôt Manouches, Tsiganes, Sinti et tout un tas de termes dont on ne comprend que peu la signification et les réalités différentes qu’ils recouvrent, il existe des mythes ancrés, diffusés sur les réseaux sociaux comme la peur de vol d’enfants dernièrement sur Tiktok, qui entraînent des violences et de la stigmatisation.
Quinze ans d’espérance de vie en moins
On a principalement parlé ici de la question des aires d’accueil, mais on ne peut omettre de citer la création administrative de « Gens du voyage » qui remplace celle de « nomades » et des carnets anthropométriques de 1912 qui ont permis avec l’arrivée du régime de Vichy la déportation efficace et méthodique des Voyageurs et Voyageuses, Forain·es, Rroms... qui recoupe une dimension raciale évidente.
Le Samudaripen (génocide en romani) est aujourd’hui peu reconnu tandis que les victimes de spoliation pendant la guerre et maintenant leurs descendant·es attendent encore réparation. Enfin, on peut également noter que les Voyageurs et Voyageuses ont statistiquement une espérance de vie de 15 ans inférieure au reste de la population.
Cet article ne peut être exhaustif et survole le sujet, quatre ans après l’incendie de l’usine Lubrizol. Pour aller plus loin, des articles Streetpress sont disponibles ainsi que chez Libération autour de l’incendie, le livre de Acker Où sont les « gens du voyage » ?, Barvalo du Mucem à Marseille, la série documentaire de France Culture sur l’antitsiganisme, le travail d’associations comme l’ANGVC ou de collectifs antiracistes comme La Voix des Rroms, ce ne sont pas les ressources qui manquent.
Une manifestation a été organisée mardi 26 septembre à Rouen partant du Parlais de Justice, une occasion pour continuer d’en parler haut et fort.
Ram (UCL Lyon) de la Commission antiraciste