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Pandémie de Covid-19 : Où en est-on de l’autodéfense sanitaire ?
Alors qu’au début de la pandémie nous étions nombreuses et nombreux à nous soucier de la santé de tou·tes, nous nous sentons désormais bien seul·es, quatre ans après, à porter un masque dans les événements publics. L’individualisme a pris le dessus, contre une réflexion collective sur la santé, la maladie chronique, et le handicap. Comment en sommes-nous arrivé·es là ?
En décembre 2019 le SARS-CoV-2 commence à se répandre dans la ville de Wuhan. Les cas se multiplient et se dispersent rapidement à l’international dès janvier à une vitesse exponentielle. Le 11 mars 2020, l’épidémie de Covid-19 est déclarée pandémie par l’OMS. Le 17 mars, la France vit son premier confinement national. En avril 2020, plus de 4 milliards de personnes sont confinées dans le monde pour arrêter la propagation du virus dont la virulence menace les systèmes de santé.
Une pandémie au bilan désastreux
Quatre ans plus tard, le bilan de la pandémie est de 7 millions de morts directs du Covid-19. Ce chiffre monte à plus de 27 millions de morts en comptant l’ensemble des morts indirectes dues aux suites de la maladie ou aux défauts de prise en charge d’autres pathologies liés à la surcharge des hôpitaux. Plus de 700 millions de cas ont été confirmés à ce jour dans le monde. Sachant que l’on estime que 10 % des cas mènent à des Covids longs, la pandémie a aussi créé des dizaines de millions de malades chroniques.
En 2023, malgré le déni gouvernemental, la pandémie est toujours là, mais désormais, nous la connaissons mieux. On sait notamment que loin d’une simple « grippe » le SARS-CoV-2 est un virus qui s’attaque à l’ensemble de l’organisme : si les premiers et principaux symptômes sont généralement respiratoires, le virus s’installe aussi dans le système nerveux central (source des pertes de goût et d’odorat caractéristiques), le système digestif, cardiovasculaire… Il se différencie aussi de la grippe par une arrivée progressive des symptômes, rendant plus difficile la détection du début de la maladie. Il est aussi suivi de séquelles plus graves : Covid long, augmentation des risques d’AVC, d’infarctus et de troubles neurologiques.
Pour se protéger et protéger son entourage, les gestes les plus efficaces restent le port du masque (FFP2 idéalement), l’aération des pièces et la vaccination (une campagne ouverte à tous les publics est actuellement en cours).
Supprimer le Covid ou vivre avec ?
Les perspectives de gestion de la pandémie se résument rapidement à deux alternatives : la suppression (ou « stratégie Zéro-Covid ») visant à supprimer complètement la circulation du virus, et l’atténuation, cherchant plus modestement à freiner la circulation du virus pour protéger le système de santé sans chercher à stopper la pandémie. Une quinzaine des pays mettent en place une stratégie Zéro-Covid plus ou moins drastique (la Nouvelle-Zélande, la Corée du Sud ou la Chine notamment). En 2021 une étude [1] conclut qu’au sein de l’OCDE leurs bilans sont nettement meilleurs que ceux des autres pays, sur le plan sanitaire, économique mais aussi en terme de préservation des libertés publiques.
Mais rapidement la majorité des États se tournent vers des stratégies d’atténuation, forçant les populations à « vivre avec » le virus selon les mots d’Emmanuel Macron. Cette décision s’explique par plusieurs facteurs. Financiers et capitalistes dans un premier temps : après une succession d’arrêts forcés de la production de nombreux secteurs économiques font pression pour une reprise d’activité sans contraintes. Les capitalistes sont aussi peu enclin à l’allocation de budgets publics nécessaires à la mise en place d’une stratégie Zéro-Covid. Sur un autre front, une percée des idées réactionnaires et eugénistes de l’extrême droite pousse aussi à cette politique.
Ainsi, l’ensemble de la population ne devrait pas avoir à faire d’effort collectif pour protéger une minorité de « personnes à risque », laissant croire que les questions de santé publique pourraient être traitées à l’échelle individuelle. Cette idée sera notamment défendue par la déclaration de Great Barrington, texte produit par un think tank libertarien et largement diffusé, influençant entre autre l’administration Trump et différents partis conservateurs européens. Ce texte soutient aussi l’idée qu’une « immunité collective » pourrait se développer naturellement. Il a depuis été largement démontré que cette idée était fausse, en particulier concernant le SARS-CoV-2, virus ayant une des vitesses de mutation les plus rapides au monde.
Le gouvernement français sera particulièrement enthousiaste dans la mise en place de cette politique de déni de la pandémie, décidant notamment de casser peu à peu tous les outils de mesure de la circulation du virus : sans chiffres, qui peut encore dire que la pandémie continue ? La dernière vague de contamination a d’ailleurs forcé un rétropédalage et la résurrection du SI-DEP [2] devant l’absence de données fiables.
Le validisme, un angle mort à gauche
Ces réactions des États et des capitalistes n’ont pas été une surprise. Mais la pandémie a aussi été un révélateur terrible de l’état politique et idéologique de notre camp social. Si quelques initiatives sont nées autour de la notion d’autodéfense sanitaire, elles sont souvent restées à une échelle locale, ces idées n’arrivant pas à percer au sein de mouvements politiques plus larges. Les discours de la gauche se sont globalement bornés à une analyse distante, avec des revendications comme le refinancement ou la socialisation du système de santé, ou la levée des brevets sur les vaccins. Des mesures certes nécessaires, mais qui ont souvent masqué le manque d’actions et d’engagement de terrain.
La pandémie a également révélé la perméabilité de la gauche aux discours complotistes et anti-scientifiques. Les propositions de la déclaration de Great Barrington se sont retrouvées dans tout le spectre politique, y compris au sein d’une gauche s’étant trop éloignée de ses idées rationalistes et matérialistes pour y déceler les contre-vérités, et trop imprégnée d’individualisme pour ne pas céder aux sirènes de l’eugénisme d’État. C’est ainsi que les discours gouvernementaux ont pu s’imposer presque sans aucun frein. Une grande partie de la gauche, contente de pouvoir passer à autre chose, s’est laissée convaincre par les discours individualistes : après tout, pourquoi s’encombrer d’un masque pour quelques « personnes à risques » ?
Ces biais ont révélé un grand angle mort concernant le validisme : nous peinons encore à construire une vision des questions de santé et de handicap qui ne soit pas paternaliste, et à interroger la construction sociale du handicap. Il y a aussi beaucoup à faire pour reconstruire la notion de sécurité sociale, profondément abîmée par des décennies de libéralisme : penser la question de la santé comme une objectif collectif, en refusant de hiérarchiser les vies suivant une norme validiste et capitaliste.
N. Bartosek (UCL Alsace)
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