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10 milliards d’euros d’économies : Saigner les services publics au profit des vampires capitalistes
À la mi-février, Bruno Le Maire annonçait en direct sur TF1, dix milliards d’économies « sur l’État, pas sur les Français ». Traduction de cette novlangue néolibérale : ce sont les services publics protecteurs qui subiront la saignée, les bourgeois et leurs chiens de garde seront épargnés par les économies. Mais à propos, dix milliards d’économies ça représente quoi exactement ?
Le 21 décembre dernier était adopté à l’Assemblée nationale, après le rejet d’une énième motion de censure de la gauche, le budget de l’État pour 2024. Pour faire passer sans vote ce budget et celui de la Sécurité sociale, adopté début décembre, le gouvernement a usé, jusqu’à la corde, du fameux article 49.3... à dix reprises ! Mais il faut dire que le jeu en valait la chandelle puisqu’il ne s’agissait pas moins selon Élisabeth Borne, alors Première ministre, que de défendre la création « de plus de 2 000 postes de policiers et gendarmes, une hausse des moyens de la justice et de la défense, des revalorisations pour les enseignants et un “budget vert” avec sept milliards d’euros supplémentaires en faveur de la transition écologique » [1]. Ce budget était construit sur une prévision de croissance (comme on dirait dans Les Échos) de 1,4%, c’est du moins le chiffre qui avait été présenté par le Ministère de la sauvegarde des intérêts de la bourgeoisie, également appelé Ministère de l’économie et des finances. Peu importe que ces estimations soient clairement en décalage avec ce que les organismes internationaux prévoyaient pour la France, l’important c’était de nous vendre du rêve de croissance.
Une fois le budget voté il allait falloir assurer le rétropédalage, parce qu’en fait les estimations de croissances sont maintenant estimées à 1% du PIB. Peut importe, Bruno Le Maire se charge de l’annonce au JT de 20 heures de TF1 en mode « la croissanse ralentit partout dans le monde […] cela a un impact sur la croissance française », mais droit dans ses bottes il assure que « la croissance française résiste mieux que les autres grands pays développés » et surtout que rien ne serait « demandé aux français », ce qu’il faut traduire par : pas de hausse d’impôts pour les plus riches –, et que les économies seront faites « exclusivement sur le budget de l’État », ce qu’il faut traduire par : on ne demandera rien aux entreprises. Résultat : 10 milliards d’économies en 2024 et 20 milliards en 2025 à trouver majoritairement dans les budgets de l’écologie, de la santé, du social et de l’éducation.
690 millions d’euros sur le budget de l’Éducation nationale
Si les chiffres sont impressionnants ils restent finalement peu parlants tant on peine à incarner ces sommes dont il est difficile de saisir la matérialité. Le collectif Nos services publics [2], un collectif de fonctionnaires ayant notamment pour but de « mettre au jour et agir contre les dysfonctionnements institutionnalisés de nos administrations », a décortiqué le décret publié le 22 février « détaillant les mesures d’économies budgétaires ». Reprenant les données du gouvernement secteur par secteur il permet de voir concrètement ce que 10 milliards d’économies essentiellement supportées par des secteurs indispensables aux classes populaires.
La plus grosse part des économies sera faite sur les politiques « écologie, développement et mobilité durables », 2 milliards 460 millions. Logique quand on connaît la gravité de la crise environnementale ! 1 milliard d’économies sur le plan de rénovation énergétique ça correspond concrètement à renoncer à rénover entre 100 000 et 150 000 habitations, ce qui représente le nombre de logements d’une ville comme Rennes ou Lille. Sachant que selon l’Observatoire de la précarité énergétique, « 26% des ménages ont souffert du froid chez eux au cours de l’hiver 2022-2023 » [3], les familles monoparentales et les familles nombreuses sont les premières concernées. Autre économie sur les politiques écologiques : 500 millions de réduction du Fond d’accélération de la transition écologique dans les territoires (dit « Fond vert ») ce qui représente la non-rénovation de 48 collèges (mais rassurons-nous à Stanislas ou à l’École alsacienne tout va bien !).
Les forces de l’« ordre » épargnées par les économies
Deuxième secteur particulièrement ciblé par ces économies qui ne « touchent pas les français », l’enseignement et la recherche qui devront participer à hauteur d’1 milliard 590 millions d’euros ! Concernant l’enseignement les 690 millions d’euros d’économies ça représente concrètement l’équivalent de la suppression de 436 écoles primaires, 54 collèges et la fin de l’accompagnement de 14 000 élèves en situation de handicap ! Pour rappel entre les budgets 2023 et 2024, le financement, par nos impôts, de l’enseignement privé, financé à 75% par des fonds publics, est passé de 8 milliards 468 millions à 9 milliards 35 millions. Comme quoi en cherchant bien on aurait pu trouver des marges d’économie ! La recherche est elle aussi saignée avec une baisse de 900 millions d’euros de son budget, ce qui représente concrètement, au choix : la suppression du financement de 1500 projets de recherche ou bien la suppression d’un tiers des cours pour chaque étudiant·e inscrit·e en licence.
Par contre on ne demande que 232 millions d’euros d’économies à la Sécurité (police et armée), gageons que les plus de 78 millions d’euros d’achats de grenades de « maintien de l’ordre » [4], la plus grande commande en plus de dix ans, ne seront sans doute pas impactés par les économies.
S’attaquer aux services publics c’est s’attaquer aux plus précaires
Tandis que les revenus du capital augmentent sans commune mesure avec ceux du travail [5], c’est donc bien sur les couches populaires que pèseront les « efforts » et pendant ce temps là on ne touche pas aux véritables assistés : les capitalistes. Le « soutien à l’économie » ne verra son budget grévé que de 220 millions, ce qui n’est rien rapporté à l’ensemble des aides aux entreprises qui étaient de plus de 157 milliards en 2019, soit « l’équivalent de 6,4% du PIB (8,5% si l’on ajoute les niches déclassées) ou encore de plus de 30% du budget de l’État (41% avec les déclassées) » [6] selon l’IRES (Institut de recherches économiques et sociale) [7]. En 2023, les revenus des plus grosses capitalisations du CAC 40 ont explosé : 153,6 milliards d’euros de profits, 67,8 milliards d’euros de dividendes versés et 30,1 milliards de rachats d’actions pour l’année 2023 [8], mais personne à Bercy n’a semble-t-il songé à aller gratter quelques milliards de ce côté-ci.
Les mesures d’« économies » sont justement ciblées sur les services qui bénéficient aux plus précaires d’entre-nous. Il nous faut défendre nos services publics contre l’État qui n’est que l’expression des intérêts des capitalistes. À ce titre le mouvement massif de grève reconductible qui touche les écoles du 93 depuis maintenant quatre semaines nous montre la voie. Sans résignation et avec détermination fonctionnaires et usagers et usagères des services publics devons défendre notre bien commun contre les « dysfonctionnements institutionnalisés de nos administrations » et leur privatisation. Rappelons-nous que quand tout sera privé, nous serons privé·es de tout !
David (UCL Savoies)
[1] « Le budget 2024 définitivement adopté par le Parlement », Le Monde, 21 décembre 2023.
[2] Voir leur site Nosservicespublics.fr.
[3] « Les chiffres clés de la précarité énergétique (édition mars 2023) », Onpe.org.
[4] « Maintien de l’ordre : la France s’offre plus de 78 millions d’euros de grenades », Politis, 10 novembre 2023.
[5] « Entre 2021 et 2022 le montant total des revenus déclarés par les redevables de l’IFI a augmenté de 31,7% chez les foyers imposés à l’IFI contre 5,7% chez les autres foyers » note l’Observatoire de la justice fiscale, « Qui paie l’impôt sur la fortune immobilière ? », Obs-justice-fiscale.attac.org, 3 février 2024.
[6] « Le coût exorbitant des aides aux entreprises », Alternatives économiques, 21 janvier 2023.
[7] Dans son rapport de mai 2022, Un capitalisme sous perfusion : Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises, l’IRES rappelait à juste titre à propos des aides aux entreprises que « Christopher Howard proposait déjà en 1997 l’expression hidden welfare state, laquelle pourrait être actualisée en y ajoutant donc in favor of companies, soit littéralement “un État-providence caché en faveur des entreprises” », « Mesure, théories et effets macroéconomiques des aides publiques aux entreprises françaises », mai 2022, Ires.fr.
[8] « Des milliards d’euros de profits et de dividendes, une année record pour les entreprises du CAC 40 », Le Monde, 7 mars 2024.
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