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Législatives : Les élections, thermomètre passif du fascisme
Face à la possibilité imminente de l’arrivée de l’extrême droite à Matignon, l’Union communiste libertaire a fait le choix d’appeler à voter « sans illusions ni scrupules » pour lui barrer la route. Un choix tactique, qui n’éclipse pas une critique de fond de la démocratie bourgeoise.
La récente dissolution de l’assemblée nationale après les élections européennes a mis en évidence le fait qu’un système politique peut être profondément anti-démocratique tout en reposant sur un système de suffrage universel. Tout d’abord, l’absence de délai raisonnable entre l’annonce des élections législatives et leur tenue a rendue impossible toute campagne pour les partis : ces derniers n’ont pas eu le temps nécessaire pour former ou réactiver leur base militante, adapter leurs supports de communication ou faire connaître leurs candidat·es en les associant à des éléments forts de leurs programmes.
Un cadre qui favorise l’extrême droite
Ce délai très court a donc créé, de fait, une rupture entre les catégories sociales disposant du temps et des outils pour rechercher les informations liées aux programmes (qu’il s’agisse des projets des partis ou de la critique qui peut en être faite) et les autres. De même, les débats qui jalonnent une campagne demandent une préparation des candidat·es, qui doivent être formé·es à la présentation des idées ou aux discussions en opposition sur des points de programmes précis, et permettent normalement de faire connaître les lignes directrices des différents partis à l’ensemble des électeurs et électrices.
Le processus démocratique associé à l’élection doit donc laisser à ces derniers et dernières une période de réflexion et de discussion qui prend appui sur les débats publics, afin de construire une opinion avant le vote. En l’absence de discussion et d’espace de réflexion, les idéologies les plus répandues dans le contexte social bénéficient d’un avantage de fait dans le débat d’idées, puisque leur implantation leur donne une apparence de simplicité et de « bon sens ». Dans le contexte actuel de montée lente mais inexorable de l’extrême droite, les idées fascistes et réactionnaires bénéficient donc d’un avantage sur celles des mouvements de gauche, puisque ce sont elles qui sont les plus discutées au quotidien dans l’espace public.
Des logiques autoritaristes
Selon une analyse plus globale des systèmes électoraux, ils sont par essence vecteurs d’épuisement militant : les élections concentrent l’engagement sur des périodes très réduites, durant lesquelles l’investissement dans les tractages, recherches de signatures... deviennent le centre de la vie des militant·es, avant de cesser brutalement après l’élection. Ce surinvestissement sur des temps courts favorise des logiques d’implication à court terme, les militant·es étant, à l’issue de l’élection, souvent trop fatigué·es et parfois trop peu formé·es pour entamer un travail de fond le reste de l’année. Les mécaniques électorales favorisent donc un fonctionnement basé sur des engagements ponctuels, avec un début et une fin,qui ne permettent pas de s’engager efficacement pour la diffusion d’idées progressistes, condamnant la gauche à la réaction par rapport au travail de sape des droits organisé par les droites.
Ce processus est accentué par la constitution de collectifs qui, à l’image de LFI, ne se constituent pas en parti à proprement parler et négligent la formation de fond de leurs militant·es. L’investissement fort demandé au moment des élections favorise également un engagement émotionnel, souvent associé étroitement à la personnalité d’un·e candidat·e, qui amplifie la fatigue et entretient des logiques autoritaristes en faisant incarner un ensemble d’idées par une personnalité plutôt que par un groupe. Ce fonctionnement hiérarchisé entre des leaders et un collectif qui les soutient ne permet pas d’assurer un fonctionnement participatif au sein du parti lui-même. Les militant·es n’ont que peu d’influence sur les idées portées par le parti et sur ses lignes politiques, sauf à réussir à monter en hiérarchie, processus qui favorise les personnes les plus privilégiées dans la société (hommes blancs, cis, hétéros, valides).
Cet engagement quasi religieux a pu être retrouvé dans les appels au vote durant la campagne des législatives, au cours de laquelle toute analyse matérialiste de la situation a été rejetée en bloc au prétexte de l’urgence du moment. De même, la réaction de sidération collective à l’annonce des résultats du premier tour est symptomatique d’un manque d’engagement collectif à long terme. Les résultats de l’extrême droite sont équivalents à ceux obtenus lors des élections européennes et reflètent l’ambiance sociale réactionnaire des dernières années en France où les idées fascistes sont de plus en plus présentes depuis au moins les années 1980, soutenues par les gouvernements successifs justement pour servir un agenda électoral.
L’illusion d’un choix
Pour finir, le système électoral ne permet pas d’assurer une représentation des idées et ne constitue pas un mode d’expression pour la population votante, ce qu’il n’a par ailleurs pas vocation à faire. L’absence de comptabilisation des votes blancs, tout d’abord, rend toute une partie de l’opinion exprimée inaudible. Les élections n’ont donc pas pour fonction de représenter les idées des votant·es puisque seuls les soutiens exprimés en faveur d’un parti sont comptabilisés, d’autant que les votes exprimés en faveur d’un parti sont rarement des votes d’adhésion. L’absence d’infléchissement des lignes des partis par leur base ainsi que l’échec des initiatives d’assemblées citoyennes mises en place ces dernières années rend en effet l’expression directe de la population impossible dans ce cadre, d’autant plus dans un système français caractérisé par son centralisme et la concentration des pouvoirs. Le vote, présenté comme un moyen d’expression par les classes politiques et par une grande partie de la population au cours de la campagne de ces dernières législatives, est donc le plus souvent un choix par défaut, même en dehors des périodes d’union face à une menace fasciste.
En donnant l’illusion d’un choix, les élections visent par contre au maintien et à la stabilité du système en place en réduisant autant que possible l’écart entre les opinions dans la population et les gouvernements. Elles sont donc un outil de conservation d’un pouvoir en place, qui favorise par nature les idées réactionnaires, par lequel un changement radical de la société est impossible. Le système politique français doit être vu comme un outil de légitimation d’un pouvoir en place, y compris lorsqu’il est fasciste. Les votes récents pour l’extrême droite illustrent donc l’avancée des idées fascistes dans la société française et ce processus ne peut être stoppé par les urnes : les idées fascistes avancent sur le terrain et le vote peut permettre de repousser l’échéance de leur arrivée au pouvoir, mais reste sans effet sur leur diffusion. Cette dernière lutte ne peut se mener que par un investissement au long court dans le combat contre l’extrême droite.
Marco Pagot
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