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JO, Coupe du monde : Le sport au service des États et du Capital
Le sport est politique. En disant cela on enfonce évidemment une porte ouverte. Les grands évènements sportifs en sont une parfaite illustration, derrière un apolitisme souvent érigé en étendard qui va jusqu’à sanctionner les sportifs et sportives exprimant leur solidarité envers des causes politiques, et notamment l’antiracisme, ils servent de vitrine politique aux régimes politiques les pires et de vitrine commerciale aux grands groupes capitalistes.
Tout est politique, et le sport n’est pas une exception. Cependant, s’il y a un domaine de la société qui s’acharne à revendiquer un supposé apolitisme, c’est bien le sport, particulièrement à haut niveau. Ce discours est martelé par les dirigeants d’institutions sportives comme la FIFA ou le Comité international olympique (CIO) depuis leur création. Selon eux, le sport serait au dessus de la politique, parce qu’il rassemble, divertit et ne cherche que le dépassement de soi. Passons sur le fait qu’aucune de ces caractéristiques n’est véritablement neutre, bien au contraire. Ce qu’ils sous entendent c’est que le sport serait indépendant du champ politique, c’est à dire des gouvernements, des partis, de la « politique politicienne ». Au fond, ce que revendique le sport c’est d’être libre de toute ingérence politique [1].
Pour laisser à ses dirigeants de grandes marges de manœuvres, mais aussi surtout car cet « apolitisme » est lucratif. Après tout, comme le justifiait le joueur de basketball Michael Jordan pour expliquer son manque d’activisme politique : « Les républicains aussi achètent des baskets ». C’est aussi pour cette même raison que lorsque des sportif·ves de haut niveau tentent timidement de protester contre le racisme en posant un genou à terre (Colin Kaepernick dans le football américain, les joueurs et joueuses de football en Angleterre...) on leur demande de se taire et de jouer au ballon. Parce que tout conflit, toute division pourrait rebuter certains et donc faire baisser les profits...
Mais cet apolitisme revendiqué est d’autant plus faux, précisément car le sport a été instrumentalisé par les pouvoirs publics depuis son institutionnalisation au xixe siècle. Les Jeux olympiques (JO) et la Coupe du monde de football en sont les exemples les plus criants. Mégas événements globaux, ils sont aujourd’hui suivis par des milliards de personnes et jouissent d’une popularité sans égal, faisant presque croire au mythe de l’union des peuples tant déclamée. À ce titre, et ce depuis le début du xxe siècle, ils ont pu servir de moyen de propagande pour les pires régimes de la planète (Italie fasciste, Allemagne nazie, Junte militaire Argentine, URSS...). Ils sont encore largement instrumentalisés de nos jours par tout type de gouvernement, jusqu’aux moins recommandables (Chine, Russie de Poutine, Qatar, France de Macron...). En plus d’une couverture médiatique gigantesque et d’une association globalement positive avec le sport, il s’agit aussi de faire état de son soft power et de projeter face au monde sa « grandeur » [2].
Sport spectacle contre investissements sociaux
La capacité à faire de ces événements sportifs un « succès » est le moyen pour beaucoup de pays de se faire une place, ou de la consolider, dans la cour des grands comme l’a revendiqué la Chine en 2008 [3]. En effet, les immenses défis logistiques et les dépenses colossales engagées (on atteint les dizaines de milliards d’euros désormais), dues aux cahiers des charges toujours plus exigeants de la FIFA et du CIO ne sont pas à la portée de tout le monde. Et tant pis si ces sommes ne sont pas investies dans le service public. En 2014, au Brésil, pays féru de football s’il en est, de nombreux habitants et habitantes ont protesté contre le manque de financement des hôpitaux et des écoles, et le gâchis d’argent public dans la Coupe du monde. Le gouvernent préféra réprimer dans la violence plutôt que de renoncer au projet [4].
Les gouvernements en veulent donc pour leur argent et utilisent autant qu’ils peuvent ces événements pour se donner une bonne image, passer sous silence leur oppression et leur corruption, ou tout simplement faire taire les dissident·es pour ne pas ternir l’image donnée au monde, et ainsi asseoir leur puissance. Mais c’est aussi une manière de faire plaisir aux capitalistes de tous bords.
Un sport façonné pour les intérêts des capitalistes
Contrairement à l’idéal annoncé, la raison principale de ces événements, ce n’est pas la beauté du sport ou l’union entre les peuples, mais de faire de l’argent. Les marques se bousculent pour devenir « fournisseurs officiels » de ces événements, obtenant des contrats d’exclusivité qui vont jusqu’à interdire à toute marque concurrente de se revendiquer affiliée à l’événement ou de faire de la pub aux alentours des stades [5]. Tout est contrôlé, marketé, et presque chaque centimètre carré de ces événements est vendu aux intérêts capitalistes. Évidemment, ces décisions vont régulièrement à l’encontre du bien commun. Ainsi alors que l’alcool dans les stades était interdit au Brésil à cause des violences qu’il entraînait, il a été ré-autorisé pour la Coupe du monde 2014 suite à la pression de la FIFA sur le gouvernement pour soutenir leur sponsor Budweiser [6].
Malgré les sommes colossales engrangées par les marques suite à ce sponsoring, très peu reviennent aux pays ou villes organisatrices. On vante souvent les événements sportifs comme étant des opportunités économiques importantes, mais c’est rarement le cas. Les revenus des JO en général ne couvrent pas les coûts immenses engrangés, payés in fine par les populations locales. Les JO de Londres ont coûté 18 millions de dollars et n’en ont rapporté « que » 5,2... dont la moitié est allée au CIO [7].
Il n’est donc pas surprenant que pour préserver leurs intérêts économiques, les institutions sportives et leurs soutiens capitalistes préfèrent une population docile et qui consomme sans perturber les choses, et n’ont donc aucun problème à confier ces événements aux pires régimes. Après tout, Jérôme Valcke, ancien secrétaire général de la FIFA avait déclaré un jour qu’« un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde » [8]…
Ces mots n’ont jamais été plus vrais que pour les JO de Berlin 1936 en Allemagne nazie, et la Coupe du monde 1978 dans une Argentine dominée par la junte militaire. Ces deux exemples méritent qu’on les développe. Dans les deux cas, l’organisation des événements avait été confiée avant l’installation de ces régimes autoritaires qui en ont profité pour les utiliser comme des outils de propagandes. Les institutions sportives s’en sont très bien accommodées, leur seule inquiétude étant que tout se passe bien. Pour ces états, un double objectif : montrer au monde que le régime n’est pas aussi monstrueux que sa réputation, tout en renforçant son contrôle au niveau national.
Une aubaine pour les régimes dictatoriaux
Ainsi, à Berlin, les nazis ont beaucoup investi pour garantir un succès administratif et logistique des JO, tout en atténuant officiellement leur rhétorique raciste, nationaliste et antisémite. Ainsi de nombreux spectateurs étrangers sont repartis d’Allemagne en pensant que le régime nazi n’était pas si horrible [9]. Après tout, « officiellement » aucune personne juive n’était interdite de participer, mais c’est passer sous silence l’expulsion ou les disqualifications douteuses de l’essentiel des sportifs et sportives juifs et juives de plusieurs fédérations, notamment d’Allemagne mais aussi des États-Unis [10]. Finalement, très peu d’athlètes juifs et juives participeront, même si certains, comme Ibolya Czak, Juive hongroise qui égala le record d’une athlète juive allemande disqualifiée et remporta l’or, purent briller. Pour convaincre les autres nations qu’ils n’étaient pas un régime raciste, le ministère de la propagande nazie en est même jusqu’à interdire à la presse allemande de critiquer les athlètes noir·es [11].
Il faut noter d’ailleurs qu’alors que les JO devaient consacrer pour les nazis la suprématie de la race aryenne, ce fut un athlète noir américain, Jesse Owens, qui marqua les Jeux de ses performances, mettant en théorie à mal la propagande nazie. Il a beaucoup été écrit sur la portée symbolique des nombreuses médailles d’Owens, et cela a été remarqué par de nombreux contemporains des Jeux, mais le but des nazis n’était pas forcément de convaincre les autres pays de leur idéologie, sinon que d’impressionner et d’adoucir leur image. Il est d’ailleurs particulièrement significatif qu’Owens ait été globalement mieux traité par la presse nazie que par la presse américaine.
L’opposition au fascisme et à l’idéologie nazie a entraîné d’importants débats, particulièrement en France et aux États-Unis [12]. Léon Blum renonça au boycott, mais aida à la mise en place des Olympiades populaires de Barcelone de 1936. La proposition de boycott fut largement discutée par diverses fédérations, et ce ne fut qu’après un vote très serré que le comité olympique américain participa, sous l’impulsion de son président d’alors, et futur président du CIO, Avery Brundage, antisémite notoire [13]. Plusieurs athlètes juifs renoncèrent cependant à participer. Ces débats et tentatives de boycott, mirent un projecteur sur l’Allemagne et influencèrent probablement la volonté des nazis de limiter publiquement et cyniquement leur antisémitisme pour faire patte blanche. Le bilan de l’instrumentalisation des JO par les nazis est mitigé, mais il est certain que les nazis ont tout fait pour utiliser cet événement à leur avantage.
Divertir les masses, torturer les opposant·es
Dans le cas de la Coupe du monde 1978, la junte argentine s’inscrivait dans la continuité de tous les régimes autoritaires qui ont pu organiser ce type d’événements. Sujette à de nombreuses critiques politiques, mais aussi d’investisseurs capitalistes, elle mit en place une véritable stratégie marketing, faisant appel à une grande agence de communication, Burson-Marsteller, pour un contrat de plus d’un million de dollars [14] ce qui était alors inédit pour un régime autoritaire. Armé de ce plan précis, l’idée était, comme 42 ans auparavant, de faire passer le régime pour ce qu’il n’est pas, de nier son caractère autoritaire pour rassurer les autres pays, tout en renforçant son contrôle social. De fait, alors que face aux touristes le régime s’avérera très complaisant, le plus grand camp de torture, L’Escuela de Mecanica de la Armada, se trouvait à quelques centaines de mètres du stade ou se déroulait la finale. De nombreux opposants politiques entendaient même les cris du public depuis leurs cellules [15]. Certains tortionnaires poussèrent le vice jusqu’à déambuler en voiture avec des prisonniers pour leur montrer que tout le monde se fichait de leur situation.
La propagande du régime fut en partie un succès. Le résultat sportif fut indéniable, mais entaché de forts soupçons de corruption, l’Argentine devenant championne du monde pour la première fois. Cette victoire, mais aussi la liesse qui suivit fut récupérée et instrumentalisée par le régime. Ce dernier a aussi pu se targuer d’une organisation presque sans faille, saluée par les institutions sportives [16]. Il faut aussi noter que cette victoire a sûrement permis au régime de prolonger sa mainmise sur le pays en lui donnant un peu de répit. Cependant, la Coupe du monde 1978 a aussi été au centre de nombreux mouvements de boycott et de dénonciation.
Dénoncer le sport spectacle au nom de l’amour du sport
Alors que la question de l’Argentine était auparavant très discrète, ce méga événement sportif a permis de mettre à l’agenda le sujet et à entraîné un vif débat dans le monde occidental. Cela a, comme en 1936, poussé le régime à montrer son meilleur visage devant les caméras. La Coupe du monde a été un outil de propagande ambigu pour le régime, à la fois efficace mais prêtant le flanc à la critique. Il en est cependant ressorti renforcé, l’indignation mondiale étant d’ailleurs vite retombée dans les milieux militants européens, se concentrant sur les JO de Moscou de 1980 [17].
Si aujourd’hui on parle de ces grands événements sportifs dans des dictatures avec un regard critique, il ne faut pas se leurrer sur l’incroyable potentiel propagandiste qu’ils ont constitué à leurs époques. De nos jours, les logiques sont les mêmes. Les gouvernements se servent de ces événements pour renforcer leur soft power, redorer leur image, mieux asseoir leur domination nationale et internationale, mais aussi pour renforcer les intérêts capitalistes les plus outranciers. Alors que les JO vont avoir lieu en France en 2024 il est urgent de se rappeler du passé, de voir ces événements pour ce qu’ils sont et de les dénoncer, jusqu’à lutter directement contre, même et surtout si on est fan de sports.
Sano (UCL Marseille)
[1] Jacques Defrance, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif. », Politix, vol. 13, n°50, deuxième trimestre 2000, p. 13-27
[2] Jean-Marie Brohm, Le sport-spectacle de compétition : un asservissement consenti, Quel sport ? Éditions , 2020
[3] « JO : Pékin célèbre la “renaissance” de la Chine, le monde », Le Monde, 7 août 2008.
[4] « Brazilian anti-World Cup protests hit Sao Paulo and Rio », BBC, 16 mai 2014.
[5] « Fifa foils Pepsi ambush », The Guardian, 11 juin 2002.
[6] « Brazil World Cup beer law signed by President Rousseff », BBC, 6 juin 2012.
[7] « The Economics of Hosting the Olympic Games », Étude du Council on Foreign Relations, Cfr.org
[8] « La Fifa : “Un moindre niveau de démocratie parfois préférable pour organiser un Mondial” », Le Nouvel Obs, 25 avril 2013.
[9] Allen Guttmann, « Berlin 1936 : The Most Controversial Olympic », National Identity and Global Sports Events, Alan Tomlinson et Christopher Young (dir.), State University of New York Press, 2006.
[10] Ibid.
[11] Ibid.
[12] Richard D. Mandell, The Nazi Olympics, University of Illinois Press, 1987.
[13] « Racist IOC President Avery Brundage Loses His Place of Honor », The Nation, 25 juin 2020.
[14] Jean-Gabriel Contamin et Olivier Le Noé, « L’événement sportif comme opportunité : contingence et réversibilité des usages politiques du Mondial de 1978 en Argentine », Les usages politiques du football, L’Harmattan, 2011.
[15] Eduardo Archetti, « Military Nationalism, Football Essentialism, and Moral Ambivalence », National Identity and Global Sports Events, Alan Tomlinson et Christopher Young (dir.), State University of New York Press, 2006.
[16] Jorge Lanata, Argentinos. Tomo 2 Siglo xx : desde Yrigoyen hasta la caída de De la Rúa, Ediciones B, 2003.
[17] Jean-Gabriel Contamin et Olivier Le Noé, « La coupe est pleine Videla ! Le Mundial 1978 entre politisation et dépolitisation », Le Mouvement Social, 2010, tome 1, no 230, p. 27-46.
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