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Bataille des retraites : C’est l’inventivité qui nous fera gagner
Trois mois de lutte indécise, une intersyndicale qui reste unie à la surprise générale, un mouvement ponctuellement massif dans la rue, des émeutes et des blocages, mais peu de vraies grèves durables. Où peser, comment agir pour gagner ?
On sera passé par des hauts et des bas depuis le début de la lutte contre les 64 ans ! Le mouvement a démarré avec des raz-de-marée dans la rue en manif les 19 et 31 janvier ; s’est maintenu avec des grèves minoritaires mais un énorme soutien populaire ; a échoué à installer la grève reconductible à partir du 7 mars ; a convergé de façon inégale avec le mouvement féministe le 8 mars ; semblait sur le déclin le 15 mars...
Or la journée de grève du 23 mars a marqué une remontée de la conflictualité, avec de nouveaux départs en grève, la multiplication des blocages économiques et des nuits émeutières, et surtout la possible extension de la contestation à la jeunesse étudiante et lycéenne avec l’espoir d’un scénario analogue à celui du CPE en 2006 : une contestation sociale hors contrôle, qui oblige le gouvernement à retirer une loi pourtant validée.
Quels constats provisoires tirer de ce mouvement social qui ne ressemble à aucun de ses prédécesseurs depuis 1995 ?
L’improbable (mais utile) unité syndicale
Élargie à son maximum, l’intersyndicale regroupe des syndicats de lutte (CGT, Solidaires) et des syndicats cogestionnaires (CFDT, CFTC, CGC), en passant par les syndicats plus ambivalents (FO, FSU, Unsa). Cette unité syndicale était improbable, mais elle a permis des mobilisations massives. Lors de son dernier congrès confédéral, et contre l’avis de son secrétaire général Laurent Berger, la CFDT avait opté pour le refus des 64 ans, entraînant derrière elle les autres organisations syndicales cogestionnaires.
Tout le monde anticipait néanmoins la trahison habituelle de la CFDT. Or, surprise, elle n’est pas advenue. Et la dimension unitaire a été un atout majeur pour convaincre les salarié·es même modéré·es d’entrer en lutte. Il faut utiliser au mieux cette dimension unitaire pour mobiliser dans les branches, dans les localités, dans les entreprises. D’autant que si le dénominateur commun de l’intersyndicale est minimal (« non aux 64 ans »), l’originalité du deal est que chacun reste maître de ses revendications comme de ses consignes. Ainsi l’intersyndicale n’a pas dissuadé les orgas syndicales plus combatives (CGT, SUD), de lancer des appels clairs à reconduire la grève.
Manifester n’y suffira pas
À l’heure où nous publions cet article, personne ne peut prédire la victoire ou la défaite. Mais les actions unitaires – et les coups reçus ensemble – sont autant de pierres à l’édifice d’une éventuelle recomposition du syndicalisme de lutte impliquant CGT, FSU, Solidaires. Instruits par l’échec des journées massives mais espacées du mouvement de 2010 (recul de la retraite de 60 à 62 ans), les travailleuses et travailleurs savent que ni les manifestations monstres ni les sondages ne suffisent à faire reculer la bourgeoisie. Seule une paralysie prolongée du maximum d’activités peut amener les capitalistes à dire à leurs valets au pouvoir : « Stop ! Cette réforme nous coûte plus cher qu’elle ne rapportera, et l’agitation sociale qu’elle alimente risque de faire boule de neige. »
C’est pourquoi il est bon d’associer, à l’opposition aux 64 ans, l’amélioration des conditions de travail et surtout la hausse des salaires et des minimas sociaux qui, avec l’inflation galopante, est devenue un sujet explosif.
Revendiquer l’autogestion de la sécu
Objectif stratégique, la grève générale expropriatrice surviendra d’un ras-le-bol général et non pas de décisions d’états-majors syndicaux ou politiques. À l’occasion d’une grève de masse sur un objectif limité, nous jouons bien sûr les prolongations, tant que les grévistes tiennent bon, jusqu’à la révolution sociale si possible !
Si la situation ne va pas jusque-là, il faut tout de même, au-delà du retrait des 64 ans, une revendication autogestionnaire : la revendication que les caisses de sécu soient administrées exclusivement par les mandaté·es des salarié·es, sans la patte du patronat et de l’État. Les cotisations sociales sont le fruit du travail, elles appartiennent aux travailleuses et travailleurs ! Malheureusement la grève reconductible, malgré les appels du trio CGT-FSU-Solidaires, n’a pris que dans trop peu d’endroits. Cet échec témoigne de l’immensité des déserts syndicaux, d’une démoralisation de notre classe après des années de défaites et de trahisons de la « gauche », de délocalisations, de sous-traitance, de précarisation…
Et quand la grève ne prend pas ?
La grève reste notre objectif premier, car c’est dans la grève que se forge une résistance collective pérenne au cœur du pouvoir capitaliste : l’entreprise. Mais si elle ne prend pas, il faut être inventif. De l’intérieur, le sabotage du travail peut prendre diverses formes, individuelles (perdre une clef, subtiliser une pièce motrice...) ou collectives (grève du zèle, grève perlée, ralentissement des cadences...). Un·e collègue qui dépose une RTT le jour de la grève, c’est moins bien qu’un·e gréviste, mais c’est mieux qu’un·e collègue présent·e au travail ! De l’extérieur, on peut organiser des actions de blocage – en concertation avec les militant·es à l’intérieur, c’est mieux.
Pour épauler les secteurs en grève reconductible, il faut saluer les initiatives de solidarité : caisse de grève, cantines gratuites, etc. À condition de ne pas être un prétexte pour ne pas faire grève soi-même, elles représentent un (modeste) secours financier, mais sont bonnes pour le moral et la popularisation de la lutte.
Ne pas céder au substitutisme
Les communistes libertaires poussent à la prise en main de la grève par l’AG des grévistes, dans l’entreprise, AG qui mandaterait clairement des délégué·es pour coordonner l’action dans les localités et dans les branches. Mais le préalable à cela, c’est qu’il y ait des AG massives. Or cela a fait cruellement défaut jusqu’ici. Les gens font grève, manifestent, mais viennent peu en AG. Il ne sert à rien de forcer la réalité en inventant des « délégué·es » issu·es d’AG squelettiques et des « coordinations » tout aussi hors sol, comme le font certains groupes néoléninistes qui tentent de prendre la main sur le mouvement social. C’est juste du substitutisme.
Et les « AG interpro » locales ? Le besoin de débattre et d’agir ensemble en a fait surgir dans plusieurs localités, comme en 2010 et en 2016. Il faut y participer en étant lucides sur leurs limites : elles ne sont nullement « interpro » ou « intersecteurs » si elles ne regroupent pas des délégué·es d’entreprises dûment mandaté·es. Mais elles peuvent jouer un rôle positif en organisant des actions, des blocages, de la popularisation, des caisses de solidarité.
La gauche parlementaire à la peine
L’échec de la « Marche pour les retraites » organisée par la Nupes le 21 janvier, deux jours après le succès de la grève du 19 janvier, avait clairement établi que c’était une logique de lutte et d’action directe des salarié·es qui devait prévaloir sur une logique de délégation à la représentation parlementaire. LFI a dû en rabattre sur ses prétentions hégémoniques. D’autant qu’elle est alliée, au sein de la Nupes, avec EELV et le PS qui ont pris leur part dans la casse des retraites sous la présidence Hollande, avec la réforme Touraine.
Aujourd’hui la Nupes essaie d’attirer l’attention sur le Référendum d’initiative partagée (RIP) dont elle a lancé le processus. Disons-le clairement : c’est un gadget dilatoire. Le RIP a été inventé par Sarkozy en 2008 précisément pour qu’il n’y ait jamais de référendum, puisqu’il suffit que l’Assemblée inscrive le sujet à son ordre du jour pour que le référendum soit annulé. Entre-temps, des dizaines de milliers de militant·es de gauche auront perdu leur temps à recueillir 4,5 millions de signatures, en vain. La lutte, c’est ici et maintenant qu’elle se joue, pas avec ce gadget dilatoire.
L’extrême droite cible Macron et les syndicats
Le RN et Marine Le Pen soutiennent verbalement la contestation, tout en accusant la gauche et les syndicats de vouloir l’instrumentaliser. Combinaison d’antisyndicalisme et d’assentiment à la colère populaire. Elle ne sera déjouée que si les syndicats de lutte réussissent à animer le combat jusqu’à la victoire.
Plus nouvelle est l’infiltration ponctuelle de groupuscules confusionnistes ou franchement fafs dans certains « cortèges de tête ». Le 11 mars à Paris, c’est un groupe d’extrême droite qui a ainsi attaqué la CGT, en entraînant avec lui des manifestant·es qui se sont laissé·es instrumentaliser. Le 6 mars, c’en est un autre qui a incendié trois véhicules et tagué la maison des syndicats à Chambéry.
Une crise de régime
Un fait central demeure : au cours de cette mobilisation, nous avons engrangé des forces. La syndicalisation est repartie à la hausse, des travailleuses et des travailleurs ont relevé la tête pour la première fois, se sont parlé à la pause, à la sortie du boulot, en AG, ont fait grève, ont rejoint les manifestations. Dans celles-ci, ils et elles ont été au contact d’organisations syndicales et politiques, ont discuté, débattu, ont pu éventuellement expérimenter des cadres d’auto-organisation, ont vu leur vision du monde renouvelée.
C’est le point de départ d’une possible reconstruction d’un mouvement social combatif et autogestionnaire.
Le 16 mars 2023, le gouvernement a utilisé, pour la énième fois, l’article 49.3. L’indignation a été immense. Et pourtant, il ne faut pas s’y tromper : cet autoritarisme n’est pas le fait d’un tyran qui, parvenu à l’Élysée, piétinerait la démocratie. Tout ce qu’il fait est parfaitement légal, constitutionnel, en phase avec les intérêts des capitalistes, dont l’État est l’instrument. Et il en sera ainsi tant que nous laisserons subsister ce système aberrant. La démocratie n’y est que façade. Et Emmanuel Macron nous le démontre chaque jour.
Commission Travail de l’UCL, 24 mars 2023
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