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Parcs Naturels : Conservationnisme de la nature ou colonialisme vert ?
Depuis le XIXe siècle, en Europe et en Amérique du Nord, les mouvements écologistes préservationnistes puis conservationnistes ont défendu la création d’espaces protégés pour lutter contre la destruction de milieux et d’espèces. Avec succès, ces parcs se sont multipliés et sont souvent comme la meilleure solution à la chute catastrophique de la biodiversité. Pourtant, à les étudier de plus près, ceux-ci renforcent en réalité des systèmes de domination, notamment racistes et colonialistes.
Depuis le XIXe siècle, en Europe et en Amérique du Nord, les mouvements écologistes préservationnistes puis conservationnistes ont défendu la création d’espaces protégés pour lutter contre la destruction de milieux et d’espèces. Avec succès, ces parcs se sont multipliés et sont souvent comme la meilleure solution à la chute catastrophique de la biodiversité. Pourtant, à les étudier de plus près, ceux-ci renforcent en réalité des systèmes de domination, notamment racistes et colonialistes.
Pour étudier les lourds problèmes que pose le mouvement conservationniste depuis ses origines, et plus particulièrement certains parcs nationaux, je vous propose de revenir, principalement, sur deux d’entre-eux apparemment assez différents l’un de l’autre : le parc du Yellowstone [1] aux Etats-Unis, premier du genre et modèle international, créé en 1872 et celui du Semèn [2], au nord de l’Éthiopie, créé en 1969. Au delà de leurs apports, ils ont, effectivement, de nombreux travers en commun.
Le mythe d’une nature sauvage
Au fondement de la création de ces deux parcs, se trouvent deux mythes qui ont pour point commun de fantasmer des espaces naturels vierges de tout contact humain, ou presque. D’un côté, se trouve la wilderness américaine : le vaste territoire du parc est présenté comme ayant de larges espaces n’ayant jamais connu d’humains, les Amérindien·nes ne feraient que passer.
Ceci, malgré les multiples témoignages, dont certains par des personnes ayant travaillé pour élaborer le futur parc, faisant état de la présence pérenne de populations amérindiennes. Mais cet aspect sauvage était essentiel pour investir ces lieux d’une valeur spirituelle, d’en faire un espace permettant de retrouver l’« Amérique mythifiée » des pionniers.
Pour les parcs africains en général, c’est le mythe de l’« Éden africain » qui a inspiré les experts occidentaux. Ce mythe est fortement présent dans les grandes instances internationales de protection de l’environnement, notamment avec la création de la Liste du patrimoine mondial de l’Humanité qui place près de la moitié du patrimoine culturel en Europe et un quart du patrimoine naturel en Afrique.
Une division exprimée dès 1963 par Jacques Verschuren, à la tête des parcs nationaux du Congo : « L’Europe a ses cathédrales préservées à travers les âges, l’Afrique peut être fière de montrer ses prodigieux spectacles naturels ». C’est pour préserver une nature originelle que des parcs sont créés en Afrique, dans des espaces pourtant bien peuplés.
Des populations locales chassées et criminalisées
Comment traiter, alors, des populations dominées vivant depuis des années dans des espaces que l’on rêve comme totalement sauvages ? Et bien, en les chassant et en les criminalisant ! Ainsi, de 1872 à 2016 des populations sont déplacées.
Pour Yellowstone, cela entre dans un contexte large de mise au pas des populations amérindiennes et de leur enfermement dans des réserves. Pour s’assurer de leur absence, on envoie l’armée et on fait de leur pratique du brûlis la principale menace contre les forêts du pays.
En Éthiopie, après cinquante ans d’action en ce sens par les instances internationales, 2 000 habitant·es de Gich au coeur du parc ont été déplacé·es en 2016. En cause, notamment, leur pratique d’un agro-pastoralisme en terrasse et extensif présenté comme la principale menace pesant sur un patrimoine mondial en péril.
Pourtant, il est proche de celui des Cévennes qui a justifié le classement d’une partie de cette région sur la liste du patrimoine mondial ! L’interdiction totale de leur moyen de subsistance avait également entraîné la condamnation de 2 000 personnes entre 1995 et 2012 soit le cinquième de la population du Semèn !
Au service du tourisme et du nationalisme
Si les conséquences des politiques conservationnistes peuvent donc être dramatiques, on pourrait se dire qu’elles ont, au moins, le mérite d’être entièrement au service de l’écologie. Mais, en fait, c’est loin d’être si simple. Ainsi, dès leur création, ces parcs ont été pensés pour préserver une nature sauvage afin que des visiteurs puissent en profiter. Ainsi, la présence de touristes est non seulement prévue mais encouragée.
Par exemple, si les populations du Semèn sont poussées à quitter le parc pour s’installer en lisière de celui-ci c’est, aussi, pour les faire travailler à l’accueil des 4 000 touristes annuels. C’est donc, en grande partie, pour des populations occidentales que ces espaces doivent être préservés, y compris contre leurs habitant·es !
Les États qui agissent pour la création de ces parcs poursuivent aussi des objectifs politiques. Ainsi, le Yellowstone, créé dans un contexte post-guerre de Sécession, est pensé dès le départ comme un symbole d’unité nationale.
Au Semèn, si Hailé Sélassié veut la création d’un parc c’est, non seulement, pour des raisons de prestige international mais aussi parce qu’il veut en profiter pour hisser le drapeau éthiopien dans une région montagneuse et s’imposer à des populations réticentes à son pouvoir.
Pour les pouvoirs occidentaux, la création d’une notion de patrimoine universel à protéger, dans un contexte de décolonisation, a permis de relégitimer leur présence dans les ex-colonies, au nom de l’expertise nécessaire pour cette cause. Comme le dit Guillaume Blanc, « les institutions internationales agissent au nom du fardeau environnemental de l’Occidental, expert légitimé par des théories écologiques ».
Bon pour la nature ?
Enfin, il n’est pas si certain que les actions de préservations menées soient toujours utiles. Ainsi, Guillaume Blanc montre que les deux arguments justifiant la répression contre les populations du Semèn sont très faibles. En effet, le patrimoine naturel de la région serait en péril d’une part par la déforestation, d’autre part, par la disparition des bouquetins d’Abyssinie.
Hors, l’idée d’une déforestation repose sur des estimations d’un ancien couvert forestier très peu fiables des années 60, contredites par les témoignages de voyageurs des XVIe et XVIIe siècles, et la population de bouquetins augmente depuis 1963 ! Il est donc possible que l’action néfaste des habitant·es soit, en bonne partie, un mythe.
Enfin, comme l’ont montré les travaux de Violette Pouillard [3] ces parcs freinent souvent peu l’exploitation pour des intérêts occidentaux et sont en fait peu adaptés aux besoins des animaux locaux. Mais nous aurons probablement l’occasion de mieux en parler dans de futurs articles !
[1] Étudié par Karl Jacoby, notamment, dans son article « Yellowstone, 1872 : un parc sans Indiens », L’Histoire, n°476, octobre 2020 et son livre Crimes contre la nature. Voleurs, squatters et braconniers. L’histoire cachée de la conservation aux États-Unis, Toulouse, Anacharsis, 2021.
[2] Étudié par Guillaume Blanc dans son article « A la poursuite de l’éden africain », L’Histoire, n°418 et son livre L’Invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l’Éden africain, Flammarion, 2020
[3] Pouillard, Violette, Histoire des zoos par les animaux, Champ Vallon, 2019