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Répression : Procès du « 8 décembre », toutes et tous terroristes ?
En octobre dernier se tenait le procès des « inculpé·es du 8 décembre » sous le chef d’accusation d’association de malfaiteur terroriste. Il s’agit du premier procès pour terrorisme visant la gauche depuis 2012. Les vides du dossier ont abouti à des condamnations basées davantage sur les idées des prévenu·es que sur leurs actes, posant la question : toute critique radicale de l’État et de la police est-elle terroriste aux yeux des juges ?
À l’aube du 8 décembre 2020, la DGSI et le RAID arrêtent neuf personnes à Rennes, Toulouse, Vitry-sur-Seine et Cubjac. Sur le coup celles et ceux que l’on finira par désigner comme les inculpé·es du 8 décembre ne comprennent pas ce qui leur tombe dessus, réveillé·es en pleine nuit par la police antiterroriste qui défonce leurs portes et les braque avec des fusils d’assaut. À l’issue des gardes à vue, sept personnes sont mises en examen pour « association de malfaiteurs en vue de commettre des actes terroristes ». Cinq d’entre elles sont placées en détention provisoire sous le statut de détenus particulièrement signalés (DPS), dans des conditions particulièrement difficiles.
En février 2022, Florian D., appelé Libre Flot, entame une grève de la faim. Il est alors le dernier inculpé encore en détention provisoire, maintenu à l’isolement depuis plus d’un an. Après 37 jours de grève, le juge d’instruction acceptera finalement sa demande de remise en liberté sous contrôle judiciaire pour raisons médicales, son état de santé devenant critique [1]. En parallèle, l’État est condamné en juillet 2023 pour les fouilles à nu subies de façon systématique pendant sa détention par Camille, seule femme prévenue dans l’affaire [2]. Dès l’instruction, le message est clair : la notion de présomption d’innocence ne s’applique pas aux détenu·es lambda, à plus forte raison à celles et ceux à qui l’on a collé l’étiquette de terroristes.
Après trois ans de procédure leur procès s’est ouvert le 3 octobre et aura duré quatre semaines. Dès le premier jour la présidente du tribunal donne le ton, se disant prête à faire « la police de l’audience », prévenant qu’elle n’hésitera pas à exclure des personnes du public où de nombreux soutiens sont présents. Les audiences seront souvent marquées par des rires devant les absurdités du dossier, comme lorsqu’un document présenté comme une carte des Champs Elysées le 14 juillet se révèle en fait être un mème, ou quand des sons au sein d’un enregistrement audio présentés comme des tirs de fusil automatique s’avèrent en fait être les chocs d’une cuillère sur un bol [3].
Construction policière
Au fil du procès, il apparaît de plus en plus évident que le dossier a été construit pour coller à une narration pré-établie par la DGSI. Celle-ci présente Libre Flot comme un « leader » ayant cherché à constituer un groupe autour de lui en vu de commettre des attentats. Le principal élément qui lui est reproché : un séjour au Rojava en 2018 pendant lequel il a combattu Daesh au coté des YPG. Les enquêteurs y voient le signe d’une radicalisation.
L’accusation va s’appuyer pour l’essentiel sur la saisie de quelques armes de chasse, non déclarées pour certaines, et surtout sur un séjour en Dordogne au milieu du premier confinement sanitaire pendant lequel certain·es inculpé·es ont pris part à des parties d’airsoft et fabriqué des explosifs artisanaux. Le parquet national anti-terroriste (Pnat) y voit un entraînement para-militaire. Pour la défense, il s’agit simplement d’un groupe d’amis trompant l’ennui pendant le confinement. Les rares documents disponibles vont dans ce sens, montrant une ambiance amicale et alcoolisée. Dans les sept mois suivant de surveillance policière il n’y aura plus d’occurrence des activités incriminées.
Surtout, si les documents sont rares, c’est par la volonté de la DGSI et grâce au soutien du tribunal. Sur les plus de 11 000 séquences audio enregistrées seules 86 sont retranscrites et versées au dossier. Des images vidéo provenant d’une caméra installée par les renseignements pendant le séjour disparaissent du dossier, à cause d’une « erreur non intentionnelle d’un opérateur » d’après la DGSI. Tout laisse deviner une sélection d’éléments à charge, quand ils ne sont pas directement fabriqués, comme certains enregistrements dont l’écoute à l’audience révélera un contenu bien différent de leurs transcriptions. Devant toutes les questions soulevées par l’enquête la défense a voulu citer comme témoins deux agents de la DGSI l’ayant élaboré. Ils ont tous les deux refusé de comparaître, avec le soutien de la présidente du tribunal qui aurait put les y contraindre mais a refusé de le faire.
Une grande partie des interrogatoires vont finalement tourner autour des opinions politiques des inculpé·es. On interroge la lecture de Kropotkine et Blanqui. On questionne les inculpé·es sur leurs tatouages ou leur alimentation. On utilise chaque élément de surveillance, relevant des phrases dites sous le coup de la colère, ou alcoolisé au milieu de la nuit, comme des éléments à charge. L’utilisation d’outils comme Signal ou Tor est aussi pointée du doigt, le simple fait de protéger sa vie privée devenant un motif de suspicion terroriste [4].
Prison ferme pour une suspicion d’intention
Après un mois d’attente, le délibéré a été rendu le 22 décembre. Tou·tes les inculpé·es sont déclaré·es coupables et condamné·es à des peines allant de 5 à 2 ans de prison et à une inscription au FIJAIT (voir encadré) pour six d’entre eux.
Dans la brève motivation donnée à l’audience la présidente déclare que si il n’y a pas « la preuve d’un projet abouti », elle considère que les inculpé·es en avaient « l’intention ». On arrive là à l’aboutissement du fantasme policier d’une justice d’anticipation : on ne condamne plus les actes, on ne condamne plus les projets d’acte, non, on n’hésite plus à condamner à de la prison ferme sur la seul base de l’hypothèse d’une intention. En d’autres termes, on acte la possibilité de condamner toute personne jugée un peu trop proche d’une idéologie révolutionnaire, à plus forte raison si celle-ci critique l’État et la police.
Six des inculpé·es ont annoncé faire appel. Face à un combat judiciaire qui s’annonce long, il sera important de continuer à les soutenir face à la violence de la justice anti-terroriste pour éviter que leur condamnation ne soit qu’une étape de plus dans l’escalade de la criminalisation des opinions et engagements politiques révolutionnaires, anticapitalistes, anarchistes et internationalistes.
N. Bartosek
[1] « Après 37 jours de grève de la faim, le militant détenu en isolement Libre Flot a été libéré », 7 avril 2022, sur Basta.media.
[2] « L’État condamné pour des fouilles à nu illégales pendant une détention provisoire pour “terrorisme d’ultragauche” », 11 juillet 2023, sur Streetpress.com.
[3] « Procès de “l’ultragauche” : “On était des débilos qui s’amusaient à faire des gros pétards” », 12 octobre 2023, sur Mediapart.fr.
[4] « Affaire du “8décembre” : le droit au chiffrement et à la vie privée en procès », le 2 octobre 2023, sur Laquadrature.net.
Pour soutenir les inculpé·es :
soutien812.blackblogs.org
soutienauxinculpeesdu8decembre.noblogs.org
solidaritytodecember8.wordpress.com (soutiens internationaux)
Le FIJAIT, fiché hess
Le fichier des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT) fait parti de l’arsenal de mesures sécuritaires introduites par la « loi renseignement » de 2015, adoptée par le gouvernement Valls dans le contexte des attentats de la même année.
Outre un fichage des personnes condamnées, le FIJAIT impose aussi des obligations légales, sous peine d’une sanction pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison et 30 000 euros d’amende : obligation de pointer tous les 3 mois en commissariat pour justifier de son domicile, déclaration obligatoire de tout changement d’adresse et de tout déplacement à l’étranger au moins 15 jours avant le départ. Ces obligations sont imposées pour 10 ans, un délai suspendu pendant une éventuelle peine de prison : le délai ne commence à courir qu’à la sortie d’incarcération.
Initialement présenté comme un outil de lutte contre le terrorisme islamiste, portant le sous-entendu raciste qu’il ne concernerait que la minorité musulmane, l’application du FIJAIT a évidement été rapidement élargie. La « loi séparatisme » de 2021 va étendre son application aux condamnations pour provocation aux actes de terrorisme et leur apologie. Sur les sept inculpé·es du 8 décembre, six ont été condamnés à une inscription au FIJAIT, malgré une « absence de projet » reconnue par le tribunal.
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