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La bande son du génocide israélien
Depuis plus de six mois, Israël mène une opération génocidaire à Gaza, accompagnée d’une intense propagande à la télévision, à la radio ou dans les discours officiels. La musique en est un des leviers : de nombreuses chansons glorifient le massacre et déshumanisent les Palestiniens et Palestiniennes. Plongée dans les propos extrêmement violents du rap génocidaire israélien, dont la lecture peut s’avérer particulièrement éprouvante.
Avec 22 millions de vues [1], le clip de rap Harbu Darbu connaît une diffusion massive. Nes et Stilla y crachent sur la « bande de rats sortie du tunnel », et le refrain fait appel aux différentes unités de l’armée, sur fonds de bruit d’armes : « Golani, 1,2, shoot, nakhlawi, 1,2, shoot, Shirion,1,2 shoot, où est Givati ? 1,2, shoot ». Des dizaines de hits de ce type ont fait leur apparition sur les plateformes israéliennes.
La célébration du massacre
Alors que l’armée israélienne a longtemps cherché à euphémiser son action, le rap génocidaire décrit la réalité sans fard. Dans 7 octobre (1,3 millions de vues), EZ résume cet état d’esprit : « Il n’y a plus d’armée la plus morale du monde, “morale” mon cul, “morale” finit au placard ». Dans Shager (2 millions de vues avant sa suppression par Youtube [2]), Raski rappe : « Il n’y a plus de “coup sur le toit” : aujourd’hui on ne prévient plus. » [3] Mi mechuga de Duda Gang (2,3 millions de vues) s’achève sur : « Vous n’avez pas de pain et d’eau, ah ! et vous n’avez pas de maison. » Lorsque ces chansons ont été publiées, toutes ces informations étaient vraies.
Comme on peut s’y attendre, le racisme est omniprésent. Dans Mi Mechuga par exemple, la déshumanisation passe par les clichés sur le corps : « Toutes vos fatmas ressemblent à des p… » ; « votre leader ressemble à un chimpanzé », etc.
Mais le rap génocidaire sert surtout à galvaniser. Des dizaines de vidéos de soldats postant leurs crimes sur les réseaux sociaux passent ces chansons en fond. Sur l’une d’elles, un bulldozer détruit des oliviers sur fond du couplet de Harbu Darbu où Stilla rappe : « On envoie toute l’armée sur vous et il n’y aura pas de pardon. » Sur une autre, on voit le cadavre d’un Palestinien, au milieu des décombres, avec comme bande-son un couplet d’insultes contre les « terroristes » dans Mi Mechuga.
L’enfer militariste
Ces chansons célèbrent un État profondément militarisé où chacune et chacun doit pouvoir prendre les armes à tout moment. Giborei al, du groupe Hatikva 6, célèbre cet enrôlement de masse : « C’est vrai, tout le monde a l’air normal, mais nous sommes un peuple de super-héros. Derrière chacun de nous se cache un soldat. »
Ces chansons décrivent la majorité et l’opposition unies dans le génocide [4]. Ratski le dit clairement, dans Shager : « L’armée s’unit quand il faut liquider. Il n’y a pas de gauche, pas de droite, tout le monde : tirez ! » De même dans Harbu Darbu : « En une demi-seconde tout le pays est en uniforme. Réservistes, en service militaire : tout le monde, un, deux, shoot ! »
Les enfants ne sont pas épargnés. Pour Pourim, fête où l’on se déguise traditionnellement, de nombreuses vidéos montrent de petits enfants déguisés en soldats ou jouant avec de fausses armes. La chaîne Kahn News a publié, le 19 novembre dernier, un clip présenté comme la « chanson de l’amitié 2023 », supprimé au bout de quelques heures. On y voit de très jeunes enfants qui chantent : « D’ici un an, il n’y aura plus rien là-bas, et nous retournerons en sécurité chez nous. D’ici un an, nous les éliminerons tous, et nous retournerons labourer nos champs. »
Fascisme, fanatisme religieux et culte de la force
La nation militariste unie pour « se défendre » par les armes est une idée enracinée au cœur du récit national sioniste. Dans les premières années de la création d’Israël, le discours dominant opposait les sionistes puissants qui ne se laissent pas faire aux victimes de la Shoah, qui seraient allé·es dans les camps « comme des moutons à l’abattoir ». On en retrouve l’écho dans Ze alheinou : « Pas un petit juif peureux avec les genoux qui claquent, un juif avec puissance de feu, fumée et épées. »
Les épisodes les plus violents de la Bible sont convoqués à l’appui du nationalisme. La destruction d’Amalek par les Hébreux (Exode, 17,8) est partout, les Palestiniens et Palestiniennes étant souvent appelés « fils d’Amalek ». Les dix plaies imposées par Dieu aux Égyptiens servent aussi de référence. Comme on peut l’entendre dans la chanson Shager : « Tsahal comme les dix plaies. […] On tire comme une pluie d’obus et Jénine est sous la plaie des premiers nés. »
[5]Le plus souvent, les chanteurs présentent ce massacre comme l’occasion de finaliser le nettoyage ethnique à Gaza et en Cisjordanie. « Ils me crient dessus “Palestine gratuite” [jeu de mot sur « free Palestine »], mais bizarrement ça me fait penser aux soldes des fêtes » (Harbu Darbu) ; « 2,3, tirez ! C’est parti pour occuper ! » (Shager).
Si les génocidaires ne se cachent pas, c’est aussi parce que leurs soutiens internationaux n’y voient aucun problème. Un couplet de Mi mechuga le dit clairement : « On sortira de Gaza quand il ne restera plus rien. Les États-Unis sont derrière nous, vous avez entendu Biden vous dire de faire attention ? “I have one word : don’t” [6]. Yallah ! Vous aurez du mal à voir les photos de Gaza, il n’y a plus de quartiers qui restent à Gaza, vous ne pouvez plus rien boire à Gaza, vous n’arriverez plus à enterrer les corps à Gaza. »
Voilà ce que signifie le « soutien inconditionnel » des États-Unis, de la France ou de l’Allemagne, à Israël. À l’heure où Israël menace de provoquer une guerre régionale, il y a urgence à démilitariser cet État génocidaire et à lutter contre la complicité de l’État français.
Daniel (UCL Lyon)
[1] Sauf précision contraire, le nombre de vues sur youtube a été vérifié pour la dernière fois le 17 avril 2024.
[2] Toutes les autres chansons citées sont encore disponibles sur youtube à l’heure de l’écriture de cet article. Visiblement, la plateforme considère que ces vidéos n’enfreignent pas leur politique relative aux discours de haine, ce qui laisse songeur.
[3] Le « roof knocking » était une pratique de l’armée israélienne lors des précédents massacres à Gaza pour « prévenir » les habitantes et habitants d’un immeuble avant de le bombarder, en envoyant dessus un premier obus vide. Cela permettait à l’armée de prétendre se soucier des civils, tout en continuant à commettre des massacres de masse. Aujourd’hui, de nombreuses bombes ont été envoyés sans être précédées d’un coup de semonce, donc sans laisser aucun délai pour fuir.
[4] En mai 2023, un article d’Ory Noy critiquait déjà l’opposition institutionnelle pour son silence lors des massacres à Gaza. Voir l’article du 9 mai 2023, « War on Gaza is the glue that binds Israel’s opposing camps », sur 972mag.com.
[5] La plaie des premiers-nés est la dernière des dix plaies d’Égypte, celle qui conduit finalement le Pharaon à libérer le peuple : il s’agit de la mort de tous les nouveaux-nés Égyptiens. Il est important de noter que Jénine n’est pas dans la bande de Gaza : c’est l’ensemble des Palestiniennes et Palestiniens qui sont visé·es, de la Mer au Jourdain.
[6] « Je ne dirai qu’une chose, ne faites pas ça. » Extrait du discours de Biden du 10 octobre 2023.
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