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Argentine : Dès maintenant, enrayer la tronçonneuse
L’accession au pouvoir de Javier Milei va considérablement aggraver la situation sociale d’une Argentine déjà à bout de souffle. Les premières annonces plantent le décor : suppression de postes dans le public, augmentation des prix de l’énergie et des transports (+900 %), inflation brutale et licenciements annoncés... Contrairement à ce qu’il affichait dans ses discours, ce n’est donc pas « la caste politique » mais bien les pauvres qui vont devoir payer. La question se pose alors : comment va-t-il tenir ?
Il ne faut pas commettre l’erreur de penser que Javier Milei est un nouveau Trump. Ce n’est pas un fasciste au sens classique, mais un vrai libertarien. Son objectif n’est pas de renforcer l’État, mais de l’affaiblir en vue d’une société plus autoritaire, certes, mais dévouée aux profits et aux lois du marché. Pas moins de neuf ministères ont été supprimés, regroupant tout ce qui concerne le secteur public dans deux super-ministères fourre-tout, tandis que quatre des ministères restant seront dédiés à la sécurité et à la justice.
Sur le plan économique, on pourrait rapprocher le programme de La Libertad Avanza (LLA) de celui de Trump, mais l’Argentine a plus à perdre que les USA. Même si le pays vit une situation sociale et économique catastrophique et que les services publics souffrent énormément, ces derniers existent encore et représentent l’un des ultimes remparts dans cette situation extrêmement fragile. On imagine bien que Milei ne pourra pas supprimer d’un coup l’ensemble du système public, mais il s’attaquera à son démantèlement par tous les moyens.
En matière de privatisation, il a déjà annoncé ses premiers objectifs : YPF (le pétrole) et Aerolíneas Argentinas (l’aviation civile), deux secteurs stratégiques.
Côté social, le ministère dédié aux droits des femmes et des minorités a été supprimé et le droit à l’avortement est remis en question. La rhétorique antiféministe de Milei ou de sa vice-présidente, Victoria Villaruel, catholique intégriste, laisse également présager de graves attaques contre la communauté LGBTI.
Dans les jours suivant l’élection, on a d’ailleurs pu observer la détérioration de plaques commémoratives, des agressions homophobes et la dégradation d’un bar LGBTI.
Victoria Villaruel, plus fasciste que libérale
Villarruel représente la face sécuritaire et nostalgique de la dictature de LLA. Ses opinions et ses antécédents familiaux soulèvent des préoccupations quant à son influence sur la politique argentine. Sa position de vice-présidente lui confère le poste clé de présidente du Congrès (l’assemblée nationale), une place de choix qui la met au centre de l’échiquier politique. Fille de militaire et négationniste, elle conteste le chiffre des 30 000 disparu·es de la dictature, revendiquant un chiffre moindre d’environ 8 000, et défend la théorie dite des « Deux démons » selon laquelle les crimes commis pendant la dictature étaient une réponse proportionnée au « terrorisme de gauche », et ce pour justifier les crimes et les tortures à l’encontre des opposant·es.
Elle mobilise les éléments les plus dangereux de l’électorat de LLA et est à bien des égards sa facette fascisante. C’est ce que montrent divers posts sur les réseaux sociaux tel que celui d’un tiktokeur d’extrême-droite qui a menacé plusieurs représentants du mouvement social en déclarant au sujet des futures mobilisations : « portez des gilets, car de notre côté, les balles ne seront pas en caoutchouc ».
Cependant, il est nécessaire de prendre du recul sur quelques points. Le vote en faveur de Milei a largement bénéficié du ras-le-bol général de la population face à des années d’inflation et de dévaluation, qui ont culminé en une année 2023 record : 145 % d’inflation et 40 % de la population sous le seuil de pauvreté.
Désaveux en perspective
Il y a donc une attente de la part de son électorat qui espère voir ses promesses se concrétiser, notamment celle de la dollarisation, l’un des arguments majeurs de sa campagne. De notre point de vue, il est certain que tout ne fera qu’empirer pour celles et ceux qui se trouvent déjà dans des situations intolérables. Les multinationales ont commencé à profiter de l’occasion en augmentant les prix de leurs produits jusqu’à +100 %, arguant une future dérégulation du marché. Le mécontentement d’une partie de son électorat risque donc de se manifester rapidement, et il n’est pas impossible de voir un embrasement général.
Mais une explosion sociale ne sera pas sans danger. Les menaces émanant des secteurs les plus réactionnaires de la société sont à prendre au sérieux. Et l’envie des militaires et de la police, ayant voté à environ 90 % pour Milei, d’en découdre avec le mouvement social est évidente. Les politiciens de droite et d’extrême-droite n’hésitent pas à encourager leurs partisans à descendre dans les rues pour empêcher par la force les futures mobilisations.
Il faut donc espérer, d’une part, que Milei ne pourra pas mettre trop vite en place certaines de ses mesures.
N’ayant pas la majorité à l’Assemblée, c’est probable. Et d’autre part, qu’une grande partie de son électorat, déçu, fera rapidement volte-face. Notre camp s’organise déjà pour faire face et n’a pas l’intention de baisser les bras. Mais un fort soutien internationaliste sera crucial, notamment pour faire face aux attaques contre le droit à l’avortement.
L’Argentine a pour elle une longue histoire de résistance et une société fortement politisée. Les organisations sociales sont capables d’instaurer un rapport de force, notamment le secteur piquetero [1] qui, même s’il est déjà dans le viseur, est capable d’organiser une riposte, se liant avec toutes les organisations défendant les droits humains et les secteurs syndicaux combatifs tel que les deux CTA (Centrale des travailleurs d’Argentine). Tout n’est donc pas joué d’avance.
Bast (Commission Internationale)
[1] Mouvement de travailleurs « sans emploi » dont les actions prennent souvent la forme de coupage de route au moyen de piquetes (barrages). Voir le dossier Argentine d’Alternative libertaire n°142 – juillet-août 2005.
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