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Militantisme handi : Les Dévalideuses, à l’assaut du validisme
Depuis 2019, le collectif Les Dévalideuses s’attaque à faire vivre les luttes handies-féministes. En septembre dernier, les militantes ont organisé une action de blocage au métro des Invalides qui a fait grand bruit. Retour sur cette action dont l’organisation permet de mettre en avant les enjeux d’accessibilité des luttes.
Le 17 septembre dernier, les Dévalideuses organisaient une action de blocage de la station de métro Invalides à Paris, pour dénoncer l’inaccessibilité du métro parisien, et plus largement de l’ensemble de la société. Cette action s’inscrivait dans le cadre d’un week-end de séminaire des Dévalideuses, premier et pour l’instant unique moment où les membres de ce collectif, qui existe depuis plus de 5 ans, ont pu se réunir en présentiel. C’est l’occasion de s’interroger sur l’impact de l’inaccessibilité de la société, comme des milieux militants, sur les luttes antivalidistes.
Des parcours militants semés d’obstacles
Le validisme désigne l’oppression structurelle subie par les personnes qui ne sont pas « valides », c’est à dire qui ne correspondent pas aux normes de capacités physiques, sensorielles, psychologiques ou émotionnelles imposées par la société. Depuis plus de 50 ans, des militant·es antivalidistes se mobilisent pour dénoncer les discriminations et la ségrégation qu’iels subissent et faire valoir leurs droits. Pourtant, ces luttes restent peu connues du grand public.
Le validisme est par ailleurs très lié aux autres rapports de domination, le capitalisme, le patriarcat et le racisme notamment. Pourtant, alors qu’on estime à 10 % la part de personnes handies dans la population, peu d’entre elles s’investissent dans les syndicats et autres contre-pouvoirs.
C’est qu’il faut d’abord prendre conscience de tous les freins rencontrés par les militant·es handi·es, pour pouvoir s’organiser et mener des actions dans une société qui leur est particulièrement inaccessible. Comment se réunir ou participer à des manifestations quand les transports, les lieux susceptibles d’accueillir des réunions et l’espace public en général, ne sont pas adaptés aux personnes à mobilité réduite ? [1] Comment communiquer avec des outils qui ne sont pas accessibles aux personnes sourdes ou aveugles par exemple ? Comment s’organiser face à l’exploitation quand on travaille en ESAT (Établissements et services d’aide par le travail) et qu’on n’a le droit ni de se syndiquer ni de faire grève ? [2] Il faut enfin prendre conscience des risques accrus, pour les personnes handies qui se mobilisent : risques graves sur la santé par le Covid dans des espaces où les protocoles sanitaires sont abandonnés ou peu suivis, risque d’être privé·e de soins ou de la présence de son auxiliaire de vie en cas de garde à vue…
Repenser les modes d’organisation
Les militant·es antivalidistes font souvent le choix de la non-mixité, comme c’est le cas pour les Dévalideuses. Pour toutes les raisons qui conduisent les militant·es féministes ou antiracistes à le faire, mais également parce qu’un travail indispensable d’adaptation des outils, du fonctionnement et des modalités d’action est nécessaire pour tenir compte des besoins d’accessibilité de leurs membres, qui peuvent être très divers.
Les Dévalideuses, c’est actuellement une quinzaine de membres actives, et beaucoup de demandes d’adhésion laissées en attente. Pourtant la volonté de s’agrandir et de massifier est bien présente. Mais à chaque nouvelle adhésion se pose la question des besoins de la nouvelle adhérente, et du travail à accomplir pour lui rendre le collectif accessible, ce qui peut parfois conduire à des changements importants d’outils ou de modes de fonctionnement interne. L’ampleur du travail qui doit ainsi être fait est à l’image de l’inaccessibilité de la société et des milieux militants ordinaires.
Depuis les années 1970, les militant·es antivalidistes se trouvent souvent contraint·es à des actions menées par un petit nombre, qui doivent prendre un caractère spectaculaire pour pouvoir aboutir : grèves de la faim, blocages et occupations... (par exemple le 504 sit-in en 1977 aux États-Unis [3], ou les blocages de train et avion menés par Handi-Social à Toulouse en 2018 [4]).
Recette pour une action antivalidiste réussie
L’action des Dévalideuses au métro Invalides a nécessité un important travail de préparation, sur plus de 6 mois en amont. Il a fallu trouver le moyen pour qu’un maximum de monde puisse venir, se loger, et participer à l’action en minimisant les risques. Il fallait aussi s’assurer de la portée médiatique de l’action puisqu’il était difficile de pouvoir compter sur une participation de masse comme sur la possibilité de faire durer le blocage.
Et de ce point de vue, cette action a été une réussite, et un exemple inspirant. Alors que c’était une première pour le collectif, mais aussi individuellement pour la grande majorité des participant·es, tout avait été minutieusement préparé en amont : repérage et transmission d’infos sur l’accessibilité, distribution des rôles, protocole sanitaire, communication, contacts presse, … Et la presse était effectivement bien là, ce qui a permis une visibilité médiatique importante.
À cette visibilité s’est ajoutée celle sur les réseaux sociaux, espace privilégié de militantisme pour nombre de personnes qui n’ont que difficilement accès à l’espace public. Et les retombées pour le collectif sont très prometteuses : les Dévalideuses ont reçu des centaines de messages de soutien, d’encouragement et de remerciement, et presque autant de personnes se sont signalées volontaires pour participer à d’autres actions de ce type. Un nouveau défi pour ce collectif qui depuis travaille d’arrache-pied à un changement d’échelle.
L’engouement qu’a reçu cette action, en particulier parmi les personnes concernées par le handicap révèle qu’il existe une envie et un besoin importants de défendre leurs droits et de lutter contre l’oppression qu’iels subissent. À nous, dans toutes nos luttes, de travailler à ce qu’iels y trouvent leur place !
Julie (UCL Fougères)
[1] Voir par exemple « Manifs et handicap, le long parcours du combattant », Reporterre, 28 mars 2023
[2] En France, 120 000 personnes travaillent en ESAT mais sont considérées comme des « bénéficiaires » et non des salarié·es. Le droit de se syndiquer et de faire grève ne leur a été accordé que récemment, en novembre 2023 dans la loi « pour le plein emploi », qui attaque par bien d’autres aspects les droits des travailleurs et travailleuses handicapé·es. Nous y reviendrons dans un prochain numéro !
[3] 150 personnes ont occupé pendant 28 jours le bureau du Ministère de la santé à San Francisco, pour exiger l’application de l’article 504 de la loi sur la réadaptation prévoyant l’obligation d’accessibilité des espaces ouverts au public.
[4] Une quinzaine de personnes handicapées ont mené plusieurs actions, bloquant le départ d’un train et d’un avion pendant quelques heures, ainsi qu’un convoi Airbus pendant 24h, pour dénoncer l’inaccessibilité des transports et demander le retrait de la loi ELAN. Iels ont par la suite été ensuite poursuivi·es et condamné·es lors d’un « procès de la honte », dans des conditions indignes révélant l’inaccessibilité de la justice.
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