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CGT : Un congrès inédit, et après ?
Tout a été dit sur le caractère inédit et violent du 53e Congrès de la CGT. Et de son issue surprise avec l’élection de Sophie Binet comme secrétaire générale. Reconstruire des compromis politiques, stabiliser une direction collégiale, revitaliser les structures syndicales de base, avancer sur les enjeux féministes et ceux de l’urgence climatique : les défis sont nombreux pour celle qui doit son élection au choc annoncé entre deux blocs de forces égales. Le paradoxe étant qu’une femme, jeune, cadre, passée par le PS et l’Unef doive son élection à l’offensive des réseaux archéo-staliniens !
Le congrès confédéral est supposé être le congrès des syndicats. Mais par le jeu des regroupements des petits syndicats privés de délégué·es direct·es, de la sélection des délégué·es avec double validation par la fédération professionnelle et l’union départementale, à quoi s’ajoute la confiscation des syndiqué·es « isolé·es » sans syndicat d’attache par les directions fédérales, le congrès est en fait une bataille entre bureaucrates qui manœuvrent à leur guise l’essentiel des mandats dont ils disposent.
Les critères sociologiques imposés aux délégations (jeunes, femmes, cadres, ouvriers...) complètent ainsi un tableau qui fait que plus de 70 % des délégué·es assistent à leur premier congrès, et qu’ils et elles sont bien souvent en difficulté pour saisir les enjeux des débats, soumis·es de surcroît à la pression de leurs responsables de délégation. Le pire étant que la plupart d’entre elles et eux n’ont jamais rencontré les syndiqué·es dont ils et elles portent les voix !
L’immense majorité des syndiqué·es passe totalement à côté du congrès et les votes ne correspondent pas nécessairement aux réels équilibres internes, ni les débats aux problèmes réels des militants et militantes sur le terrain. Tout cela laisse, à chaque fois, le goût amer d’un débat confisqué.
Le bilan de la période Martinez
Le vote négatif sur le rapport d’activité (50,3 % contre) marquera durablement le bilan des huit années de Philippe Martinez à la tête de la CGT. Une CGT qui paraît cassée en deux. Malgré une gestion solitaire de la fonction par Martinez, le bilan des huit années n’est pas le bilan d’un homme mais de toute une organisation. Les fédérations professionnelles en pointe contre le bilan sont plus responsables de leurs reculs électoraux que Martinez lui-même ! Et la gestion verticale et autoritaire des structures n’est pas l’apanage du seul ex-secrétaire général...
L’attaque contre la stratégie unitaire parait injuste. Comme si tout le monde avait oublié le calamiteux « syndicalisme rassemblé » qui avait mis la CGT à la remorque de la CFDT en 2010 et ses treize journées d’actions étalées sur un an. Nous n’étions alors pas foule à protester et à porter la nécessité de partir en grève reconductible !
La rupture avec cette orientation a été officialisée lors du 52e Congrès de Dijon en 2019 dans le rapport introductif de Martinez qui soulignait la nécessité de chercher l’unité la plus large possible sans brader l’autonomie de la CGT. Et c’est bien ce qui a été fait en 2023 avec une intersyndicale motivée sur des journées rapprochées et soutenant explicitement les secteurs en grève reconductible. Un appel plus franc à la grève générale reconductible n’aurait guère été plus efficace, hélas.
Les bilans sur le féminisme et l’écologie sont plus complexes à tirer. D’une part, la direction confédérale a réellement impulsé en interne et dans l’unité la grève féministe du 8 mars ; elle a aussi mis en place la cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles. Mais la valse-hésitation autour de l’exclusion de Benjamin Amar de la Commission exécutive confédérale (CEC), et l’absence de position publique dans d’autres cas d’agresseurs, s’apparente à un manque de fermeté, voir à une acceptation opportuniste d’un processus sans adhésion politique forte.
Il en fut malheureusement de même pour la création de « Plus jamais ça » (PJC). Certes, l’orientation politique générale des congrès précédents portait un mandat sur ces questions. Mais le choix terriblement solitaire de la construction de cette alliance, sans concertation avec la commission confédérale ad-hoc, plantait une épine définitive dans le pied de l’initiative. L’histoire nous dira peut-être que seul un passage en force était possible face aux résistances productivistes et pronucléaires bien vivaces dans la CGT. Mais alors était-il judicieux ? Et quitte à passer en force, pourquoi n’avoir donné aucuns moyens sérieux, humains, politiques et financiers au développement de l’Alliance écologique et sociale (ex-PJC) alors que des structures, en particulier des Unions départementales, se sont saisies avec efficacité de la démarche sur leurs territoires ? Là encore, le manque de fermeté, au-delà de l’emblématique et très médiatisé dossier de la Chapelle-Darblay (dont le succès tient pour beaucoup à la ténacité des meneurs de l’entreprise) laisse entrevoir un choix plus opportuniste, dans l’air du temps, que de convictions profondes.
Une opposition hétéroclite
Il existe bien une opposition construite en fraction, avec son bulletin d’information « Unité CGT » et dont le financement devrait être interrogé. Elle regroupe les secteurs nostalgiques du stalinisme, d’une classe ouvrière mythifiée et figée dans le passé et qui, sur le plan international, revendique l’adhésion à la FSM (si bien dénoncée durant le congrès par l’intervention de la syndicaliste iranienne). En se comptant sur un amendement « pro-FSM », elle pèse tout de même autour de 30 % des mandats. Mais beaucoup moins dans la CGT réelle où ces débats sont globalement inexistants et incompris, l’indifférence des syndiqué·es étant par ailleurs un symptôme de la dépolitisation générale dont nous ne saurions nous satisfaire. Olivier Mateu, secrétaire de l’UD des Bouches-du-Rhône en était le candidat officiel à la direction de la CGT. Son étrange obstination à ne pas respecter la règle de parité des candidatures lui coûte une entrée à la CEC.
Une alliance de circonstance s’est nouée entre ce courant et les secteurs productivistes et pronucléaires donnant au congrès cette vision d’une CGT coupée en deux. Mais ces derniers se sont bien gardés de défendre les candidatures du courant « Unité CGT » à la CEC, trop contents d’apparaître comme les représentants d’une aile « radicale » sans s’encombrer des positions caricaturales et insupportables des archéo-staliniens. Ainsi, le secrétaire de la fédération de la Chimie n’accède pas plus à la CEC, ce qui est davantage discutable au regard des luttes animées dans cette branche.
La presse bourgeoise a vite caractérisé une opposition entre supposés « radicaux » et « réformistes ». Disons tout net que nous contestons cette classification politique. Comment qualifier de radicaux des militant·es qui n’ont pas intégré le b.a.-ba des analyses marxistes. Quant au cycle de la marchandise débouchant sur la surproduction et l’acharnement à baisser la valeur de la force de travail ? Soit exactement l’épuisement de la nature qui nous conduit, toutes et tous, les scientifiques le disent, vers une catastrophe écologique majeure. Ainsi qu’une course à la baisse des coûts de main d’œuvre qui nous mène aux délocalisations, à la misère, à la guerre. Nous ne laisserons pas les militant·es qui, malgré leurs efforts, n’ont pas réussi à embrayer une grève reconductible, se faire traiter de « réformistes ».
PC partout, justice nulle part
Ni les divergences d’orientation, ni les querelles de chefs ne sont des nouveautés à la CGT. Sauf qu’avant, tout se réglait au sein de la direction du PCF dans une discipline globalement acceptée. Mais les militant·es issu·es du moule, ou toujours membres du PCF, se retrouvent aujourd’hui réparti·es dans l’ensemble des courants et des clans CGT. Y compris dans la mouvance qui supportait Marie Buisson, même si elle a aussi payé de ne pas « en être ». Pour refermer totalement la longue parenthèse stalinienne, la CGT va devoir réinventer ses propres lieux de débats et de décisions.
Et maintenant ?
La CGT sort blessée de ce congrès et l’avenir est incertain : la crise de direction peut rebondir à tout moment comme les déchirures politiques majeures. Celles et ceux qui sont attaché·es à leur vieille maison sauront-ils et elles reconstruire du collectif et progresser sur les questions de l’unification, en particulier avec la FSU dont les bonnes volontés sont refroidies par le spectacle du 53e congrès ? Sauront-ils et elles construire une feuille de route qui lie lutte des classes, écologie et féminisme ?
Une chose est sûre : rien de solide n’émergera sans reconstruire des syndicats viables sur des périmètres clairs. Assez de micro-syndicats d’entreprise qui reposent sur deux camarades de bonne volonté qui doivent gérer les revendications, le Comité social économique, et Cogétise (système de répartition des cotisations entre les différentes structures) ! Assez de syndiqué·es sans syndicat.
Dans certaines situations, des syndicats nationaux sont peut-être une solution. Mais la réponse aux isolé·es, aux précaires, aux petites entreprises reste le syndicat professionnel territorial qui permet une activité pérenne, un soutien de proximité des syndicats forts aux faibles au sein de la même branche. Des syndicats qui ont les moyens d’animer les débats syndicaux, de forger des positions et de venir avec de vrais mandats de la base au 54e congrès.
Jean-Yves (UCL Limousin)
Retrouvez un verbatim quotidien des séances du Congrès sur le site communisteslibertairescgt.org
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