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VSS : Le travail unitaire comme stratégie féministe
Si lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) au sein de nos organisations apparaît comme une nécessité, le faire dans un cadre inter-organisations au niveau national permet une élaboration politique plus importante encore, des retours d’expérience, mais aussi de nouveaux moyens déployés. Zoom sur un travail unitaire qui ouvre de nombreuses perspectives.
En 2021, la direction confédérale de la CGT mandate la cellule de veille contre les violences sexistes et sexuelles (CVSS) pour faire le lien avec les cellules homologues existantes dans les partis et syndicats de gauche. Se crée alors un cadre unitaire inter-organisations pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles, réunissant à ce jour organisations syndicales (CGT, Solidaires, CFDT, FSU, Union étudiante, Confédération paysanne), politiques (LFI, Ensemble !, EELV, NPA, UCL, PCF, Parti de gauche, Génération·s, la Gauche écosocialiste) et associatives (Attac, Amnesty International).
Malgré leurs engagements antipatriarcaux, nos organisations sont loin d’être épargnées par la violence envers les femmes et minorités de genre. L’inter-orga vise à améliorer ou créer nos procédures de signalement et cellules de gestion des VSS. Notre objectif est d’encourager la libération de la parole des victimes et de les accueillir au mieux grâce à des procédures solides et respectueuses. Promouvoir la formation féministe et la prévention des VSS en interne est indispensable pour toute organisation aux ambitions sociales émancipatrices. L’inter-orga invite d’ailleurs des intervenantes extérieures expertes du sujet pour que les déléguées puissent continuer de se former et d’enrichir leurs réflexions.
Lutter contre l’itinérance des agresseurs
En parallèle, il s’agit d’identifier, d’anticiper et de contrecarrer les stratégies des agresseurs pour que cesse l’impunité. Actuellement, l’inter-orga travaille à l’élaboration d’un protocole commun de signalement pour lutter contre l’itinérance des agresseurs, prévu pour novembre 2024. Cette réflexion entend formaliser politiquement les intentions exprimées dans la première tribune de l’inter-orga de 2021 [1]. Le déplacement des agresseurs d’une organisation vers une autre lorsqu’ils subissent des mesures d’exclusion ou de mise à l’écart est un phénomène connu. Le protocole prévoit de leur couper l’herbe sous le pied. Il permettrait du même coup de déjouer les menaces de plainte en diffamation voire en injure publique puisque nous n’aurions pas à communiquer leur identité en public pour informer les participant·es à l’inter-orga.
Ce cadre permet à l’UCL de détailler le fonctionnement de sa procédure d’exclusion en cas d’agression sexuelle. Il s’agit aussi d’en diffuser la philosophie, à savoir l’importance du rapport de force féministe en interne. Nous faisons valoir que cet outil doit être la traduction pratique immédiate de nos principes : l’auto-organisation des femmes, la non-mixité et la lutte contre les rapports de domination. Simultanément, et parce que nos outils sont toujours à améliorer, l’UCL s’enrichit des réflexions et des pratiques des féministes d’autres organisations.
Une intervention féministe de classe
Dans le sillage du mouvement #MeToo, nous voyons régulièrement émerger des témoignages, des tribunes et des appels signés par des personnalités publiques. Certaines célébrités, comme Adèle Haenel, sont devenues des étendards de la libération de la parole. Si cette dynamique, tout à fait positive, révèle un véritable tournant dans la place accordée à la parole des victimes dans l’espace public, l’inter-orga contre les VSS permet une intervention sur un modèle différent. Elle reflète les aspirations féministes de la base militante, sans les faire incarner par des individus. C’est un espace prometteur pour un féminisme combatif et collectif qui renforce l’unité de notre classe.
Nous voyons bien que la question des VSS est étroitement liée à la médiatisation lorsque des organisations de gauche doivent traiter des cas d’agresseurs qui sont aussi des figures publiques, chargées de hautes fonctions politiques ou syndicales et bénéficiant d’un statut social privilégié tels Adrien Quatennens ou Julien Bayou. Ces cas comportent leur lot supplémentaire de complexité pour les camarades qui les gèrent, avec une pression accrue pour remettre l’affaire à la justice institutionnelle plutôt que les organisations s’en saisissent. Pour que les agresseurs, même puissants, ne soient jamais impunis, la solidarité féministe est la clé.
Billie (UCL Grenoble)
À l’UCL, une procédure vivante
Depuis la création de l’UCL, la procédure de gestion des cas de VSS en interne porte pour objectif la création d’un rapport de force féministe. Pour cette raison, la parole de la personne victime n’est pas remise en cause : le rôle des mandaté·es n’est pas d’établir la vérité des faits mais bien de recueillir la parole de la personne victime [2] et de permettre à l’organisation de prendre une décision qui assurera sa sécurité et celle de toutes les femmes et minorités de genre de l’organisation. À ce jour, pour faciliter la parole, la procédure est réalisée entièrement en non-mixité (de personnes subissant la misogynie et la transmisogynie). Elle est mise en œuvre lorsqu’une personne alerte l’organisation d’un cas de VSS. L’agresseur est alors immédiatement suspendu de l’organisation. Le Secrétariat fédéral mandate ensuite une commission pour réaliser la procédure. Ces personnes sont chargées, dans un premier temps, de prendre contact avec la victime et d’affirmer le soutien de l’organisation dans les démarches qu’elle souhaitera entreprendre.
Les mandaté·es recueillent son témoignage.
Dans un deuxième temps, les mandaté·es prennent contact avec la personne accusée afin d’obtenir sa version des faits, et surtout de lui demander ce qu’elle a mis en place depuis que ceux-ci ont été remontés à l’organisation. Ces deux entretiens permettent aux mandaté·es d’écrire un rapport qui contient une synthèse des faits, des propositions des mandaté·es sur la décision à prendre ainsi qu’une analyse politique des faits lorsque c’est possible. Ce rapport est soumis au vote de la Coordination fédérale [3] afin que l’ensemble de l’organisation puisse prendre une décision, qui peut aller de l’exclusion temporaire à l’exclusion définitive de la personne accusée.
Depuis le congrès d’Angers en 2023, les cas de VSS dans des cadres non-hétérosexuels sont gérés par les groupes locaux et non plus par la procédure fédérale. En effet, celle-ci a été construite pour s’opposer à l’asymétrie fondamentale du pouvoir entre les hommes et les femmes sous le patriarcat. Or, dans les cas de VSS en contexte non-hétérosexuel, ce cadre d’analyse est impuissant et la procédure dysfonctionne. L’objectif de cette décision est de laisser le temps à la commission antipatriarcat de l’UCL de se doter des outils théoriques et pratiques afin de penser les rapports de domination spécifiques qui se jouent dans ce type de cadres.
[1] « Tribune Inter-orgas “Ensemble contre les violences sexistes et sexuelles dans nos organisations !” »
[2] « Victime » n’étant pas une position essentialisée, mais l’état d’une personne a un moment donné.
[3] Instance qui se réunit tous les trois mois, au sein de laquelle les mandaté·es de chaque groupe local discutent un ensemble de textes préalablement débattus localement puis votent.