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Tsedek ! Une voix juive pour la justice
Créé en juin 2023, le collectif Tsedek ! connaît une croissance très rapide depuis le début de l’offensive génocidaire israélienne à Gaza. Né à Paris, il essaime à Lille, à Marseille, à Grenoble, à Lyon... Il fait entendre une autre voix juive, décoloniale et antisioniste.
Voilà qui ne peut que déplaire aux inconditionnels du massacre. Déjà trois événements de Tsedek ont été déprogrammés à la suite de pressions [1], et les anathèmes contre Tsedek reprennent bien souvent la rhétorique antisémite la plus classique [2]. Mais qu’est-ce que ce collectif, et pourquoi fait-il aussi peur ?
« Tsedek » est le mot hébreu pour « justice ». Et c’est cette notion qui est au centre du travail antiraciste de ce collectif. Justice en Palestine tout d’abord : la paix n’aura pas lieu sans justice et sans égalité. Le respect des droits des Palestinien·nes (levée du blocus, droit au retour, libération des prisonnièr·es, lutte contre le mur et les expulsions...) est une nécessité pour que tous et toutes puissent vivre à égalité dans un pays démocratique, de la Mer au Jourdain.
Justice en France aussi, contre le racisme d’État, car l’engagement antiraciste n’est pas complet s’il ne s’attaque pas à notre propre impérialisme. De la loi Darmanin aux crimes policiers en France, ou à la répression des manifestations au Sénégal avec le soutien de l’État français, Tsedek participe aux manifestations et communique son soutien à toutes les luttes contre le racisme d’État. Justice enfin, pour tous les peuples opprimés, partout dans le monde. Dans son communiqué de soutien à la manifestation kurde du 6 janvier 2024 [3], Tsedek compare l’histoire juive et l’histoire kurde : « nous partageons la même communauté de destin face à l’ethno-nationalisme et à l’impérialisme ».
« Pour une judéité émancipée du sionisme »
Le collectif considère qu’une analyse matérialiste du sionisme ne peut que conduire à le définir comme un projet colonial. « La meilleure définition du sionisme se fait par sa manifestation matérielle : l’apartheid, les expulsions, les destructions de maisons, la déshumanisation, le blocus, les prisonniers politiques, les exécutions sommaires, le nettoyage ethnique et le génocide » [4]. Tsedek entend donc porter une voix juive critique. Face au massacre à Gaza, il lançait le 31octobre une pétition qui proclamait : « vous n’aurez pas le silence des Juifs de France ». Dans les manifestations parisiennes pour un cessez-le-feu à Gaza, le collectif apparaît dans un « bloc juif » aux côtés d’autres organisations juives antisionistes (Oy Gevalt, Kessem, l’UJFP) [5].
Si Tsedek s’oppose aux organisations et collectifs qui prétendent représenter la parole juive, ce n’est pas pour parler « au nom » des juifves, mais bien pour insister sur la pluralité des opinions juives. Les amalgames entre judéité et sionisme, et entre antisionisme et antisémitisme, conduisent à essentialiser les Juifves, comme s’iels étaient une masse uniforme qui parlerait d’une seule voix en faveur du colonialisme. Pour refuser cette capture des voix juives, il y avait besoin d’un nouveau collectif qui permette aux personnes juives antisionistes de s’exprimer en première personne, contre les institutions qui parlent à la place ou au nom de toutes les personnes juives. Dès lors, Tsedek n’hésite pas à assumer la conflictualité avec les organisations juives sionistes, du CRIF à l’UEJF, qui le lui rendent bien.
Contre l’antisémitisme et son instrumentalisation
Au centre des engagements du collectif, il y a aussi la lutte contre l’antisémitisme. Tsedek en propose une lecture matérialiste, qui rompt avec les analyses dominantes. Dans le manifeste du collectif, l’antisémitisme est défini comme un « produit de la suprématie blanche ». En 1492, la même année où Christophe Colomb ouvrait la voie à la colonisation du continent américain, l’Espagne expulsait les Juifs et Juives au nom de la « pureté du sang » : ce sont bien les États-nations européens qui ont fait des Juifs et Juives des parias, qui les ont racialisé·es et discriminé·es.
Lorsque ces mêmes États-nations utilisent la lutte contre l’antisémitisme pour produire autour d’eux l’unité nationale, comme ce fut le cas avec la manifestation du 12 novembre à Paris, Tsedek y voit une instrumentalisation hideuse, d’autant plus quand il s’agit d’utiliser le prétexte de la lutte contre l’antisémitisme pour renforcer d’autres racismes, notamment islamophobe [6]. Le même gouvernement qui appelait à cette marche contient entre autres Gérald Darmanin, auteur de déclarations immondes sur les Juifs qui « pratiquent l’usure » et font naître « troubles et réclamations » !
Au contraire, la lutte contre l’antisémitisme de Tsedek est intimement liée à tous les autres antiracismes. L’antisémitisme, comme tous les racismes, a ses spécificités, mais en faire un racisme exceptionnel est une faute politique : la lutte antiraciste sera commune ou ne sera pas. Dans la lutte contre l’antisémitisme, comme dans toutes les luttes, « la boussole ne peut être que celle de la justice, de l’émancipation collective et des débouchés politiques en rupture avec les structures qui produisent l’antisémitisme. Sans cela, elle est désarmée » [7].
Daniel (UCL Lyon)
[1] Un événement prévu le 6 janvier, au Cirque Electrique de Paris intitulé « contre l’antisémitisme, son instrumentalisation et pour la paix révolutionnaire en Palestine » a été annulé par la mairie qui prêtait la salle, possiblement en cédant à des menaces de groupes sionistes d’extrême droite. Le 30janvier, c’était une projection du film La Zone d’intérêt en présence de la chercheuse Sadia Agsous-Bienstein, prévue au cinéma Magestic Bastille, qui était déprogrammée en dernière minute. Une nouvelle séance était prévue le 6 février, avec l’historien Johann Chapoutot comme deuxième invité. Celui-ci a décliné l’invitation en dernière minute, et la salle de cinéma a refusé que la première s’exprime seule, avec des justifications dont l’intéressée a souligné le sous-texte raciste.
[2] Sur le site Akadem, une chronique intitulée « Tsedek et Neturei Karta, les Juifs préférés des antisémites » présente par exemple Tsedek comme un groupe « marginal et surmédiatisé ».
[3] « Avec la gauche kurde le 6 janvier Justice et vérité pour les six assassinats ! », Alternative libertaire, Février 2024
[4] https://x.com/TSDKcollectif/status/1749834211131805949
[5] Pour une présentation de l’UJFP dans les colonnes d’Alternative Libertaire : « Pierre Stambul (UJFP) : “Notre audience s’accroît” » , Alternative Libertaire, mai 2009
[6] L’UCL a développé une position très similaire dans notre communiqué du 18 novembre 2023, « Lutte contre l’antisémitisme : les tentatives dangereuses de réappropriation par l’extrême droite »
[7] Tsedek, « L’antisémitisme doit être combattu, son instrumentalisation aussi », 3 novembre 2023.