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Elections européennes : la Peste Brune lorgne sur l’Europe
De tous les processus électoraux de la démocratie bourgeoise, les élections européennes sont celles qui intéressent le moins les masses populaires. C’est aussi celles que l’extrême droite choisit pour mobiliser ses électeurs et électrices, afin d’apparaître comme le premier parti de France. En tant que militant·es libertaires et antifascistes, nous ne souhaitons pas participer à cette mascarade, mais il est important pour nous de rappeler que l’extrême droite ne défendra jamais notre classe, et qu’elle ne l’a jamais fait.
Depuis 2019, deux ans après l’échec du FN au second tour de l’élection présidentielle, le parti d’extrême droite, historiquement eurosceptique, a changé de ligne politique concernant l’Europe. Fini le « Frexit » [1], qui s’est avéré être un repoussoir, le parti d’extrême droite appelle maintenant à des « changements de l’intérieur ». Ce désir nouveau de créer une « Europe des Nations » avec ses alliés réactionnaires – et avec en ligne de mire en particulier la création de nations blanches et chrétiennes – trouve un écho en France. Le FN/RN est arrivé en tête aux élections européennes de 2019 avec 5 286 939 voix (de trop), soit 23,34 % des votants, obtenant ainsi 23 sièges pour le groupe européen Identité et Démocratie. Rappelons quand même les 50,12 % d’abstention et que l’addition des scores des « partis de gauche » les plaçait devant l’extrême droite en termes de voix.
Pour les élections de juin 2024, la liste du FN/RN aligne des « figures » de la « société civile » évidemment adoubées pour leur racisme. La tête de gondole Bardella bien sûr, mais aussi Malika Sorel-Sutter, essayiste spécialisée dans la « décomposition française » (qui serait due à l’immigration bien sûr) ou l’ancien directeur de Frontex, Fabrice Leggeri, qui a démissionné de l’organisation sous le coup de plusieurs scandales et est menacé de sanctions disciplinaires. Celui-ci avait tenté à l’époque de faire de l’organisation une milice de défense des frontières et balayait les obligations d’aides aux personnes exilées en danger. Le dernier trophée, encore un syndicaliste policier, Matthieu Valet, ancien porte-parole du Syndicat Indépendant des Commissaire de Police (SICP – membre comme Alliance Police de la CFE-CGC…), lui aussi « sous le coup d’une enquête du service déontologie de la Préfecture de Police » comme le rappelait le Canard enchaîné, pour avoir détourné à son profit un millier d’euros de bons d’achat SNCF destiné à « plusieurs gardiens de la paix ».
Le rêve d’une Europe blanche et chrétienne
Au Parlement européen, un cordon sanitaire existe encore, contrairement à l’Assemblée nationale, empêchant le groupe de mener à bien toutes ses vues. Mais le groupe FN/RN est surtout là pour son propre intérêt : Jordan Bardella notamment, siège en commission des pétitions où il n’a pas mis les pieds depuis mai 2022. Comme tout bon apparatchik, il lui faut juste une rentrée d’argent (public bien sûr) pour demeurer à plein temps le président du premier parti néo-fasciste de France. Grâce à cela, il peut continuer à passer son temps sur tous les plateaux de télé à vomir son mépris des personnes immigrées, des grévistes, des travailleurs et travailleuses, surtout les plus précaires. Rappelons que le premier « emploi » de Bardella lorsqu’il avait 20 ans était déjà celui d’assistant parlementaire européen… soupçonné alors d’emploi fictif par l’Office européen de lutte antifraude ! Le groupe FN/RN se déplace en fait au parlement surtout pour les caméras, mais aussi, bien sûr, pour rencontrer des lobbyistes à se mettre dans la poche. Il se frotte également à des rapprochements stratégiques de la droite sur des sujets communs, par exemple très récemment la remise en question de l’application de la loi pour « la restauration de la nature ».
Au Parlement, le RN/FN en défense des dominants
Dans ses votes on peut voir que le FN/RN n’a pas changé, malgré sa volonté de dédiabolisation. Par exemple, il s’est positionné en 2020 contre une résolution ayant pour but de réduire l’écart des salaires entre femmes et hommes, ainsi que sur la remise en cause du droit à l’avortement par leurs amis polonais. Si le parti se targue d’avoir intégré la question écologique, lors d’un vote de février 2023 sur l’interdiction des ventes de voitures neuves à moteur thermique il s’est encore positionné contre. Les parlementaires se sont également abstenu·es sur une taxe carbone aux frontières, comme quoi leur protectionnisme ne s’applique pas à tout ! Ils trouvent également à chaque fois une bonne raison pour approuver la PAC (Politique agricole commune), alors qu’elle est responsable de la destruction de la petite paysannerie et encourage l’agro-industrie en subventionnant davantage les grosses exploitations.
Le FN/RN montre également dans certains de ses votes une attitude ambiguë sur les sujets concernant les travailleurs et travailleuses. Par exemple son abstention sur la réglementation du travail détaché – qui permet au patronat français d’attaquer le droit social en le mettant en compétition avec des travailleurs·ses qui dépendent de celui de leur pays d’origine – en 2018, sous prétexte qu’elle « n’allait pas assez loin » soulève des interrogations. De même, quand le FN votait en 2016 pour le secret des affaires contre « l’espionnage industriel », il ne s’assurait en rien des risques que le texte faisait peser sur les lanceuses et lanceurs d’alerte, ou le journalisme d’investigation. Encore une fois, le « protectionnisme », c’est surtout pour les patrons.
Des amitiés pour les oligarques et les racistes
Le parti se démarque surtout pour son soutien à son ami russe, Poutine. En septembre 2020 les europarlementaires d’extrême droite se sont positionné·es contre une résolution condamnant la tentative d’assassinat de l’opposant Alexeï Navalny, et à nouveau en 2021 contre une résolution condamnant les violences commises par la milice Wagner. Même vote contre les diverses motions condamnant l’incursion de Poutine en Ukraine.
Le groupe européen Identité et Démocratie regroupe en son sein plusieurs partis que d’aucuns jugeraient infréquentables… mais pas le RN/FN. On y retrouve ainsi l’AfD qui en Allemagne s’est récemment illustré par l’organisation de réunions planifiant avec des néonazis la « remigration » des personnes étrangères, provocant de grandes mobilisations antifascistes. La Ligue ensuite, membre de la coalition italienne au pouvoir avec la néo-fasciste Giorgia Meloni, qui mène une politique raciste et antisociale, remettant en cause tout autant le droit à l’exil que les revenus minima. On y trouve aussi le Parti de la Liberté d’Autriche (FPÖ), créé par d’anciens nazis, dont des élus ont dû être écartés en 2018 pour ne pas avoir partagé leur adoration d’Hitler assez discrètement, ainsi que le parti pour la Liberté aux Pays Bas (PVV), parti néo-libéral raciste, qui est arrivé en tête des élections législatives anticipées en 2023. Enfin le groupe est composé de plus petits partis comme Le Vlamms Belang en Flandre, Le Parti Populaire Danois (DFP), le Parti Populaire et Conservateur d’Estonie (EESTI), ou Liberté et Démocratie Directe (SPD) en République tchèque.
L’extrême droite européenne : entre identité et libéralisme
Notons que les votes du groupe ne sont pas tout à fait uniformes. Le cas le plus intéressant récemment est celui du vote sur le traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande. Si le FN/RN a voté contre, en accord avec leur protectionnisme du capital national, la majorité du groupe s’est positionné pour. Cet exemple montre bien l’opportunisme de l’extrême droite suivant les contextes nationaux, et sa porosité avec les principes du libéralisme économique (le FN aussi s’est longtemps assumé comme un parti libéral sur le plan des affaires).
Le parti dispose aussi de soutien comme le Fidesz hongrois de Viktor Orban, lequel a été exclu du groupe européen de droite, le PPE, pour ses positions radicales contre l’avortement, contre la démocratie et agissant maintenant comme non-inscrit.
Extrême droitisation européenne
Le reste de l’extrême droite européenne se regroupe au sein des Conservateurs et Réformistes d’Europe où l’on retrouve Reconquête ! de Zemmour, Fratelli d’Italia de Meloni au pouvoir en Italie, le parti Droit et Justice (PiS) de Pologne connu pour ses positions réactionnaires anti-communistes et viscéralement anti-avortement, récemment écarté du pouvoir, les Démocrates de Suède, fondé par des néonazis, ou Vox en Espagne, nostalgique de la dictature de Franco.
Forte aujourd’hui de 130 sièges sur 705, l’extrême droite européenne (conservateurs eurosceptiques et nationalistes) semble en mesure de gagner une cinquantaine de sièges lors des prochaines élections européennes, selon les projections concernant les intentions de votes. Une certitude cependant, les digues sont prêtes à céder et un gain significatif de sièges ferait des partis d’extrême droite un courant incontournable et sans doute un allié de circonstance du PPE qui durcit son discours à mesure que l’extrême droite se renforce.
Mais la brunisation du paysage politique n’est pas une fatalité. En France, comme partout en Europe et dans le reste du monde, la lutte antifasciste des masses populaires est nécessaire pour faire avancer nos intérêts dans le sens de la démocratie directe, de l’autogestion des moyens de production, de la socialisation des richesses : de la lutte des classes en somme, que l’extrême droite espère gommer au profit des bourgeoisies nationales. No Pasarán !
Judi (UCL Caen), Hugues (UCL Fougères), David (UCL Savoies)
[1] La ligne « sortie de l’Union Européenne » était portée par l’ex-Chevènementiste Florian Philippot, ancien conseiller de Marine Le Pen désavoué depuis l’échec à la présidentielle et parti depuis fonder son propre parti, Les Patriotes, sur des lignes souverainistes/complotistes.