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Une presse libre face à l’extrême droite
Face à l’accélération de la montée de l’extrême droite provoquée par les législatives anticipées, une tribune a rassemblé les médias indépendants de toutes les tendances de la gauche, pour affirmer un « front commun » et rappeler que l’extrême droite est aussi l’ennemie de la liberté de la presse et de l’information.
Le 19 juin, Alternative libertaire était signataire d’une tribune, « Pour un front commun des médias contre l’extrême droite » [1]. Portée par le Fonds pour une presse libre, et cosignée par 90 médias, elle rappelait le danger mortel pour la presse que représente l’extrême droite : « Partout [où elle] gouverne, la liberté de la presse est violemment attaquée : interdiction de publication, destruction du secret des sources, multiplication des procédures baillons, censure, pressions et intimidations, assèchement des aides publiques à la presse. »
L’audiovisuel public, organe de propagande ?
Une fois au pouvoir, l’un des premiers objectifs de l’extrême droite est de le conserver. Cela passe entre autre par la destruction du pluralisme médiatique et de la liberté de la presse. On a pu le constater en Hongrie, où les oligarques proches du parti de Viktor Orbán contrôlent désormais plus de 80 % du paysage médiatique, et où l’audiovisuel public a été transformé en organe de propagande. L’affaire Pegasus a aussi montré que le gouvernement avait placé plusieurs journalistes et patrons de presse sous surveillance [2].
Un rapide examen du programme du RN permet de constater que la question des médias n’y est évoquée qu’en une phrase : « Privatiser l’audiovisuel public ». La chose a le mérite d’être claire : dans un contexte de concentration des médias français aux mains de quelques milliardaires, le RN souhaite appuyer sur l’accélérateur. Dans l’objectif inavoué de finir de pousser le paysage audiovisuel vers un discours conservateur et fasciste hégémonique.
Mais l’extrême droitisation de la télévision n’a pas attendu le RN : deux jours après la publication de la tribune évoquée plus tôt, nous apprenions la « mise en retrait » de cinq journalistes de France Télévisions, accusés d’avoir « enfreint la règle de neutralité politique », pour avoir signé ce texte au nom de la Société des journalistes (SDJ) de France 3. Placardisés jusqu’au 8 juillet, les signataires ne traiteront plus la campagne législative, la direction considérant qu’il « en va de l’image d’impartialité des rédactions de France Télévisions ».
La liberté de la presse en recul
Il faut dire que si le RN souhaite accélérer la mutation du PAF, les gouvernements précédents lui ont largement préparé le terrain, avec les réformes successives de l’audiovisuel public et du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), devenu l’Arcom [3] en 2022. Si le gouvernement Hollande était revenu sur la loi du 5 mars 2009 qui donnait au président de la République le pouvoir de nommer les présidents de l’audiovisuel public, cette tâche revient désormais à l’Arcom, une instance dont le président est nommé… par le président de la République. L’autorité de régulation est également pilotée par un collège de huit membres en plus de son président, trois d’entre eux étant nommés par la présidence de l’Assemblée nationale : il s’agira là d’un enjeu important dans les semaines qui suivront les élections législatives du 7 juillet, le RN pouvant, via l’assemblée, acquérir du contrôle sur le « gendarme de l’audiovisuel », déjà bien peu énergique quand il s’agit de surveiller les dérives des médias Bollorisés.
Mais ce n’est pas tout : le gouvernement Macron a aussi fait reculer la liberté de la presse, en faisant primer le secret des affaires et en portant atteinte au secret des sources, multipliant les actions contre des journalistes d’investigation : coups de pression, mais aussi perquisition et garde à vue de la journaliste Ariane Lavrilleux, journaliste au média Disclose, qui avait déjà été la cible de la DGSI à de multiples reprises pour s’être intéressée de trop près à des dossiers classés secret défense [4]. Encore plus récemment, c’est une journaliste du média Blast enquêtant sur les ventes d’armes de la France à Israël qui a été placée 32 heures en garde à vue [5].
La bascule s’est aussi faite dans les discours de Macron, en particulier lors de l’affaire Benalla. N’appréciant pas que la presse s’intéresse de trop près à son protégé, le président dénonçait alors dans une déclaration « une presse qui ne cherche plus la vérité », marquant une bascule dans un discours de post-vérité [6] d’inspiration trumpiste, et dans une attaque directe des médias d’investigation. Cette communication basée sur le rejet pur et simple de faits pourtant observables et sourcés n’est pas sans rapport avec la montée des discours fascistes. Comment s’étonner de l’explosion du complotisme à partir de la pandémie de Covid-19 quand le président de la République lui-même semble développer un rapport si souple avec la réalité matérielle ?
La presse, outil de résistance
Aujourd’hui en 2024 ce discours anti-journalistes s’est généralisé, comme le note Reporters sans frontières dans son classement annuel de la liberté de la presse où la note de la France continue de baisser. Un contexte confortable pour les discours du RN, pouvant lancer des attaques floues contre « les journalistes » sur des plateaux télévisés de plus en plus acquis à leur agenda, sans se soucier du paradoxe de la scène.
Alliées aux discours racistes traditionnels de l’extrême droite, ces prises de positions débouchent sans surprise sur des faits ciblant des journalistes racisé·es. Dans l’entre-deux tours des législatives, les journalistes Karim Rissouli et Mohamed Bouhafsi de France Télévisions, ainsi que Nassira El Moaddem de Arrêt sur images, ont tous les trois reçu des lettres d’insultes et de menaces racistes directement à leurs domiciles, ou à ceux de leurs parents.
Alors que l’extrême droite prend une place de plus en plus dominante dans les institutions politiques du pays, nous devons plus que jamais renforcer la presse libre et indépendante, qu’il s’agisse de la presse d’investigation ou des médias et journaux révolutionnaires. La presse et la circulation de l’information et des idées qu’elle permet est et sera un outil de résistance majeur contre l’extrême droite.
N. Bartosek (UCL Alsace)
[1] « Pour un front commun des médias contre l’extrême droite », Rapports de force, 19 juin 2024.
[2] « Pegasus : un député du parti au pouvoir en Hongrie reconnaît l’utilisation du logiciel espion », Le Monde, 4 novembre 2021.
[3] Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
[4] « “Disclose” : la DGSI a entendu à cinq reprises des journalistes du média d’investigation depuis 2018 », Le Monde, 22 septembre 2023.
[5] « Après sa garde-à-vue, la journaliste de Blast contre attaque en justice », Blast, 28 juin 2024.
[6] « “La tromperie est enracinée dans la communication politique” », Mediapart, 9 avril 2019.
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Grenoble : VSS au lycée, l’UCL s’en mêle
Les outils mis à disposition des élèves des lycées pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles sont souvent très faibles, sinon totalement inexistants. Comment organiser la lutte contre ces violences ? Mais aussi, quels sont les outils les plus pertinents pour le mouvement lycéen en général ? C’est ce que nous vous proposons de voir à travers l’exemple du combat mené par des élèves du lycée Bergès à Grenoble.
En septembre 2023, M. témoigne auprès de D. d’une agression sexuelle qu’il a subi de la part du professeur d’EPS. Tous deux sont élèves au lycée Bergès et militants de l’UCL Grenoble. Ils décident d’en faire le combat principal de la toute nouvelle commission lycéenne. S’ensuit une phase de récolte de témoignages sur plusieurs mois : six cas supplémentaires leur sont remontés. Dès septembre, des surveillant·es mettent au courant les CPE qui sont censées alerter à leur tour la direction. Pourtant, jusqu’en décembre, aucune forme de protection des lycéen·nes ne sera mise en œuvre. Plus tard, la direction dira ne pas avoir été informée des faits de VSS. Dans l’intervalle, les militant·es insistent et se heurtent à des murs.
La défaillance syndicale
En novembre, D. demande le soutien d’enseignantes de la CNT ou qui en sont proches. Elles avouent ne pas être étonnées des révélations sur cet enseignant mais refusent d’accompagner les élèves face à la direction. La voie syndicale est également verrouillée du côté de « Sud Lutte de classes » (scissionnaires de Sud Éducation en Isère qui utilisent toujours le nom Sud par imposture). La commission lycéenne a des contacts à la CGT Éduc’action par le biais de l’UCL mais ne trouve pas de moyen de la faire intervenir dans un lycée où elle n’est pas implantée. Du côté des élèves, c’est déçu·es de leur expérience au sein du Mouvement National Lycéen (« syndicat » plus ou moins proche de Solidaires) que les lycéen·nes communistes libertaires de Grenoble ont fondé la commission lycéenne en septembre 2023. En militant au MNL, ils et elles se sont heurté·es aux problèmes structurels du « syndicalisme » lycéen. Comment construire des sections syndicales fortes en trois ans, dans des lycées atomisés par la réforme du bac, dont l’un des objectifs est, à l’instar du management moderne, de briser les collectifs de classe ? Y a-t-il une « conscience de classe lycéenne » ?n De plus, les luttes lycéennes, et celle-ci le démontre, sont souvent trop éprouvantes pour de jeunes militant·es qui ne sont pas solidement accompagné·es par leur structure. L’UCL apporte la pratique de lutte concrète, le cadre politique et la camaraderie forte indispensables à ces luttes lycéennes qui manquaient au MNL.
La FCPE (Fédération des Conseils des Parents d’Élèves) sera la seule structure en mesure d’accompagner les élèves en lutte dans le bureau du proviseur et de son adjointe. Ce 7 décembre, les élèves posent un ultimatum : si rien n’est fait avant la rentrée de janvier, où débute un cycle piscine, ils rendront l’affaire publique. Dès la semaine suivante, l’enseignant est suspendu. Les militant·es continuent pourtant de subir diverses pressions de la part de la direction. M. est convoqué sous un faux motif et se voit accusé de propager des rumeurs sur l’agresseur. Lors d’un entretien avec les élèves en lutte, une CPE exprime la grande souffrance causée par l’impossibilité structurelle d’accueillir les victimes de VSS. Quant à la direction, elle alterne entre hostilité et fausse compassion impuissante. Par exemple, elle avoue aux militants que des lycéennes lui avaient déjà rapporté des comportements « bizarres » de cet enseignant. La direction a choisi d’en parler directement au professeur en question, sans suivi particulier, signe d’une méconnaissance profonde des violences patriarcales. Par la suite, elle transmettra que se passe-t-il au niveau de la justification les noms de ces lycéennes à la police sans leur avis. Moins surprenant, mais tout aussi violent, la police sollicitée automatiquement par le rectorat pour fournir un rapport d’enquête a mis la pression sur M. en lui demandant de pousser les autres victimes à déposer plainte. En revanche, les OPJ n’ont auditionné ni la direction, ni les CPE.
Rentrée de janvier : l’UCL en ordre de bataille
Bien que l’enseignant ait été suspendu depuis décembre, le lycée maintenait sa politique de l’opacité et rien ne garantissait qu’il ne reviendrait pas après l’enquête. La commission lycéenne a alors fait appel au reste de l’UCL Grenoble pour un tractage massif le 17 janvier. Le proviseur a eu beau sermonner longuement les élèves en lutte devant le portail, 700 tracts intitulés « Victoire pour les lycéen·nes mobilisé·es de Bergès ! » ont été distribués. Nouveau faux pas, le proviseur a ensuite demandé à toutes et tous les enseignant·es de condamner le tract devant leurs classes au motif qu’il serait erroné, puisque l’agresseur n’était pas « mis à pied » mais « suspendu »... Un tract condamnable parce que nous aurions atténué la sanction par inadvertance ? Là encore, la direction a joué des pieds et des mains alors qu’elle perdait les pédales ! En amont de cette démonstration de force, l’UCL avait fourni un accompagnement juridique ainsi qu’un partage d’expérience sur le militantisme lycéen et étudiant. Surtout, elle a apporté un soutien moral vital.
La commission lycéenne tire plusieurs conclusions politiques de ces événements qui confirment des analyses préexistantes. D’abord, l’organisation politique doit un soutien au long cours aux militant·es en première ligne dans la lutte contre les VSS et organiser des actions visibles et massives. Dans les mêmes circonstances, un syndicat lycéen aurait été démuni dès l’abandon par les profs et les CPE. Par ailleurs, notre grille d’analyse libertaire permet de mettre en évidence le rôle des institutions de l’État comme l’Éducation Nationale et le lycée Bergès dans la silenciation des victimes et la stigmatisation des militant·es lycéen·nes. À ce jour, l’enseignant n’est pas revenu. Cette victoire a permis d’emmener bon nombre de lycéen·nes en manifestation le 8 mars pour les luttes féministes,, contre le « choc des savoirs » et en soutien au peuple palestinien. Construire un mouvement lycéen fort, c’est d’abord lutter dans nos lycées.
Le combat ne fait que commencer. Au moment même où nous écrivions cet article en terrasse d’un café, un élève d’un autre lycée est venu voir D. et M. pour leur parler d’un nouveau cas. Difficile de mieux illustrer les effets de la lutte : on se reconnaît, on se cause et on s’auto-organise. Même dans les lycées, on laisssera rien passer ! Violences sexistes, riposte féministe !
Commission lycéenne de l’UCL Grenoble
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Pierre Salmon : Un antifascisme de combat, Armer l’Espagne révolutionnaire – 1936-1939
Il est des sujets déjà bien documentés que l’on pourrait penser, à tort visiblement, que l’on en a fait le tour. Cet ouvrage de l’historien Pierre Salmon, tiré de son travail de thèse, est de ceux qui nous surprennent sur un sujet que l’on croyait pourtant abondement documenté : la lutte et la solidarité antifasciste durant la guerre d’Espagne.
L’auteur s’intéresse ici à la solidarité en acte de militant·es antifascistes qui ont mis sur pied des réseaux de passe d’armes vers l’Espagne en guerre, une « contrebande révolutionnaire », pour soutenir le combat antifasciste, ce qu’il nomme un « antifascisme de combat ».
Du fait de l’abandon de l’Espagne républicaine par le Front populaire qui pratique une « politique de non-intervention », même si les frontières ne furent pas hermétiquement fermée, les approvisionnements d’armes de l’Espagne républicaine et révolutionnaire proviennent essentiellement de l’URSS. Il y eut cependant des militants, anarchistes, trotskistes ou communistes, qui entrèrent en contrebande pour défendre « leur révolution ».
À côté des actions plus ou moins publiques de soutien à l’Espagne révolutionnaire et républicaine qui furent le fait dès 1936 du Secours rouge international (SRI), lié au Komintern, du Comité anarcho-syndicaliste pour la défense et la liberté du prolétariat espagnol (CASDLPE) et du Comité pour l’Espagne libre (CEL) et après les affrontements des journées de mai 1937 à Barcelone de la Solidarité internationale antifasciste SIA, s’organisent des réseaux plus informels de contrebande d’armes entre la France et l’Espagne.
Ce sont ces réseaux et ses acteurs, les femmes très peu présentes semblent avoir été invisibilisées nous dit l’auteur, qui sont au cœur de cet ouvrage : leur (dés)organisation, leurs déboires mais aussi les parcours des militants ayant pris part à cette solidarité en acte, souvent au péril de leur vie, moins visible et aussi moins valorisée que le volontariat armé.
À travers cet « engagement politique transnational en contexte clandestin » c’est une histoire de l’illégalise politique qui nous est ici proposée, à hauteur des parcours des hommes et des femmes qui se livrèrent à cette contrebande révolutionnaire.
David (UCL Savoies)
Pierre Salmon, Un antifascisme de combat : armer l’Espagne révolutionnaire – 1936-1939, Éditions du Détour, avril 2024, 256 pages, 21,90 euros.
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Il est fini le temps des colonies : #FreePalestine, #FreeKanaky !
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Génocide en Palestine : Israël a développé un système concentrationnaire
Les images des bombardements, de la famine et des destructions de Gaza montrent le niveau d’horreur atteint par Israël. Mais il est important de ne pas oublier les prisonnières et prisonniers palestiniens, à l’heure où les témoignages de tortures, de viols, de traitements inhumains et dégradants se multiplient, dressant le portrait d’un véritable système concentrationnaire.
La situation des prisonniers et prisonnières palestiniennes est peu connue et peu évoquée, y compris à gauche. Au mieux elle est évoquée au détour d’une phrase. Au pire, les organisations de solidarité avec la Palestine se voient carrément reprocher de parler de leur situation [1]. Pourtant, il est impératif de dénoncer l’arrestation arbitraire, les humiliations, la torture, les viols et leur aggravation depuis le 7 octobre.
Un système de détention arbitraire
Qui sont les prisonnières et prisonniers palestiniens ? Souvent des mineur·es, et la plupart du temps des personnes arrêtées pour un délit anodin, ou pas de délit du tout. Un adolescent parce qu’à un contrôle dans un checkpoint des soldats israéliens ont trouvé dans son téléphone des photos d’un autre checkpoint ; un homme blessé près d’un champ de bataille à Gaza et considéré, pour cette raison, comme un combattant ; une femme arrêtée près d’un hôpital où Israël prétend que des combattantes et combattants se cachent...
La « détention administrative » permet de garder ces personnes en prison sans la moindre justification pendant six mois. Au bout de ce délai, une parodie de procès (sans aucun droit de la défense) permet de prolonger l’emprisonnement pour six nouveaux mois. Et ainsi de suite, parfois pendant des années.
En juillet, un rapport de l’ONU évaluait à 1 100 le nombre de personnes en détention administrative. En décembre, ce nombre montait à 1 310. En avril, à 3 600.
Une batterie de lois a été votée depuis décembre dernier pour créer un autre régime de détention, encore plus permissif. Le statut de « combattants illégaux », qui est celui des personnes kidnappées à Gaza.
Celui-ci donne une licence totale à l’armée pour enfermer des personnes sans charge ni mandat d’arrêt, et sans accès à un avocat. Il s’agit d’une véritable carte blanche pour kidnapper sans le moindre contrôle judiciaire, sans même que l’armée ait à informer les proches de la victime.
Si on ajoute à cela qu’aucune loi israélienne ne condamne formellement la torture [2], on comprend mieux pourquoi le Shin Bet (services secrets israéliens) explique au New York Times que tous les interrogatoires sont « menés conformément à la loi ».
Bases militaires, ou camps de concentration ?
Depuis plusieurs mois, un véritable système concentrationnaire est mis en place, dans ce cadre juridique. Des témoignages terrifiants nous parviennent des camps de Sde Teiman, dans le désert du Neguev, d’Ofer et d’Anatot. Il s’agit de bases militaires transformées en ce qu’il faut bien appeler des camps de concentration. Sde Teiman semble être le plus important de ces trois centres [3].
La comparaison des images satellites de septembre 2023 et mars 2024 réalisée par CNN montre que « plus de 100 nouvelles structures, parmi lesquelles des grandes tentes et des hangars » ont été construites en quelques mois, agrandissant largement les infrastructures du camp [4].
Les témoignages dont nous disposons sur ces camps sont effrayants. Les personnes emprisonnées doivent rester menottées pendant des jours, jusqu’à provoquer des blessures graves aux poignets, aux bras et aux jambes. Un ancien médecin du camp explique que les amputations du fait de ces blessures relèvent de la « routine ».
Souvent laissées à moitié nues, elles portent seulement des couches et il leur est interdit d’aller aux toilettes. Ils et elles ont obligation de garder les yeux bandés, ont interdiction de bouger ou de parler. À la moindre désobéissance, les soldats les frappent pendant des heures, jusqu’à provoquer des fractures des os et des côtes, ou les forcent à se tenir pendant des heures les mains au-dessus de la tête en les attachant aux barrières.
La nuit, ces personnes sont menottées à leur lit, pendant que, sous prétexte de fouille, les soldats lâchent des chiens sur les détenu·es. Dans l’ancien hôpital militaire en annexe de la base de Sde Teiman, des détenu·es, quasi-nu·es et menotté·es à leur lit, sont laissé·es à la merci de jeunes internes en médecine à qui l’armée ordonne de mener des opérations pour lesquelles ils et elles ne sont pas formé·es.
Torture et viols de masse
L’enquête du New York Times décrit une véritable institutionnalisation du viol et de la torture dans le cadre des interrogatoires. Les personnes emprisonnées, toujours les yeux bandés et vêtues seulement d’une couche, sont d’abord maintenues dans des pièces où est jouée une musique extrêmement forte, au point de provoquer de saignements dans les oreilles, pour les empêcher de dormir.
De plus, les témoignages recueillis par le New York Times décrivent de multiples méthodes de torture, parmi lesquelles l’emploi de chaises électriques, et le viol au moyen d’une barre de métal, peut-être chargé électriquement [5] sur laquelle les soldats assoient de force les détenu·es.
L’emploi de la violence sexuelle par l’armée israélienne dans le cadre d’arrestations ou d’interrogatoires est fréquent : les fouilles à nu, souvent devant les familles, sont fréquemment un prétexte pour des agressions sexuelles et des viols [6].
Selon le New York Times, 4 000 personnes aurait connu l’enfer de Sde Teiman depuis octobre, et 35 morts seraient confirmées. Ce chiffre est probablement bien en-deçà de la réalité, dans la mesure où l’occupation refuse systématiquement de rendre les corps de celles et ceux qu’elle assassine.
Le démantèlement du système carcéral israélien, de ses camps de concentration, de sa détention administrative, de son armée de tortionnaires, doit être au centre de nos préoccupations pour la décolonisation de la Palestine.
Commission relations internationales
Exergue 1 : En juillet, 3 600 personnes en détention administrative Exergue 2 : Plus de 100 nouvelles structures ont été construites
Exergue 2 : Plus de 100 nouvelles structures ont été construites
[1] Par exemple, une « lettre ouverte aux organisations qui convergent au sein d’Urgence Palestine », parue le 20 février dernier sur Mediapart, reproche à Urgence Palestine d’écrire que ne pas « faire mention des prisonniers palestiniens, hommes, femmes et enfants emprisonnés dans les geôles israéliennes, c’est se faire le porte-voix de du gouvernement israélien et de son armée », renvoyant à cette phrase comme une preuve de l’indifférence d’UP envers les otages israéliens.
[2] Israël est signataire d’une convention de l’ONU sur le sujet, mais s’est bien gardée de la traduire dans ses lois – et pour cause. Voir l’article de Janan Abdu, « The writing was on the wall for Israel’s torture of prisoners », 972 mag.com.
[3] Les informations que nous avons étant extrêmement partielles, la prudence est cependant de mise : il est possible que les témoignages dont nous disposons à ce jour ne soient qu’une petite partie de la réalité.
[4] La plus grande partie des informations sur Sde Teiman publiées dans cet article proviennent de deux sources : « Sde Teiman : « Israeli whistleblowers detail abuse of Palestinians in shadowy detention center » CNN et, « Inside Sde Teiman, the Base Where Israel Detains Gazans. » New York Times.
[5] Un des témoignages évoque un « bâton électrique » (« electric stick »).
[6] Voir l’article de Yumna Patel : « New reports confirm months of Israeli torture, abuse, and sexual violence against Palestinian prisoners », Mondoweiss
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LOA : loi d’optimisation de l’agriculture industrielle
Le parcours parlementaire de la loi d’orientation agricole (LOA), votée en première lecture au Sénat, a été interrompu du fait de la dissolution de l’Assemblée nationale. Présentée comme permettant de s’adapter au changement climatique elle est en fait le signe de la prégnance et de du poids des lobbys industriels au détriment d’une agriculture paysanne et respectueuse des sols comme des personnes.
La loi d’orientation agricole 2024 avait été adoptée en première lecture le 28 mai à l’assemblée et devait être étudiée par le Sénat courant juin, sans grande crainte alors de rejet par celui-ci, majoritairement à droite.
Pour rappel, la LOA (Loi d’orientation agricole), annoncée en 2022, était présentée pour solutionner le renouvellement de la profession agricole[[D’ici 2035, un tiers des agriculteurs et agricultrices partiront à la retraite.] ainsi que pour accompagner les pratiques agronomiques à mieux s’adapter au changement climatique.
La loi initialement prévue pour être présentée en Conseil des ministres en janvier 2024, moment où a commencé une crise agricole historique, qui oblige le gouvernement à la repousser.
Finalement présentée en avril, elle a été entre temps amendée par une bonne partie des revendications portées par la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, syndicat majoritaire) et les JA (Jeunes agriculteurs) pendant le mouvement.
C’est à dire une agriculture toujours plus industrielle et ultralibérale : assouplissement de la gestion des haies, accélération des procédures concernant les projets de retenues d’eau. Les mesures pour favoriser le triptyque robotique-génétique-numérique ont été approuvé, quand en parallèle les objectifs chiffrés sur le développement des surfaces cultivées en agriculture biologique étaient supprimés du code rural.
La victoire du triptyque « robotique-génétique-numérique »
Pour la Confédération paysanne, la priorité est l’installation de paysannes et paysans nombreux qui arrivent à vivre dignement de leur métier sur tout les territoires. Une loi portant une réelle ambition pour un avenir agricole écologique et social aurait du garantir une sécurisation des moyens de production de base : les terres, l’eau, les semences.
Un revenu décent et équitablement répartie entre les acteurs de la profession est aussi une revendication centrale de la Conf’. De même que l’amélioration de la protection sociale alignée sur les autres catégories socio-professionnelles (retraite décente, droit au repos et au remplacement, etc.) seraient des avancées essentielles qui ne sont même pas évoqués dans la loi !
Malgré tout, on notera quelques petites victoires : l’objectif de maintien d’au moins 400 000 exploitations et 500 000 chefs d’exploitation a été conservé (quand la Conf’ revendique l’installation de 1 million de paysans et paysannes !).
Les moyens d’action des SAFER (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, censé réguler le marché du foncier agricole) ont été renforcés et le projet de création de GFA-Investissement (Groupe foncier agricole) a été abandonné. Celui-ci ouvrait grand la porte à l’arrivée de capitaux financiers dans la détention sociétaire de terres agricoles.
Une loi spécifiquement sur la question foncière est d’ailleurs dans les cartons du gouvernement. Il faudra encore une fois lutter sur tout les fronts pour défendre une vision paysanne et entraîner le plus grand nombre de personnes dans la lutte car la question des terres agricoles concerne tout le monde.
Même si le combat législatif porté par les organisations professionnelles agricoles progressistes est fastidieux il reste nécessaire. Nul doute que les mobilisations locales et nationales, alliant paysans et paysannes et classes populaires seront les vrais vecteurs du changement de modèle, pour tendre à une agriculture paysanne durable, locale et enfin accessible à toutes et tous.
Vincent (paysan libertaire)
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Communiqué Alternativa Libertaria : Pour la Libération du fascisme et du capitalisme
Pour la deuxième année en Italie, nous avons célébré la Fête de la Libération sous un gouvernement d’extrême droite.
Dans toutes les villes se sont déroulées des manifestations de masse convoquées par l’Associazione Nazionale Partigiani d’Italia avec la participation de syndicats, associations et organisations politiques de la gauche. Cette année, le fait d’être nombreuses et nombreux à remplir les places a eu encore plus de signification car la cheffe du gouvernement Meloni continue à refuser de reconnaître la valeur de l’antifascisme dans l’histoire de l’Italie et se révèle chaque jour plus populiste, en invitant les électeurs et électrices à écrire sur le bulletin des élections européennes simplement son prénom, « Giorgia », en se déclarant une femme et une amie du peuple.
Cent mille antifascistes, de Rome à Milan, ont envahi les rues pour rappeler la lutte partisane contre les nazi-fascistes et pour rappeler à toutes et tous qu’aujourd’hui il est nécessaire de construire la Résistance contre la droite et contre la destruction des droits sociaux et de l’environnement.
Des milliers de drapeaux palestiniens ont flotté en solidarité avec le peuple palestinien, victime de génocide de la part de l’État colonialiste et criminel d’Israël. À Rome, d’autres cortèges et initiatives antifascistes ont eu lieu dans les banlieues pour porter la résistance là où les dommages sociaux créés par le gouvernement de Meloni, et auparavant par ceux de centre-gauche, sont les plus graves.
La manifestation principale s’est conclue à Porta San Paolo, lieu de la bataille du peuple de Rome contre les nazis le 10 septembre 1943, avec le discours d’un camarade partisan, de 97 ans, qui a dit qu’aujourd’hui encore, il serait prêt à reprendre les armes contre les fascistes.
Les camarades d’Alternativa libertaria ont porté dans les rues leur mot d’ordre révolutionnaire « Vive la Résistance contre le capitalisme », en faisant appel à l’action politique, sociale et syndicale des travailleurs et travailleuses contre le fascisme, l’exploitation des personnes et de l’environnement par la bourgeoisie. La Résistance au fascisme ne doit pas se manifester par une célébration institutionnelle complètement séparée des résistances actuelles. En mémoire du 25 Avril, nous voulons rappeler la résistance du peuple palestinien et kurde, celle contre les bases militaires et l’expansion du militarisme dans la société, contre la production et le commerce des armes, contre toutes les guerres impérialistes.
Nous voulons rappeler la résistance des jeunes qui protestent et qui sont matraqués par la police, celle des femmes en lutte pour la défense de leurs droits dans une société toujours plus machiste et patriarcale, celle des travailleurs et travailleuses qui luttent contre les licenciements, pour un salaire décent, pour la sécurité sur le lieu de travail et pour une meilleure qualité de vie.
Mais nous ne voulons pas non plus oublier la Résistance directement liée à cette date, à ceux qui ont lutté et ont payé de leur vie pour s’opposer au nazifascisme aujourd’hui ressuscité, parce qu’il est important de conserver et de transmettre la mémoire.
Contre toute frontière, parce que « notre patrie est le monde entier », pour une nature et une humanité libérées de l’exploitation capitaliste sous toutes ses formes, contre le racisme et la répression, contre toute oppression politique et d’État.
En toute circonstance, vive la Résistance au capitalisme !
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QUE FAIRE ? • 5/5 • UCL : démocratie directe, fédéralisme et autogestion 18/01/2022
L’Union communiste libertaire a vu le jour en 2019, suite à la fusion de deux organisations : Alternative libertaire, fondée au début des années 1990, et la Coordination des groupes anarchistes, née une décennie plus tard. Forte d’un journal mensuel et d’une cinquantaine de groupes et liaisons sur le territoire français, l’UCL s’inscrit, comme son nom l’indique, dans une tradition précise : « L’anarchie et le communisme sont les deux termes nécessaires de la révolution », lançait, peu après la Commune de Paris, l’un de ses fondateurs. L‘UCL invite à la constitution, dès à présent, de contre-pouvoirs dans l’ensemble de la société — dans l’espoir de former, à terme, un véritable double pouvoir. Autrement dit, un pouvoir populaire capable de remplacer le pouvoir d’État puis de travailler à l’instauration d’un ordre social fédéré, autogestionnaire et démocratique. S’écartant à la fois des hypothèses électorales, de désertion et d’appropriation de l’appareil d’État, les inspirations contemporaines de l’UCL sont notamment à chercher du côté du Mexique et de la Syrie : les zapatistes et le Rojava. Dans le cadre de ce dossier entièrement consacré aux différentes stratégies de rupture avec l’ordre dominant, nous avons discuté avec l’organisation.
La notion de « double pouvoir » reste peu connue. Lénine avançait, en avril 1917, que la révolution russe « a ceci de tout à fait original qu’elle a créé une dualité de pouvoir » : la société était coupée en deux, entre gouvernement provisoire bourgeois et Soviets. En termes contemporains, que recouvre cette notion, centrale dans votre Manifeste ?
Comme ça ne vous étonnera sans doute pas, la notion de double pouvoir telle qu’elle est théorisée par notre organisation, communiste et libertaire, n’est en rien une référence à Lénine. Elle s’inscrit dans un processus révolutionnaire qui fait passer la société d’un contrôle capitaliste étatique à ce que nous essayons de construire : une société communiste libertaire, autogérée, fédéraliste. Pour comprendre ce que nous entendons par « contre-pouvoirs », il est important de définir cette notion. C’est, selon nous, l’ensemble des structures syndicales, organisationnelles, associatives et politiques, au sens large, qui visent à une transformation directe et immédiate de la société. Dans notre définition, ce sont des organisations ayant pour vocation d’organiser les masses pour lutter contre les dominations (qu’il s’agisse du patriarcat, du racisme, du colonialisme, du validisme, etc.) et d’instaurer les solidarités nécessaires pour répondre aux appétits destructeurs du capitalisme et des systèmes d’oppression.
Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
Des associations comme le Planning familial, Survie, les assemblées générales féministes locales, les collectifs et associations de lutte LGBTI, les collectifs de soutien aux personnes sans-papiers, ou encore les organisations antiracistes spécifiques et les collectifs de lutte contre les violences policières. Nous pensons que la révolution peut advenir au terme d’un processus marqué à la fois par des conflits sociaux — la lutte des classes se matérialisera nécessairement dans des conflictualités dues à l’antagonisme des intérêts de classes — et des expérimentations portées par des contre-pouvoirs. En période non révolutionnaire, les militant·es révolutionnaires libertaires doivent donc agir afin que ces contre-pouvoirs se construisent sur des bases autogestionnaires. Une fois constitués, ils ont pour vocation, en période pré-révolutionnaire — c’est-à-dire dans ce temps où le pouvoir étatique est débordé —, de servir d’armature à un maillage de structures véritablement démocratiques, dans lesquelles le pouvoir populaire se matérialisera. C’est dans ce moment de tensions fortes, où le pouvoir capitaliste est réellement remis en cause, que se dessinent les contours d’un pouvoir populaire qui n’est pas pour nous l’État ouvrier léniniste, mais bien une dynamique de démocratie directe, fédéraliste et contrôlée par la base. On peut parler alors de double pouvoir : au pouvoir étatique capitaliste s’opposent frontalement des fédérations de producteurs, des comités de quartier (nous n’avons pas de fétichisme des appellations : les pratiques nous importent davantage)… L’objectif n’est pas de substituer un pouvoir holiste à un autre, mais bien de remplacer le pouvoir étatique par un pouvoir populaire horizontal et autogéré.
Cette révolution, personne ne peut aujourd’hui l’anticiper.
Évidemment. Personne ne sait si et quand la révolution viendra. Mais il est de notre devoir de ne pas rester attentistes — d’autant plus qu’il s’agit d’une question de survie face à la brutalité de l’exploitation et à la crise climatique. S’il suffisait d’attendre que le capitalisme s’effondre sous le poids de ses contradictions pour arriver à la révolution, le militantisme n’aurait pas de raisons d’être. Il est donc de notre devoir de militant·es libertaires de tout mettre en œuvre pour que les conditions nécessaires à la révolution se développent : l’investissement dès aujourd’hui dans les contre-pouvoirs est indispensable. Peut-être pas suffisant, mais absolument nécessaire.
Vous occupez une position singulière dans la pensée stratégique : vous n’êtes ni favorables à la « poétique de la révolution » du mouvement autonome — émeutes, spontanéisme, sécession —, ni, on l’a vu, des nostalgiques du parti léniniste. Vous tenez cependant au moment révolutionnaire comme à un moment de bascule : il y aura un avant et un après.
Notre position n’est pas si singulière, de notre point de vue. Nous nous inscrivons dans une lignée déjà ancienne, dans une tradition révolutionnaire que l’on peut faire remonter à l’Internationale anti-autoritaire de 1872, qui est née de la rupture d’avec les marxistes orthodoxes. Depuis, des générations de révolutionnaires se sont succédé. Les libertaires ont été de tous les combats et nous avons su tirer quelques leçons des erreurs du passé. Ces débats sont anciens. On pourrait citer Malatesta qui promeut le gradualisme face à Kropotkine. Son idée, rapidement résumée, c’est de dire qu’il est peu probable que les conditions requises pour une révolution anarchiste adviennent toutes prêtes, et qu’il est donc nécessaire de préparer la révolution en s’emparant dès que possible de tout ce qui peut être gagné contre l’État et le capital — ce qui participe à affaiblir leur pouvoir. Plus proche de nous, dans les débats qui ont agité les mouvements révolutionnaires dans la période d’après 68, certain·es ont fait le choix d’être dans la construction de ces contre-pouvoirs, notamment via l’investissement syndical, en se gardant à distance de deux impasses : le léninisme et le nihilisme. La conception léniniste du parti révolutionnaire n’a pas été — et ne sera jamais, selon nous — en mesure de mener une révolution au sens où nous l’entendons, c’est-à-dire une révolution globale des formes économiques, sociales, politiques et culturelles de la société. De même, s’en remettre complètement à la spontanéité n’est pas pour nous une option, d’autant plus que « Tout ce qui bouge n’est pas rouge », comme dit le proverbe… Le moment révolutionnaire, c’est donc ce moment où les forces sociales, les contre-pouvoirs, sont en mesure, non plus de défier le pouvoir étatique-capitaliste, mais de s’y substituer : c’est le « double pouvoir », comme nous l’avons dit.
Une fois ce stade atteint, il sera primordial de continuer à orienter ce processus révolutionnaire dans un sens autogestionnaire afin d’amener le dernier stade de transformation sociale que nous défendons, à savoir le pouvoir populaire. Que nous voulons d’essence libertaire. La bureaucratisation de ce processus — en ce qu’elle signifierait la fin de l’extension du pouvoir populaire à tous les domaines de la société pour s’en remettre à une force supérieure qui agirait en son nom — signerait alors la mort du processus révolutionnaire. Par contre, il ne nous est pas possible de dire aujourd’hui quelle forme prendra exactement ce moment révolutionnaire, la particularité des libertaires étant que nous n’avons pas de petit livre, fût-il rouge et noir, qui nous donnerait par avance la marche à suivre et une photographie de la révolution à venir. Pour autant, nous n’estimons pas être dans une logique de « laisser faire ». De même, nous ne partons pas du principe que la « bonne volonté populaire » saura trouver d’elle-même l’ensemble des réponses aux questions que posent nécessairement les périodes de troubles que représentent les révolutions.
D’où, on le devine, l’existence de votre organisation ?
L’une des raisons d’être de l’UCL est aussi de trouver dans notre pratique politique au quotidien des réponses potentielles aux questionnements légitimes qu’amènent un chamboulement total de la société et le renversement de l’ordre établi. C’est ce que certain·es camarades de la FOB Autónoma (Federación de Organizaciones de Base) d’Argentine appellent la « pratique préfigurative » : elle fait émerger dans le présent les solutions pour la construction d’un monde sans État pour demain, que nous tâchons de faire vivre dans notre organisation et dans les contre-pouvoirs que nous investissons.
Votre organisation est de taille modeste. Et vous faites effectivement savoir que le rôle des communistes libertaires sera de « contribuer à orienter le processus révolutionnaire vers une solution autogestionnaire ». Comment imaginez-vous pouvoir gagner en influence ?
Par nos pratiques autogestionnaires mises en œuvre dès à présent, dans les luttes que nous animons ! Cette « poétique de la révolution » peut être attirante pour certain·es. Elle donne des textes enflammés. Mais, au final, elle ne parle pas à grand monde et n’aboutit pas à grand-chose. Quant aux expériences marxistes-léninistes, elles ont montré leur inefficacité du point de vue révolutionnaire — entendu que la révolution ne consiste pas à substituer un pouvoir à un autre, une oligarchie à une autre, fussent-ils repeints en rouge. C’est dans cette logique que nous ne pensons pas l’implication des militant·es de l’UCL au sein de ces contre-pouvoirs comme étant une pratique d’avant-garde. Il ne s’agit pas pour nous d’en imposer par le nombre, en agissant à des postes de responsabilité au sein de ces structures pour en prendre le contrôle ou en les utilisant pour faire grossir nos rangs, mais de diffuser des pratiques et des outils autogestionnaires et de démocratie directe, en accord avec une éthique militante qui vise à être la plus irréprochable possible. C’est ce rôle que nous définissons par l’appellation « animateurs et animatrices autogestionnaires des luttes ».
Nous voyons à travers les expériences du Chiapas ou du Rojava — malgré leurs limites — que le fédéralisme et l’autogestion sont mieux à même de porter des projets révolutionnaires et émancipateurs. Quant aux luttes contre les grands projets capitalistes, comme les ZAD, nous voyons bien qu’elles ne se font pas en référence à une avant-garde révolutionnaire qui préfigurerait le grand parti des travailleurs, mais qu’elles sont bien plus proches d’une vision libertaire de l’existence. Ce ne sont que des exemples parmi de nombreux autres, qui montrent que l’influence des pratiques autogestionnaires que nous portons peut avoir une incidence tout à fait déterminante dans les luttes qu’il nous reste à mener. Il est de notre rôle de militant·es révolutionnaires libertaires de faire le lien entre ces expériences et des pratiques quotidiennes dans les contre-pouvoirs dans lesquels nous sommes investi·es — et en premier lieu les syndicats.
Vous louez une conception « moderne » du prolétariat. Il serait donc possible de détacher ce mot du sens qu’il a dans l’imaginaire collectif, à savoir les travailleurs des usines ?
On pourra sur ce point se référer à Marx : le prolétariat désigne celles et ceux qui n’ont pour vivre — et souvent survivre — que le choix de vendre leur force de travail, celles et ceux qui sont privé·es du capital et de la propriété des moyens de production. Il est indispensable de faire sortir le prolétariat de cette imagerie d’Épinal, qui le fantasme uniquement sous les traits d’un ouvrier blanc en blouse bleue ! Les enseignant·es, les caissier·es, les infirmier·es, les manutentionnaires, les serveur·ses : toutes et tous sont des prolétaires. De même qu’aujourd’hui le prolétariat ne se retrouve pas uniquement dans le travail salarié. L’ubérisation de l’économie a fait sortir du salariat des personnes — auxquelles on donne le statut d’auto-entrepreneurs —, qui sont objectivement des prolétaires, tout autant que les personnes privées de travail. Du reste, le prolétariat ne subit pas de manière équivalente l’exploitation économique qui, d’ailleurs, ne peut être prise comme seul point de référence. C’est parce que nous adoptons toujours un angle matérialiste que nous nous appuyons sur une grille de lecture intersectionnelle, issue du Black feminism des années 1970, comme ont pu le faire avant nous d’autres organisations anarchistes. Les secteurs féminisés — comme ceux de l’aide à la personne, du ménage — sont les lieux où s’exprime le plus l’exploitation économique, qui se cumule avec l’exploitation économique des femmes par les hommes à la maison, mais aussi les discriminations racistes, sexistes et LGBTIphobes qui précarisent les prolétaires concerné·es, que ce soit par des salaires moindres, l’accès au logement, aux soins… Le prolétariat ne peut plus être perçu comme un corps uniforme qui subirait de manière systématique et égale une même exploitation au sein du monde capitaliste. C’est encore plus évident si l’on prend en considération le colonialisme et son expression la plus brutale, dont bénéficient les pays colonisateurs. C’est aussi pour ça qu’il nous paraît essentiel de prendre notre part dans les luttes internationales et anticoloniales, en étant autant présent·es sur les luttes anticapitalistes que sur les luttes féministes et écologistes.
Que recouvre le « rôle central » que vous attribuez au prolétariat ainsi défini ?
Il procède de sa position dans le système économico-social capitaliste. C’est parce qu’il est au cœur de l’exploitation capitaliste que le prolétariat a un « rôle central ». C’est parce qu’il expérimente quotidiennement l’exploitation dans la vente de sa force de travail que le prolétariat a un « rôle central » (tandis que les capitalistes en retirent les bénéfices). C’est aussi parce que la ou le prolétaire expérimente auprès des autres prolétaires la réalité de l’exploitation en même temps que la conscience que celle-ci relève d’un ordre systémique. C’est enfin parce que les prolétaires sont au centre des dominations multiples (économiques comme sociales) qu’ils et elles sont plus à même de les comprendre, de s’organiser et d’agir concrètement contre ce qui nous pourrit toujours plus la vie. C’est dans cette logique que nous sommes certain·es que nous n’avons pas besoin d’instance supérieure pour nous dicter les modes d’organisation et la structure de la société qui est la plus à même de nous apporter l’émancipation. Simplement dit, c’est nous qui produisons, c’est nous qui subissons, donc c’est nous qui décidons. Notre analyse est dictée par la nature même de l’exploitation systémique du capitalisme.
Le syndicalisme pourra être « potentiellement, demain, un acteur indispensable de la socialisation des moyens de production, nécessaire pour basculer dans une autre société », écrivez-vous. On se souvient également de votre défense de la CGT, en mai dernier, suite aux attaques antisyndicales. Quelle est la place du syndicalisme au sein de votre dispositif ?
Ce n’est pas tant la CGT que nous défendions alors qu’un principe révolutionnaire. S’en prendre physiquement à des prolétaires organisé·es, quelle que soit la nature des reproches que l’on puisse faire à la CGT, à son service d’ordre ou aux autres structures syndicales, c’est tout simplement agir contre son camp. Notre ennemi, aujourd’hui, n’est clairement pas incarné par les structures syndicales, dont on peut regretter, de l’extérieur — ce qui est toujours plus facile — qu’elles soient défaillantes sur certains points, mais bien par les capitalistes. La CGT est, qu’on le veuille ou non, une organisation de masse et de classe, quoi qu’on pense de son organisation interne, de son fonctionnement ou de ses choix stratégiques. Il n’existe pas aujourd’hui de contre-pouvoir qui ait la potentialité révolutionnaire des syndicats. Certain·es peuvent le regretter, mais c’est un fait. Les syndicats portent les germes d’une société communiste libertaire que nous souhaitons voir émerger, dans le sens où l’un des objectifs historiques du syndicalisme est la destruction du capitalisme. C’est également au sein des syndicats qu’on peut, dès aujourd’hui, construire des contre-pouvoirs qui seront de nature à se substituer à l’État et aux capitalistes en période pré-révolutionnaire.
La socialisation de la société passant nécessairement notamment par la socialisation des moyens de production, les syndicats sont de ce point de vue incontournables si nous voulons maintenir la production nécessaire à la survie de tous et toutes. Dès lors, il nous paraît évident que les militant·es révolutionnaires libertaires doivent s’investir syndicalement et participer à la diffusion de pratiques horizontales et interprofessionnelles sur la base du syndicalisme d’industrie. Il s’agit, pour faire un parallèle avec la double besogne assignée aux syndicalistes par la charte d’Amiens1, de construire aujourd’hui des pratiques syndicales de luttes autogestionnaires, et de préparer demain la socialisation de l’économie.
Mais on ne peut pas nier la perte d’influence des syndicats dans le monde du travail…
Elle est réelle et multifactorielle. Elle doit être appréhendée et analysée de façon objective. La répression féroce de la part du patronat et de l’État, la propagande antisyndicale faite par des médias à leurs ordres sont évidemment à citer. Le peu de victoires obtenues face à des gouvernements qui refusent la démocratie et imposent leurs diktats est aussi à prendre en compte. Les méthodes autoritaires qu’ont eues à subir les syndicalistes ces dernières décennies, l’influence (heureusement très clairement en perte de vitesse) des staliniens dans certains syndicats ainsi que l’éclatement du syndicalisme de lutte sont aussi très certainement en cause. Par ailleurs, si nous pensons que le syndicat revêt une importance stratégique primordiale, il n’est pas le seul contre-pouvoir à investir. Les luttes antiracistes, antipatriarcales et écologiques vont au-delà du champ du travail : elles sont des luttes transversales qui doivent être prises en compte par les syndicats. Elles permettent d’amener des personnes jusqu’ici non impliquées à appréhender l’importance du syndicalisme et à se syndiquer. Ces luttes renouvellent et renforcent le syndicalisme : elles ne sont ni subsidiaires, ni subordonnables. Elles traversent toute la société et représentent autant de contre-pouvoirs agissant directement sur sa transformation. S’il est pour nous essentiel de les faire vivre aussi au sein de nos syndicats, nous ne pensons pas que ce seul outil puisse suffire.
Pour quelle raison ?
Car, précisément, l’oppression ne s’exerce pas seulement au travail. Il est donc vital pour nous de faire exister ces combats partout où c’est nécessaire. Nos vies et les différentes formes d’oppression que nous subissons ne se réduisent pas à l’exploitation salariale. C’est en prenant en compte tous ces aspects que nous renforcerons notre classe et créerons de réelles solidarités en luttant contre toutes les dominations — qui seront autant de leviers nécessaires à une stratégie révolutionnaire.
Dans Maintenant, le Comité invisible avance que « le vieux mythe de la grève générale est à ranger au rayon des accessoires inutiles ». Vous en faites, vous, « une visée stratégique, structurant [votre] action ». Pourquoi ?
Pour les raisons que nous venons d’évoquer. Le tout n’est pas de dire « On veut faire la révolution », mais de voir concrètement comment on s’organise au sein du prolétariat, comment on se donne les moyens de peser, de massifier nos positions. La grève générale ne se décrète pas : elle se construit dans et par les luttes. Et ce sont ces luttes qui vont construire tout à la fois une conscience de classe et des pratiques d’action et d’organisation que nous souhaitons voir se généraliser. Cette stratégie politique permet de mettre en application l’ensemble des théories et pratiques politiques que nous défendons. La plupart des soulèvements d’ampleur qui ont eu lieu ces dernières années se sont appuyés sur la grève générale pour faire advenir un monde plus égalitaire. Puisque la grève générale se construit dans et par les luttes, ça ne peut pas se faire sans une prise en compte de la multiplicité des systèmes de domination. Car, à l’inverse de certains courants politiques, nous ne pensons pas que les luttes antiracistes ou féministes, par exemple, divisent le camp des exploité·es : au contraire, elles le renforcent et permettent son unité. Les grèves des femmes qui, dans nombre de pays, ont été des réussites en sont un des exemples les plus frappants. Elles nous rappellent que la grève générale n’est pas un mythe poussiéreux mais une perspective révolutionnaire toujours vivante. S’il n’existe pas de « bouton magique » permettant de la faire apparaître, l’expérience de l’Histoire et de nos camarades à l’international nous démontre bien qu’elle doit être au contraire centrale dans notre perspective et nos visées politiques. Elle n’est donc pas un fétichisme mais une visée pragmatique, conséquence de l’opposition radicale des intérêts de notre classe qui fait « tourner la machine », comme on dit, d’avec la classe des capitalistes.
Face aux « risques de militarisation ou d’ordre policier » qui, évidemment, apparaîtront en cas de changement révolutionnaire, vous envisagez la construction de « structures d’autodéfense ». Qu’est-ce que ça recouvre, concrètement ? Une « garde civile », ainsi que le penseur écologiste et communaliste Murray Bookchin l’a théorisée pour « répondre aux menaces extérieures » ?
La notion de « garde civile » est peu développée chez Bookchin. Il est difficile, pour des libertaires, de penser en détail des structures nécessairement plurielles et autogérées dans le cadre d’une révolution libertaire. A fortiori quand on parle d’autodéfense, parce que notre imaginaire est submergé, saturé d’images et de représentations construites par nos ennemis. Là encore, l’Histoire nous apprend que les formes de ce type de structures peuvent être plurielles : on pense notamment à l’Ukraine de 1918 à 1921, la Catalogne en 1936-1937 ou, plus près de nous, au Chiapas ou au Rojava. Mais les conditions matérielles qui apparaîtront lors de ces changements révolutionnaires, et qu’on ne peut par avance décrire, compteront pour beaucoup dans la forme que prendront ces structures d’autodéfense. Une partie des forces de l’ordre, policiers et militaires, prendront-ils les armes contre leurs maîtres ? Ces changements révolutionnaires se feront-ils sur un temps court et de très fortes tensions, ou naîtront-elles d’un long processus de délitement du pouvoir central ? Là encore, on n’a pas de petit manuel rouge ou rouge et noir qui nous le dit. En attendant, il faut l’avoir en tête et intégrer dès à présent les pratiques d’autodéfense comme faisant partie du bagage de base de tout·e militant·e : les SO en manif, l’autodéfense numérique, la sécurité des camarades, etc., ne doivent pas être le fait de quelques militant·es. Nous pensons que les outils essentiels à l’autodéfense de notre classe doivent être pluriels et qu’il nous appartient de les diffuser : ils ne doivent pas être l’apanage de petits groupes spécialisés. D’ailleurs, l’autodéfense telle que vue par des communistes libertaires répond aux mêmes principes que toutes les autres structures : mandats impératifs et révocables, horizontalité, autogestion. Il ne s’agit pas pour nous de reproduire une vision viriliste et validiste de l’autodéfense, mais bien de promouvoir la force du collectif face aux différentes menaces que nous sommes amené·es à croiser.
Votre projet est clairement anti-étatiste. Socialisme ou Barbarie avançait, par la voix de Castoriadis, qu’aucune société moderne ne pouvait se passer de centralisation. L’organisation a donc promu la constitution d’un Gouvernement des Conseils autour d’une Assemblée centrale. Comment votre « fédéralisme » pense-t-il les tâches d’ampleur nationale — entre cent : le démantèlement coordonné des centrales nucléaires ?
Castoriadis avait tort ! Le fédéralisme est une notion qui nous paraît comme éminemment contemporaine. C’est encore un prisme qui marque beaucoup de ces intellectuel·les radicaux chics : Frédéric Lordon ou Andreas Malm, par exemple. Ils ont en commun le fait d’être très radicaux dans les dénonciations des méfaits de ce système, mais d’être incapables de penser le dépassement de l’État et du centralisme étatique. Nous pensons qu’il est nécessaire de dépasser l’État pour qu’advienne une société réellement autogestionnaire. Alors, évidemment, une fois ceci posé, plusieurs questions viennent. Elles ne sont pas toutes dénuées de pertinence — comme la vôtre sur le démantèlement des centrales : mais c’est une question qu’il conviendra de débattre dans le cadre des structures issues du syndicalisme et des conseils locaux concernés, étant entendu que, pour ce qui est du nucléaire, on est à une large échelle. Le démantèlement des centrales n’est pas du ressort national mais de l’ensemble des territoires concernés. Là encore, on est pris dans le prisme de notre socialisation dans un système nationalo-étatique. Prenons le cas de la centrale de Fessenheim : elle est quasiment sur la frontière avec l’Allemagne et toute proche de la Suisse. Ajoutons que ce qui permet l’existence du nucléaire civil repose aussi sur une logique internationale très liée à la question du colonialisme, laquelle logique peut être perturbée par l’avènement de conflits d’ampleur dans les produits producteurs — comme on peut l’observer actuellement au Kazakhstan. On voit bien à travers ce simple exemple que la dimension nationale n’est pas si pertinente que ça pour aborder un problème macro-social.
L’organisation fédérale, au niveau des territoires comme des travailleuses et des travailleurs, en intégrant les besoins directs des personnes concernées, serait beaucoup plus à même de mener à bien — c’est-à-dire concrètement et dans le respect absolu de la sécurité des populations — le démantèlement d’une centrale. En tout cas, bien mieux que ne le ferait un État capitaliste soumis aux intérêts économiques. Ou un État dit « ouvrier » gouverné d’en haut, sans prise sur les réalités du terrain. L’exemple de la pandémie que nous traversons est aussi une bonne manière d’appréhender la nécessité d’une coopération internationale, que peut largement favoriser un fonctionnement horizontal élargi à l’échelle planétaire. De même, à l’UCL, nous revendiquons la socialisation et l’autogestion des moyens de santé. Ce qui ne peut être envisagé ni à une échelle étatique, ni à une échelle localiste. La pandémie est mondiale, il est donc nécessaire d’appliquer une stratégie d’union qui ne crée pas de concurrence entre les régions du monde. Aujourd’hui, nous le voyons bien : malgré les consensus et préconisations scientifiques, c’est l’arbitraire étatique qui décide et dicte l’agenda sanitaire. Rappelons que l’État français, très tôt dans la pandémie, a fait le choix de placer la gestion sanitaire sous la responsabilité d’un conseil de défense, interdisant de fait tout regard sur le processus de prise de décision. Alors que l’État accélère le calendrier vaccinal pour la troisième dose de vaccin contre le Covid, d’autres régions du monde peinent à atteindre les premiers objectifs de vaccination. Or, tout comme un nuage radioactif, le virus et ses variants ne sauraient s’arrêter à une frontière. Cette logique sanitaire à double vitesse, pensée à l’échelle nationale, est mortifère. Elle ne peut que prolonger, voire aggraver la pandémie.
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Syndicalistes donc antifascistes : Le syndicalisme face à l’extrême droite, une affaire d’histoire et de principes
La lutte contre l’extrême droite n’est pas seulement une affaire électorale, elle se joue également au niveau syndical. Les prises de position de plusieurs centrales syndicales contre le Rassemblement national, appelant à faire barrage dans les urnes, nous rappellent qu’historiquement les syndicats se sont toujours opposés à l’extrême droite. Des années 1930 à l’époque de Vichy, des syndicalistes se sont levé·es pour dire en quoi le projet politique de l’extrême droite s’oppose au syndicalisme.
L’extrême droite est puissante, c’est un fait. Son importance en France s’ajoute à sa poussée en Europe comme l’ont démontré ces élections européennes. Déjà aux manettes de plusieurs États européens, bien souvent dans le cadre de coalitions, ses idées ont infusé à un tel point que désormais les leaders de la droite nouent des alliances et qu’ils n’ont pas besoin d’être au pouvoir pour que des éléments de leur programme soient appliqués par d’autres, à l’image de la loi immigration proposée par le gouvernement français et adoptée avec les voix du RN. Aujourd’hui les affronter devient donc difficile. Mais un acteur n’entend pas transiger avec eux, en dépit même parfois de ses militant·es : les syndicats. Encore ces jours-ci, ceux-ci prenaient position à cinq (CFDT, CGT, FSU, Solidaires et UNSA) pour engager toutes leurs forces militantes à s’opposer à l’arrivée au pouvoir du parti de Marine Le Pen, qui atteste de leur opposition de principe et fondamentale à l’égard de l’extrême droite [1]. Ces syndicats n’avaient pas attendu d’avoir la confirmation par les urnes des intentions prêtées aux électeurs et aux électrices par les sondeurs, et l’annonce stupéfiante du président de la République, pour affronter le danger. Ainsi, le 16 avril, la CGT et la CFDT se sont réunies avec d’autres syndicats européens à la Bourse du travail de Paris pour débattre de l’influence de l’extrême droite sur le lieu de travail et sur les moyens de la combattre [2], démontrant ainsi leur attachement à un engagement pris depuis longtemps, qui remonte aux premières percées du Front national aux élections municipales au début des années 1980.
Les formes de l’opposition à l’extrême droite s’expriment différemment suivant les organisations, en lien avec leur propre histoire et les principes défendus. Mais cette opposition est bien réelle, quasi identitaire pour les syndicats qui portent en eux-mêmes une vision des rapports sociaux contraire au projet sociétal de l’extrême droite. Ce n’est pas un hasard s’ils sont régulièrement attaqués par les différentes figures de ce camp, de Louis Aliot pour qui les syndicats « ne servent à rien » à Marine Le Pen qui ne se prive d’aucune occasion pour contester leur légitimité ou le bien-fondé de leur action [3]. Au-delà des mots, ce sont également les locaux syndicaux qui sont aussi souvent ciblés par l’extrême droite de rue, et notamment ceux de Solidaires et de la CGT.
1934 : face au danger fasciste, les deux CGT se réunissent
Pour comprendre l’opposition syndicale à l’extrême droite, il faut revenir à ce qu’il s’est passé en 1940 ou en 1958, plus encore que ce qui a été fait lors du Front populaire. À l’époque, à la suite du coup de force orchestré par les ligues d’extrême droite le 6 février 1934, les deux principales forces syndicales d’alors, la CGT et la CGTU, séparées depuis 1921, décident de se réunifier dans une seule organisation : il fallait « faire fron » [4]. Manifester ensemble comme elles l’ont fait au lendemain de l’événement, le 12 février, ne suffisait pas : il fallait acter l’unité des forces contre l’ennemi. Cela amène au congrès commun de Toulouse en mars 1936, préparé pendant de longs mois (le processus de réunification avait été lancé dès l’automne 1934 par des premières rencontres officielles entre dirigeants alors que déjà, à la base, des syndicats s’unissaient sans attendre les consignes confédérales) [5]. Les syndicats avaient anticipé le mouvement plus global de la gauche dans son ensemble, qui se montra prête à s’unir quand le danger d’une extrême droite au pouvoir prit forme.
En 1940, leur posture face à Vichy montre davantage ce qui les oppose fondamentalement à ce courant politique d’inspiration fasciste : cela commence avec la signature d’un texte commun, « le syndicalisme français, ce qu’il demeure, ce qu’il doit devenir » (connu ultérieurement sous le nom de « Manifeste des Douze ») [6].
Après la publication par Vichy le 9 novembre d’un décret annonçant la dissolution immédiate des centrales syndicales, ne permettant qu’aux structures locales d’exister, douze leaders syndicaux, trois de la CFTC et neuf de la CGT, apposent leur nom au bas d’un texte qui, sans être révolutionnaire, attaque la conception de l’État français du maréchal Pétain et son organisation sociale.
Le syndicalisme contre le corporatisme
Deux principes sont ardemment défendus dans le Manifeste : la pluralité syndicale et l’indépendance à l’égard de l’État. Face à la volonté de concevoir un syndicat unique qui lui enlèverait toute autonomie en le plaçant dans la même structure que le patronat, suivant le modèle corporatiste (ce qui sera mis en œuvre sous la forme de comités sociaux d’établissement), le texte fait valoir le principe premier de la liberté syndicale (choix d’adhérer ou non à un syndicat) et le libre choix de son organisation. S’il reconnaît à l’État son rôle dans le bon fonctionnement économique et sa nécessité de jouer un rôle d’arbitre, le syndicalisme ne saurait toutefois s’y soumettre, ce qui est résumé par la formule suivante :« le syndicalisme ne peut pas prétendre absorber l’État. Il ne doit pas non plus être absorbé par lui ». Face au projet pétainiste, en partie élaboré par un ancien syndicaliste, René Belin, qui se voulait héritier de la doctrine sociale chrétienne et faisait disparaître la lutte de classe, soit des objectifs partagés dans ce manifeste, la signature de ces syndicalistes, en particulier chrétiens, est symptomatique. D’autres responsables ont d’ailleurs accepté de participer à la Charte du travail du régime de Vichy. Mais il est des principes qui demeurent intangibles et qui expliquent l’adhésion de ces dirigeants au manifeste et leur entrée dans la Résistance, au nom de cette défense de la liberté, un principe qu’ils reprendront ensuite à la Libération en refusant la centrale unique envisagée par la CGT dans la prolongation du « Comité d’entente interconfédéral » à l’œuvre depuis mai 1944. La CGT avait initialement proposé l’établissement d’une plateforme d’unité d’action pour parvenir à l’unité organique (septembre 1944) puis avait soumis l’idée d’une fusion (mars 1945).
Pas de discrimination raciale pour les syndicats
Le « Manifeste des Douze » montre aussi une opposition claire et nette face à toute forme de xénophobie et d’antisémitisme alors que le régime vient de promulguer son décret sur les Juifs, les excluant de certaines professions et en faisant d’eux une catégorie à part des citoyens français. Face à ces lois, le texte récuse toute discrimination : « le syndicalisme français ne peut admettre entre les personnes de distinctions fondées sur la Race, la Religion, la Naissance, les Opinions, ou l’Argent. Chaque personne humaine est également respectable », condamnant explicitement l’antisémitisme. À chaque fois, la CFTC a refusé de s’engager dans quoi que ce soit qui aille au-delà de l’unité d’action, arguant du pluralisme syndical comme « l’une des expressions les plus hautes de l’exercice de la liberté et de la démocratie » [7].
Contre le coup d’état de De Gaulle
1958 est un autre moment-clé qui témoigne de l’engagement des syndicats dans la défense des principes démocratiques et le respect de l’État de droit. La CGT et celle qui est encore la CFTC participent à la manifestation du 28 mai 28 mai qui visait à défendre la légalité républicaine et « les libertés démocratiques » contre la prise de pouvoir de De Gaulle à la suite à l’insurrection orchestrée par les Français d’Algérie et l’armée le 13 qui avait amené la constitution d’un Comité de salut public à l’origine de l’appel à De Gaulle. Dans les jours qui suivirent, alors que De Gaulle, sans condamner le coup de force, affichait sa disponibilité à prendre « la tête d’un gouvernement de la République », et que l’armée orchestrait la montée en pression sur le territoire (un comité de salut public institué en Corse, la possibilité d’un coup d’État communiste annoncée régulièrement), Pflimlin acceptait de démissionner sous pression du président René Coty. De Gaulle pouvait être alors nommé Président du conseil aux conditions qu’il avait lui-même fixées, à savoir les pleins pouvoirs pendant six mois pour modifier la constitution. Le cortège du 28 mai ne réunit toutefois que 200 000 manifestant·es, démontrant que si les états-majors syndicaux avaient tenu bon sur leurs principes, les bases militantes, elles, n’avaient guère envie de défendre le régime de la IVe République.
Aujourd’hui, ces idéaux continuent à alimenter le combat contre l’extrême droite. Certes, le programme du RN n’en vient pas à proposer la dissolution des organisations syndicales. Mais, dans « la grande réforme des syndicats » telle qu’elle a été présentée lors des dernières campagnes présidentielles, il s’agit bien de limiter la déjà maigre étendue de leur pouvoir et de se placer implacablement aux côtés du patronat. C’est le sens porté par exemple de l’interdiction des piquets de grève ou du vote préalable de l’ensemble des salarié·es à tout arrêt de travail (annoncés un temps comme la réforme des élections professionnelles ou de la représentativité pour affaiblir les syndicats existants).
Le « projet syndical » du RN a un arrière-gout d’années 40
Au fond, c’est le même projet, en 1940 comme aujourd’hui, avec ces inflexions propres au caractère de l’histoire qui « ne se répète pas » : en tant qu’auto-organisation des travailleurs et travailleuses qui refusent de se ranger benoîtement derrière le chef désigné, les syndicats doivent être reconnus dans leur légitimité à porter de façon complètement autonome la parole salariée avec les moyens qu’ils choisissent de se donner, dans le cadre d’un État de droit. Leur nier cette capacité, c’est nier le principe même de leur existence.
Aujourd’hui, c’est au nom de cette incompatibilité que la plupart des organisations syndicales excluent les membres qui figurent sur une liste RN ; c’est au nom de ces principes qu’elles peuvent aller jusqu’à la consigne de vote selon des modalités diverses. Cela ne signifie pas que le syndicalisme est immunisé contre l’extrême droite – les enquêtes d’opinion montrer que les adhérent·es à leurs idées progressent au sein des syndicats –, mais ces luttes, au sommet comme à la base, démontrent à quel point les syndicats ne transigent pas, dans les actes comme dans les idées. Tous n’en peuvent pas dire autant.
Claude Roccati, historienne
[1] Voir la déclaration de l’intersyndicale qui s’est réunie le 10 juin au siège de la CGT : « Après le choc des européennes les exigences sociales doivent être entendues » d’Elena Gianini Belotti.
[2] Les interventions de cette journées sont disponibles sur sur le site de la CGT, dans l’article « Débat des syndicats européens : ensemble contre l’extrême droite ! »
[3] Louis Aliot : « Les syndicats sont les croque-morts du monde économique et du travail […] ils ne servent à rien », BFM TV, 25 août 2022.
[4] Voir « Février 1934 : De la tentative réactionnaire de coup d’État au sursaut antifasciste », Alternative libertaire, février 2024.
[5] René Mouriaux, La CGT, Seuil, 1982, p. 69-72. Voir aussi Georges Pruvost et Pierre Roger, Unissez-vous ! L’histoire inachevée de l’unité syndicale, Éditions de l’atelier, 1995, p. 95-117.
[6] « Manifeste des Douze »
[7] Motion adoptée au congrès de septembre 1945, voir Gérard Adam,La CFTC 1940-1958. Histoire politique et idéologique, Armand Colin, 1964, p. 103.
Syndicalistes, donc antifascistes : Le syndicalisme français face à l'extrême droite, une affaire d'histoire et de principes – UCL - Union communiste libertaire
La lutte contre l'extrême droite n'est pas seulement une affaire électorale, elle se joue également au niveau syndical. Les prises de position de plusieurs centrales syndicales contre le…UCL - Union communiste libertaire
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25 avril 1945, l’Italie se libère des fascistes
En Italie, le 25 avril commémore la « Festa della Liberazione » en mémoire de ce jour de 1945, où Milan, capitale de la Résistance, fut reprise par les partisans et libérée du joug nazi-fasciste. Retour sur le contexte qui a vu naître les groupes résistants qui ont combattu Mussolini.
Le contexte d’après-guerre et de crise en Italie crée des conditions propices à la naissance du fascisme. Mussolini instaure un régime dictatorial dès 1925. En 1940, l’Italie est l’alliée de l’Allemagne dans la seconde guerre mondiale. Elle mène une « guerre parallèle » ponctuée d’échecs.
Au printemps 1943, une guerre civile sanglante débute. D’un côté, les milices du régime fasciste, aidées des SS et de la Gestapo, de l’autre les groupes de partisans communistes et antifascistes.
Après la défaite des armées italo-allemandes en Tunisie et le débarquement des Alliés en Sicile, le roi, l’ancienne classe dirigeante et les dirigeants fascistes modérés entraînent la destitution et l’arrestation de Mussolini le 25 juillet. Il nomme Badoglio au poste de président du Conseil des ministres. L’armistice est conclue le 3 septembre entre le gouvernement du royaume d’Italie et les forces alliées. Le 13 octobre, le royaume d’Italie déclare la guerre à l’Allemagne.
Parallèlement, libéré par les allemands, Mussolini fonde un nouvel État fasciste fantoche au Nord de la péninsule en septembre : la République sociale italienne (RSI). L’Italie est coupée en deux, envahie et contrôlée par les allemands au Nord et au centre, et prise par les alliés au Sud.
De la résistance partisane à la libération
Naples se soulève la première, fin septembre 1943. C’est la seule grande ville à se libérer grâce à un soulèvement populaire, sans l’aide des Alliés.
Un mouvement partisan naît et se développe dans tout le pays, formant des groupes partisans de tailles et de tendances politiques diverses. Le Comité de libération nationale (CLN) est créé le 9 septembre 1943 par une coalition de plusieurs partis politiques. Se créent jusqu’à fin 1944 dans les territoires libérés du Nord de nombreuses Républiques partisanes éphémères, reprises par les allemands et réintégrées à la RSI.
Le 19 avril 1945, le CLN appelle à l’insurrection pour amener les forces nazies et fascistes à « se rendre ou périr ». Les partisanes et partisans d’Italie ainsi que les troupes alliées libèrent Bologne le 21 avril, Parme et Reggio Emilia le 24, Milan, Turin et Gênes le 25. Ce 25 avril, alors qu’il tente de fuir, Mussolini est arrêté et exécuté avec sa maîtresse Clara Petacci.
Depuis le gouvernement Berlusconi en 1994, des députés de droite proposent régulièrement la suppression de la fête du 25 avril. Berlusconi a lui-même refusé en 2004 de participer aux cérémonies officielles commémorant la libération du pays.
La résistance contre le fascisme est toujours d’actualité. Plus qu’une simple célébration institutionnelle, ce jour du 25 avril doit nous rappeler l’importance de la lutte contre les violences de l’État, du patriarcat et du capitalisme. Nous relaierons donc prochainement dans ces pages l’appel de nos camarades italiens d’Alternativa libertaria.
Anne (UCL Fougères)
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Islamophobie dans le foot : le RN & la FFF contre les femmes
Début octobre 2023, après un match de foot de l’équipe féminine du club Chambéry sport 73 durant lequel certaines joueuses portaient le hijab, l’extrême droite s’est déchaînée sur les réseaux sociaux, appelant à la suppression des subventions du club.
Tout part d’une situation banale : dans un club amateur qui ne comportait pas d’équipe féminine, une « bande de copines », comme les décrit le président du club, prennent l’initiative de monter une équipe de football. Elle souhaite naturellement jouer contre d’autres équipes. Certaines portent le hijab, mais ne s’en inquiètent pas, ayant vu que la FIFA en autorisait le port lors des matchs. Tout se passe bien, l’équipe perd d’un honorable 19-0. Tout aurait du en rester là.
Mais quelques jours plus tard, Rémi Garnier, petit fasciste professionnel élu au conseil régional sous l’étiquette Rassemblement national, publie un communiqué s’indignant de la possibilité que des femmes s’habillent librement. Qualifiant ce match de « symbole de l’entrisme islamiste dans le sport », et prétendant défendre la « dignité des femmes », ce petit nazillon de bac à sable étale les obsessions islamophobes du RN et les passions tristes de l’extrême droite dans son communiqué, provoquant une vague de cyberharcèlement du club et des joueuses.
L’attaque s’appuie sur le règlement de la Fédération française de football (FFF), qui interdit le port de « tout signe ou tenue manifestant ostensiblement une appartenance politique, philosophique, religieuse ou syndicale », une règle dont l’application cible en réalité en large majorité les femmes musulmanes. Et une particularité française, qu’il faut relier à la flambée des idées islamophobes ces dernières décennies, et à l’histoire coloniale du pays. Embarquée dans une fièvre islamophobe, la FFF s’illustre ces dernières années sur le sujet : elle a récemment décider d’interdire le port de collants et de casques, sous le prétexte de craindre un « détournement » par des pratiquantes de l’islam [1]. La fédération préconise aussi d’interdire les pause visant à boire et à manger lorsque la rupture du jeune du ramadan survient pendant un match [2].
À Paris, le collectifs Les Hidjabeuses s’est créé en 2020 pour revendiquer le droit des sportives de s’habiller comme elles le souhaite. Elles ont notamment saisi le Conseil d’État au sujet du règlement de la FFF concernant sont règlement sur les signes ostentatoires. Mais celui ci à rejeté leur requête, en allant ainsi à l’encontre des préconisations de son propre rapporteur public, qui préconisé l’abrogation de cette règle [3].
Retour à Chambéry, où les fulminations islamophobes de la FFF pourraient avoir des conséquences funestes. Dans son communiqué, le RN appel en effet à la suppression des subventions du club par le conseil régional, présidé par le très droitier Laurent Wauquiez, prompt à supprimer des financements à tout va. Une menace qui place le club dans une situation périlleuse, ses 220 licencié·es comptant sur cet argent pour permettre au club de fonctionner. Il s’agirait d’une véritable punition collective sous un prétexte profondément raciste. Depuis cette affaire, l’équipe féminine s’est quant à elle retiré des compétitions, préférant continuer de s’entraîner en s’habillant comme elles le souhaitent, quitte à sacrifier leur participation au championnat. Un exemple de plus de l’effet concret des politiques islamophobes qui prétendent défendre les droits de femme : les exclure des espace publics.
Edmond Rösti
[1] « Football : pourquoi la FFF interdit le port des collants et des casques au nom de la laïcité », Le Parisien, 30 avril 2024
[2] « FFF : pourquoi le ramadan est-il tabou dans le football français ? », Radio France, 22 mars 2024
[3] « Interdiction du voile dans les compétitions de football : le Conseil d’Etat juge la réglementation de la FFF « adaptée et proportionnée » », Le Monde, 29 juin 2023
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LGBTIphobie : Le RN face aux femmes et aux minorités de genre
L’extrême droite prétend, aux portes du pouvoir, avoir rompu avec certaines de ses positions traditionnelles : infériorité des femmes et contrôle de leur corps, division naturelle des tâches, complémentarité des sexes, etc. Les discours pour la présidentielle de 2022 afin de récupérer les suffrages des femmes ont dans une certaine mesure fonctionné mais ils se heurtent pourtant à une réalité toute autre. Droit à l’IVG, PMA, transphobie, famille : le RN s’attaque à nos droits, notre autonomie et notre liberté à disposer de notre corps
[15]Si Marine Le Pen ne semble plus remettre en cause le droit à l’IVG, elle poursuit néanmoins ses attaques en refusant régulièrement de faciliter son accès, ou alors en s’accommodant d’alliés qui y sont radicalement opposés. Ses sorties en 2012 sur le déremboursement de l’avortement ou les soi-disant « avortements de confort », son soutien à Viktor Orbán (Hongrie) ou Mateusz Morawiecki (Pologne) sont autant d’exemples qui montrent ce qu’elle ferait une fois au pouvoir. Marine Le Pen se cache derrière des évolutions stratégiques de façade. En 2022, elle s’est par exemple opposée à la loi prévoyant l’allongement des délais de 12 à 14 semaines. Sur la constitutionnalisation du droit à l’IVG, un député RN sur cinq a voté contre et un sénateur sur trois, sans compter leurs nombreuses abstentions.
La politique nataliste défendue par le RN est incompatible avec un accès facilité à l’IVG et à la contraception [2]. Certains passages du livret famille du RN en 2022 sont très instructifs car la natalité y est vue comme la continuité de la nation, et la perpétuation de notre civilisation. Cette vision a des conséquences concrètes sur les projections politiques du RN, notamment du point de vue de nos futures régressions sociales. Ainsi, sur la question des retraites, Bardella disait : « Les bébés de 2023 sont les cotisants de 2043 », et Sébastien Chenu déclarait en 2023 : « Moi, je préfère qu’on fabrique des travailleurs français plutôt qu’on les importe ». Les thèses fémonationalistes ont ainsi le vent en poupe au RN. Elles propulsent la cause des femmes au service du racisme et du nationalisme blanc, en prétendant que les seuls ennemis des femmes seraient les migrant·es du Sud global, les musulman·es, les hommes des quartiers populaires et issus de l’immigration [3].
La haine des personnes LGBTI
Le RN le sait, il ne peut stratégiquement pas s’opposer pour le moment aux droits conquis de longue date et cimentés dans l’opinion publique. Mais sur les droits plus récents, fragiles ou encore à conquérir, leur position est plus claire. Tel est le cas des droits LGBTI : en 2020, des cadres du parti défilaient contre la PMA étendue aux couples de femmes et aux femmes célibataires, et Marine Le Pen elle-même s’y opposait, prétendument pour des « raisons juridiques » [4].L’an dernier, le RN créait une association pour lutter contre le « wokisme », y compris « la propagande LGBT à l’école » [5] Ces positions s’éclaircissent encore à la lumière de leurs alliances internationales. Au Parlement Européen, le RN fait du pied aux partis d’extrême-droite italiens et hongrois, tous deux au pouvoir [6].Or Fratelli d’Italia a commencé l’an dernier à annuler les liens de parenté des femmes ayant eu recours à la PMA [7], et fait désormais rentrer les anti-IVG dans les Plannings Familiaux [8]. Quant au Fidesz, aux positions nationalo-natalistes, il a interdit en 2021 la « promotion » de l’homosexualité en direction des mineur·es hongrois·es [9], via une propagande reprise par Marine Le Pen elle-même, évoquant du « prosélytisme sexuel ».
Surtout, le RN s’attaque désormais farouchement aux droits des personnes trans, et s’aligne ainsi sur la stratégie de « guerre culturelle » qui a fait de la moitié des USA un enfer pour celles-ci. Dans la foulée du dépôt de la loi des Républicains contre les mineurs trans [10], le RN en a déposé une similaire à l’Assemblée Nationale [11]. En séance, le sénateur RN Stéphane Ravier, manifestement à l’aise sur les éléments de propagande du réseau anti-trans, a prétendu que « les mineurs trans n’existent pas », parlant d’un « délire » qui « abatt[rait] toutes les limites anthropologiques » comme la famille [12].
Le refus du RN de nous laisser disposer librement de notre corps s’accompagne de positions anti-sociales, elles aussi par nature anti-féministes. Les syndicats publient des décryptages sur l’imposture sociale de l’extrême droite [13]. Si le RN cherche à consolider une image factice d’empathie avec les femmes les plus précaires, ses positions restent quant à elles limpides. Salaires, retraite, représentation des salariés, service public, emploi, égalité femmes/hommes (contestation de la réalité des inégalités salariales et souhait d’exclure par exemple les interruptions de carrière des critères de mesure), tout est régression. Toutes ces positions anti-féministes et anti-sociales du RN font de lui le parti le plus perméable aux thèses masculinistes [14].
Anne (UCL Montpellier) et Chloé (UCL Grenoble)
[1] Voir la tribune paru le 23 mai 2024 : « Le RN est l’ennemi des femmes ».
[2] Mediapart : « La natalité, une obsession de l’extrême droite ».
[3] Revue Contretemps : « Un racisme au nom des femmes » et le livre « Les nouvelles femmes de droite » de Magali Della Sudda.
[4] Robin D’Angelo, « Le Rassemblement national défile contre la PMA pour toutes », lejdd.fr, 19 janvier 2020.
[5] AFP, « Des élus RN créent une association pour lutter contre le « poison du wokisme » », Ouest-France, 12 avril 2023.
[6] Youmni Kezzouf Lamant Ludovic, « Européennes:le RN relance le mercato des alliances à l’extrême droite », Mediapart, 23 mai 2024.
[7] Sandra Favier, « En Italie, la guerre du gouvernement de Giorgia Meloni contre les familles homoparentales se concrétise », Le Monde, 25 juillet 2023.
[8] Cécile Debarge, « L’Italie de Meloni ouvre les centres de consultation familiale aux anti- avortements », Mediapart, 3 mai 2024.
[9] Jordane de Faÿ et al., « Culture : quand l’extrême droite est au pouvoir », Mediapart, 7 juin 2024
[10] « Offensive transphobe au Sénat : Rapports spécieux pour une loi abjecte », Alternative libertaire, mai 2024.
[11] Texte n°2504 déposé le 11 avril 2024
[12] Compte-rendu intégral de la séance publique du 28 mai 2024 au Sénat
[13] CGT, 9 juin 2024 « 10 points sur lesquels l’extrême droite relève de l’imposture sociale ». Solidaires, 12 juin 2024, « Le rassemblement national : un parti contre le service public et ses agent·es ! ».
[14] Le Monde du 12 avril 2024 intitulé « L’inquiétant regain du masculinisme, cette pensée réactionnaire aux origines millénaires ».
[15] Voir la tribune paru le 23 mai 2024 : « Le RN est l’ennemi des femmes ».
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Scandale sanitaire : Chlordécone aux Antilles, la nécessité d’une écologie décoloniale
Le chlordécone est un pesticide qui a été utilisé massivement dans les bananeraies martiniquaises et guadeloupéennes jusqu’en 1993. Son utilisation plus longue dans les Antilles qu’en métropole a eu des conséquences sanitaires et environnementales dramatiques pour les populations des îles. La gestion coloniale de ces territoires par l’État français et le modèle agricole hérité de l’époque esclavagiste puis coloniale illustrent les liens irrémédiables entre luttes écologistes et luttes décoloniales.
Le chlordécone est un pesticide toxique, perturbateur endocrinien et neurotoxique utilisé pour lutter contre le charançon du bananier dans les bananeraies antillaises de 1972 à 1993. Alors qu’en France hexagonale l’utilisation du chlordécone a été interdite en 1990, sur les terres antillaises il a pu être employé encore trois années supplémentaires. L’OMS avait pourtant statué en 1979 sur son possible caractère cancérigène et aux États-Unis des accidents graves ont mené à son interdiction dès 1977. Désormais, les terres et les eaux antillaises sont polluées pour encore plusieurs siècles. On estime que plus de 90% des habitants et habitantes sont contaminé⸱es. Cette contamination accroît les risques de retard de développement cognitif pour les nourrissons et fait exploser le nombre de cancers, notamment celui de la prostate : la Martinique en détient le triste record du monde !
L’ère coloniale, un tournant géologique
La culture de bananes en Martinique et Guadeloupe est un exemple d’héritage colonial de la production locale puisqu’elle est destinée à l’exportation vers la métropole, tout comme celle de la canne à sucre. À la période du commerce triangulaire et de la traite des personnes noires mises en esclavage, ces cultures se sont développées pour faire la fortune de la France. Ces plantations marquent le début de l’ère géologique que Malcolm Ferdinand [1] nomme le « Plantationocène ». Il l’oppose à « l’Anthropocène », défini comme l’ère où les activités humaines ont commencé à être les premières forces de la transformation des écosystèmes, mais qui n’inclut pas les périodes esclavagistes puis coloniales comme facteurs majeurs du bouleversement du rapport à la terre et comme début de la diffusion du capitalisme.
Dans son ouvrage Une écologie décoloniale, Malcolm Ferdinand explique que ces plantations ont instauré un « habiter colonial ». Il s’agit, pour le chercheur, d’un rapport qui instaure l’exploitation de la terre à travers la déforestation, l’extraction et la plantation, ainsi que la création de la figure d’un « Autre », jugé inférieur. Cette vision du monde a conduit aux massacres et mises en esclavage des autochtones, ainsi qu’à la soumission des femmes, par les colons européens. Enfin, cet « habiter colonial » instaure la propriété privée et la terre comme marchandise exploitable, rendant les territoires colonisés dépendants à une métropole coloniale pour l’importation et l’exportation.
Plus de 90 % de la population locale
Ce schéma de dépendance s’observe encore aujourd’hui dans les Antilles sur les territoires toujours colonisés et dans les anciennes colonies encore sous influence impérialiste de la France et son commerce. Au quotidien, cela se traduit par des frais d’importation élevés pour les biens de première nécessité. Cela se fait au détriment de la mise en place d’une souveraineté alimentaire et maintient dans la misère la population avec un marché du travail tourné sur l’exportation de matières premières. C’est le marché français qui est privilégié prioritairement pour les échanges et non les partenaires économiques plus proches géographiquement.
En février 2024, une proposition de loi qui reconnaît la responsabilité de l’État français dans l’utilisation du chlordécone ainsi que ses dégâts sanitaires en Guadeloupe et en Martinique a été adoptée par les député⸱es. Mais ce texte est jugé insuffisant par les antillaises et antillais, notamment parce qu’il n’engage que l’État et non les principaux pollueurs, c’est-à-dire les entreprises, tandis que les indemnisations se font toujours attendre. Le procès en appel contre l’ordonnance de non-lieu rendu par la justice française début 2023 aurait dû se tenir le 10 juin. Il sera finalement reporté le 22 octobre 2024, sur un dossier ouvert depuis 2008.
Les personnes vivant dans les territoires dits « d’outre-mer » continuent d’être traitées comme des sous-citoyens et sous-citoyennes : leurs droits sont réduits, les répressions de l’État français sont violentes, des situations d’exception sont banalisées (on peut citer la pénurie d’eau durable que connaît la Guadeloupe), et la contamination de milliers de personnes se fait dans l’indifférence du reste de la société française.
Les capitalistes doivent payer
À cause de cette contamination, les cultures vivrières et la pêche ont été restreintes alors qu’elles sont essentielles à la population, tandis que la culture de la banane, plus résistante n’a pas été affectée et permet même d’en tirer un bénéfice économique. À côté de cela, le coût de la vie déjà bien plus élevé qu’en France ne va pas en s’arrangeant.
Les békés, directs descendants de propriétaires d’esclaves et aujourd’hui propriétaires des bananeraies continuent d’avoir un pouvoir immense sur les îles. Environ 1 actif sur 20 travaille dans la « filière Banane ». Ce sont eux qui sont à l’origine de la dérogation du ministère de l’agriculture en 1990 qui a prolongé l’utilisation du chlordécone : ils sont donc directement à l’origine de l’empoisonnement des terres, des animaux et de la population.
Le commerce triangulaire et la traite des esclaves ont contribué à la diffusion du capitalisme au niveau mondial dans les pays colonisés. En rendant possible l’accumulation primitive du capital [2] , c’est-à-dire des ressources, c’est la colonisation qui a permis la révolution industrielle dans les métropoles coloniales telles que la France ou le Royaume-Uni. Les modes de production sous le capitalisme créent un rapport extractiviste à la terre qui ne peut mener qu’à la destruction des écosystèmes et au désastre écologique que nous connaissons aujourd’hui.
Le capitalisme repose sur une inégalité dans les échanges économiques au niveau international et fonctionne main dans la main avec l’impérialisme. En économie, c’est ce que l’on appelle la nouvelle division internationale du travail : les pays et territoires, par le libéralisme, se spécialisent dans un type de production, ce qui rend la valeur des échanges inégale puisque les pays les plus riches se concentreront sur des productions à haute valeur ajoutée, tandis que les pays sous influence occidentale sont contraints de leur fournir les matières premières. Les figures révolutionnaires africaines, de Lumumba à Sankara ou encore Cabral, l’avaient bien compris, liant lutte contre le nécolonialisme et lutte pour l’indépendance. Frantz Fanon, quant à lui, a étudié le rôle d’intermédiaires des intérêts des capitalistes occidentaux que jouent les bourgeoisies locales des pays colonisés.
Penser une écologie décoloniale
Ce rapport colonial à la santé et à la terre est le même qui a organisé les essais nucléaires en Polynésie Française et qui a stérilisé les femmes, à La Réunion entre 1960 et 1970, ou encore dans sa version états-unienne, à Porto Rico. Bien sûr, il nécrose aussi les pays au centre du capitalisme, mais bien moins durement et encore une fois inégalement. En France hexagonale, le terme de « justice environnementale » se diffuse. Il dénonce le manque de considération par nos politiques des effets du dérèglement climatique par les populations vivant dans les quartiers populaires ou encore les personnes assimilées à la catégorie de « Gens du Voyage » qui en sont les premières victimes [3].
L’écologie décoloniale nous amène à repenser la place de notre État dans la division internationale du travail : si l’usine polluante n’est plus sur notre sol c’est qu’un autre pays en paye le prix pour des salaires de misère et des normes environnementales et un droit du travail au rabais ; si notre énergie nucléaire existe sur le sol métropolitain, elle implique une ingérence de notre État et de notre armée au Niger pour l’approvisionnement en uranium. Un certain nombre de guerres se déroulent pour l’accès aux matières premières comme c’est le cas au Congo. Une écologie au niveau international ne se fera pas sans une rupture de la Françafrique et la fin du pillage des ressources et de l’appropriation des corps des hommes et des femmes sous le modèle capitaliste.
Il y a une nécessité de décentrer et de politiser la lutte écologiste pour joindre nos forces aux collectifs et aux peuples luttant déjà contre notre impérialisme, pour une lutte écologiste internationale, anticapitaliste et décoloniale. Les ponts entre ces luttes existent déjà, il ne reste plus qu’à les soutenir et les emprunter : le capitalisme doit se combattre, car main dans la main avec le colonialisme il détruit les terres et exploite nos corps. Le prochain procès dans le cadre du non-lieu rendu par la justice française sur le scandale du chlordécone aura lieu le 22 octobre prochain, à Paris.
Louna (UCL Lyon)
[1] Malcolm Ferdinand est chercheur en sciences politiques et ingénieur en environnement. Il a notamment publié l’ouvrage Une écologie décoloniale, en 2019 aux éditions du Seuil.
[2] On entend par là l’accumulation du capital (ressources, terres, outils et autres moyens de production) avant le développement du capitalisme.
[3] Voir par exemple le travail de William Acker sur le racisme environnemental des personnes vivant sur les aires d’accueil (Où sont les « gens du voyage » ? Inventaire critique des aires d’accueil, publié en 2021 aux éditions du Commun), ainsi que le travail du collectif Banlieue climat.
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Football : Carton rouge… et noir ?
La question du sport comme outil d’aliénation ou d’émancipation est entrée dans nombre de foyers lors de la Coupe du monde de football organisée par la FIFA au Qatar fin 2022. Et ce sont plutôt les aspects critiques qui ont prédominé dans les débats, autour de la question du respect des droits humains et des enjeux environnementaux. Un point sur le football pris dans une réflexion plus ample sur ses implications sociales semble donc nécessaire.
Le football n’est pas un objet qui flotte hors de la société qui l’a engendré. Il est une réalité multiforme qui touche à des degrés divers : pratiquant·es, fans, organisateur·ices et financeurs eux-mêmes le façonnent, tel un prisme dont ne regarder qu’une seule facette relèverait de la mauvaise foi. Se limiter à dénoncer l’hégémonie d’un football-spectacle devenu une marchandise ne visant que le profit serait aussi réducteur et partiel que de n’en louer que les débuts dans le monde ouvrier et sa place dans la culture populaire.
Remettre les valeurs sociales au cœur du sport
Le football a pris ces dernières décennies l’apparence d’un produit dont le commerce génère des milliards de chiffre d’affaires, aberrants au regard des urgences sociales, économiques et environnementales. Il est devenu l’archétype du sport-business et d’un monde où le spectacle remplace la participation effective pour cantonner les citoyen·nes au rang de simples consommateur·ices. En ce sens il ne nous ressemble plus et se transforme en un divertissement stérile voire nuisible pour le maintien de valeurs vivantes telles que la solidarité, le partage, l’équité, le plaisir de l’effort ou de sa mise en commun. Cependant, ne se résume-t-il qu’à ça ? Non. Il suffit de se pencher en détail sur ce qui compose cet « écosystème football » mondial pour se rendre compte que des facettes bien plus intéressantes existent et méritent d’être regardées de près.
En premier lieu, évoquons la réalité militante du club professionnel du quartier rouge de Hambourg, le FC Sankt Pauli, fraîchement promu en Bundesliga, la « Ligue 1 » allemande. Celui-ci est souvent présenté comme l’archétype d’une forme de résistance au foot-business. Une résistance qui se joue à l’intérieur même du système contre lequel le club s’est érigé depuis le milieu des années 1980 lorsque le mouvement des occupations d’immeubles vacants battait son plein dans la ville hanséatique. Depuis, les supporter·ices, majoritairement issu·es des mouvements sociaux locaux, ont investi les tribunes mais aussi (et c’est là que réside l’exemplarité) les instances du club, et se sont organisés autour de mots d’ordre et de principes forts et qui dénotent dans le paysage du sport-business : antisexisme, antihomophobie, antifascisme, solidarité internationale, engagement social local, modèle de développement économique soutenable...
Des îlots de résistance face au foot capitaliste
Tout cela se manifeste au jour le jour par les décisions constantes d’une « scène des fans » hautement responsabilisée et pleinement consciente des luttes à mener, l’équipe de football professionnelle du club servant principalement de vitrine à celles-ci. Il est difficile de lister les engagements du club tant les axes et les modes de mise en œuvre sont variés : du soutien à un centre de soins palliatifs pour malades du VIH à la création de puits autonomes dans des régions du monde où l’accès à l’eau est déficient, le FC St. Pauli tente de concilier le fait d’être un îlot de résistance et celui de participer malgré tout à un « système » qui ne valorise guère ce genre de prises de position.
Il est cependant à relever l’absence totale de solidarité du FC St. Pauli envers les Gazaoui·es victimes des exactions de l’armée israélienne qui ont suivi les attaques barbares du Hamas le 7 octobre dernier. Au contraire, c’est une position très pro-israélienne qui a été exprimée par la voix des Ultras Sankt Pauli et d’autres groupes de supporters [1]. Le tout au grand dam des fanclubs internationaux dont un certain nombre ont purement et simplement cessé leurs activités en lien avec le club [2]. La faute entre autres à l’influence du courant antideutsch, mouvance en vogue dans la gauche radicale allemande, se réclamant de l’antifascisme tenant des positions radicalement sionistes... par antinationalisme allemand [3].
S’il est facile de trouver dans d’autres pays des tribunes marquées à gauche s’exprimant sous forme de banderoles ou de drapeaux en faveur d’une lutte ou d’une revendication (Rayo Vallecano en Espagne, Red Star en France, West Ham en Angleterre, Livorno en Italie, Beşiktaş en Turquie...), il est beaucoup plus rare de voir les supporter·ices parvenir à modeler la vie de leur club en fonction de leurs engagements. C’est qu’en Allemagne existe une sorte d’exception au fonctionnement habituel qui voit le propriétaire de club et son conseil d’administration décider de tout : ici, les adhérent·es à l’association FC St. Pauli sont sa base démocratique.
Construire un football libertaire
D’autre part, il existe des exemples de résistance au modèle dominant sur de toutes autres échelles. De nombreux clubs plus petits que le FC St. Pauli se battent également pour redonner au football son caractère populaire et sa dimension d’acteur social local à l’instar du CS Lebowski (Florence), de l’Atletico San Lorenzo (Rome), du Ménilmontant FC 1871 (Paris), ou encore du Clapton FC (Londres). Pour chacun d’eux l’enracinement dans la réalité de terrain et le développement d’une culture sportive inclusive sont des fondements indispensables. Ils posent un contrepoint face à la recherche effrénée et délétère de performance que promeut le football professionnel estampillé UEFA ou FIFA. Et si le FC St. Pauli se montre frileux sur la question palestinienne, c’est tout l’inverse du côté du Ménilmontant FC.
Dans les tribunes de ces réalités sportives à mesure humaine, pas de diktats, pas de censure de la solidarité entre les peuples. Les maillots de ces équipes arborent souvent des symboles reliés à l’histoire du camp politique libertaire (comme le Clapton FC et son mythique maillot aux couleurs de la République espagnole). Et surtout, les solidarités s’y organisent de manière concrète avec des actions de soutien aux réfugié·es ou à tout un ensemble de causes que les communistes libertaires appuient de leur côté au niveau de l’UCL ou d’autres organisations. Elles trouvent d’ailleurs là une application dans un champ pratique qui déborde des organisations strictement politiques.
Alors, si le prisme offre des facettes diversement séduisantes, nous avons le choix de poser notre regard là où l’horizon est le plus intéressant. Nous avons la possibilité de chercher autour de nous ces initiatives, ces clubs qui opposent une résistance de fait au modèle hégémonique et gangrené du football professionnel. Ces clubs locaux ont une forte tendance à se multiplier et il se peut même qu’il y en ait un dans votre entourage ayant besoin de joueur·euses, animateur·ices, formateur·ices... C’est donc aux passionné·es du ballon rond de chausser leurs crampons pour appuyer ces réalités et tacler l’idée reçue que ce sport serait définitivement perdu pour celles et ceux qui aiment l’engagement partagé : en d’autres termes, c’est aux libertaires de jouer !
Accattone (UCL Lille)
Pour aller plus loin :
• Éloge de la passe : le sport comme apprentissage des pratiques libertaires, Collectif, Éditions Libertaires, 2012
• Une histoire populaire du football, Mickaël Correia, Éditions La Découverte, 2018
• Le grand footoir, Collectif, Solar Éditions, 2022
• Atlas du football populaire : Europe - Amérique latine, Yann Dey-Helle, Éditions Terres de Feu, 2024
[1] « Derrière le soutien de certains groupes ultras allemands à Israël », Dialectik Football, 19 novembre 2023.
[2] « FC St. Pauli : rupture consommée avec plusieurs fanclubs solidaires des Palestiniens », Dialectik Football, 13 novembre 2023.
[3] « Le phénomène antideutsch : une singularité de la gauche radicale allemande », Anne Joly, La Revue des Livres, juillet-août 2012.
Vous êtes quand même pas nés des dernières pluies pour découvrir la Société du Spectacle de Debord ou Panem et circenses, et même à petite échelle ?
fr.wikipedia.org/wiki/Panem_et…?
Mais alors le green bashiser...
Chapeau bas !
Quand l'Anarchie n'aura que mot d'ordre, le bien de tous et que le bien de tous, alors, peut être, que les individualismes, sources de divisions, comme le sport, et la compétition, disparaîtront !
L'individualisme est l'essence du capitalisme.
Soyons vigilants !
🙏
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Football : Carton rouge… et noir ?
La question du sport comme outil d’aliénation ou d’émancipation est entrée dans nombre de foyers lors de la Coupe du monde de football organisée par la FIFA au Qatar fin 2022. Et ce sont plutôt les aspects critiques qui ont prédominé dans les débats, autour de la question du respect des droits humains et des enjeux environnementaux. Un point sur le football pris dans une réflexion plus ample sur ses implications sociales semble donc nécessaire.
Le football n’est pas un objet qui flotte hors de la société qui l’a engendré. Il est une réalité multiforme qui touche à des degrés divers : pratiquant·es, fans, organisateur·ices et financeurs eux-mêmes le façonnent, tel un prisme dont ne regarder qu’une seule facette relèverait de la mauvaise foi. Se limiter à dénoncer l’hégémonie d’un football-spectacle devenu une marchandise ne visant que le profit serait aussi réducteur et partiel que de n’en louer que les débuts dans le monde ouvrier et sa place dans la culture populaire.
Remettre les valeurs sociales au cœur du sport
Le football a pris ces dernières décennies l’apparence d’un produit dont le commerce génère des milliards de chiffre d’affaires, aberrants au regard des urgences sociales, économiques et environnementales. Il est devenu l’archétype du sport-business et d’un monde où le spectacle remplace la participation effective pour cantonner les citoyen·nes au rang de simples consommateur·ices. En ce sens il ne nous ressemble plus et se transforme en un divertissement stérile voire nuisible pour le maintien de valeurs vivantes telles que la solidarité, le partage, l’équité, le plaisir de l’effort ou de sa mise en commun. Cependant, ne se résume-t-il qu’à ça ? Non. Il suffit de se pencher en détail sur ce qui compose cet « écosystème football » mondial pour se rendre compte que des facettes bien plus intéressantes existent et méritent d’être regardées de près.
En premier lieu, évoquons la réalité militante du club professionnel du quartier rouge de Hambourg, le FC Sankt Pauli, fraîchement promu en Bundesliga, la « Ligue 1 » allemande. Celui-ci est souvent présenté comme l’archétype d’une forme de résistance au foot-business. Une résistance qui se joue à l’intérieur même du système contre lequel le club s’est érigé depuis le milieu des années 1980 lorsque le mouvement des occupations d’immeubles vacants battait son plein dans la ville hanséatique. Depuis, les supporter·ices, majoritairement issu·es des mouvements sociaux locaux, ont investi les tribunes mais aussi (et c’est là que réside l’exemplarité) les instances du club, et se sont organisés autour de mots d’ordre et de principes forts et qui dénotent dans le paysage du sport-business : antisexisme, antihomophobie, antifascisme, solidarité internationale, engagement social local, modèle de développement économique soutenable...
Des îlots de résistance face au foot capitaliste
Tout cela se manifeste au jour le jour par les décisions constantes d’une « scène des fans » hautement responsabilisée et pleinement consciente des luttes à mener, l’équipe de football professionnelle du club servant principalement de vitrine à celles-ci. Il est difficile de lister les engagements du club tant les axes et les modes de mise en œuvre sont variés : du soutien à un centre de soins palliatifs pour malades du VIH à la création de puits autonomes dans des régions du monde où l’accès à l’eau est déficient, le FC St. Pauli tente de concilier le fait d’être un îlot de résistance et celui de participer malgré tout à un « système » qui ne valorise guère ce genre de prises de position.
Il est cependant à relever l’absence totale de solidarité du FC St. Pauli envers les Gazaoui·es victimes des exactions de l’armée israélienne qui ont suivi les attaques barbares du Hamas le 7 octobre dernier. Au contraire, c’est une position très pro-israélienne qui a été exprimée par la voix des Ultras Sankt Pauli et d’autres groupes de supporters [1]. Le tout au grand dam des fanclubs internationaux dont un certain nombre ont purement et simplement cessé leurs activités en lien avec le club [2]. La faute entre autres à l’influence du courant antideutsch, mouvance en vogue dans la gauche radicale allemande, se réclamant de l’antifascisme tenant des positions radicalement sionistes... par antinationalisme allemand [3].
S’il est facile de trouver dans d’autres pays des tribunes marquées à gauche s’exprimant sous forme de banderoles ou de drapeaux en faveur d’une lutte ou d’une revendication (Rayo Vallecano en Espagne, Red Star en France, West Ham en Angleterre, Livorno en Italie, Beşiktaş en Turquie...), il est beaucoup plus rare de voir les supporter·ices parvenir à modeler la vie de leur club en fonction de leurs engagements. C’est qu’en Allemagne existe une sorte d’exception au fonctionnement habituel qui voit le propriétaire de club et son conseil d’administration décider de tout : ici, les adhérent·es à l’association FC St. Pauli sont sa base démocratique.
Construire un football libertaire
D’autre part, il existe des exemples de résistance au modèle dominant sur de toutes autres échelles. De nombreux clubs plus petits que le FC St. Pauli se battent également pour redonner au football son caractère populaire et sa dimension d’acteur social local à l’instar du CS Lebowski (Florence), de l’Atletico San Lorenzo (Rome), du Ménilmontant FC 1871 (Paris), ou encore du Clapton FC (Londres). Pour chacun d’eux l’enracinement dans la réalité de terrain et le développement d’une culture sportive inclusive sont des fondements indispensables. Ils posent un contrepoint face à la recherche effrénée et délétère de performance que promeut le football professionnel estampillé UEFA ou FIFA. Et si le FC St. Pauli se montre frileux sur la question palestinienne, c’est tout l’inverse du côté du Ménilmontant FC.
Dans les tribunes de ces réalités sportives à mesure humaine, pas de diktats, pas de censure de la solidarité entre les peuples. Les maillots de ces équipes arborent souvent des symboles reliés à l’histoire du camp politique libertaire (comme le Clapton FC et son mythique maillot aux couleurs de la République espagnole). Et surtout, les solidarités s’y organisent de manière concrète avec des actions de soutien aux réfugié·es ou à tout un ensemble de causes que les communistes libertaires appuient de leur côté au niveau de l’UCL ou d’autres organisations. Elles trouvent d’ailleurs là une application dans un champ pratique qui déborde des organisations strictement politiques.
Alors, si le prisme offre des facettes diversement séduisantes, nous avons le choix de poser notre regard là où l’horizon est le plus intéressant. Nous avons la possibilité de chercher autour de nous ces initiatives, ces clubs qui opposent une résistance de fait au modèle hégémonique et gangrené du football professionnel. Ces clubs locaux ont une forte tendance à se multiplier et il se peut même qu’il y en ait un dans votre entourage ayant besoin de joueur·euses, animateur·ices, formateur·ices... C’est donc aux passionné·es du ballon rond de chausser leurs crampons pour appuyer ces réalités et tacler l’idée reçue que ce sport serait définitivement perdu pour celles et ceux qui aiment l’engagement partagé : en d’autres termes, c’est aux libertaires de jouer !
Accattone (UCL Lille)
Pour aller plus loin :
• Éloge de la passe : le sport comme apprentissage des pratiques libertaires, Collectif, Éditions Libertaires, 2012
• Une histoire populaire du football, Mickaël Correia, Éditions La Découverte, 2018
• Le grand footoir, Collectif, Solar Éditions, 2022
• Atlas du football populaire : Europe - Amérique latine, Yann Dey-Helle, Éditions Terres de Feu, 2024
[1] « Derrière le soutien de certains groupes ultras allemands à Israël », Dialectik Football, 19 novembre 2023.
[2] « FC St. Pauli : rupture consommée avec plusieurs fanclubs solidaires des Palestiniens », Dialectik Football, 13 novembre 2023.
[3] « Le phénomène antideutsch : une singularité de la gauche radicale allemande », Anne Joly, La Revue des Livres, juillet-août 2012.
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Footballeurs contre la dictature : La « démocratie corinthiane », une utopie footballistique 1981-85
« Ganhar ou perder, mas sempre com democracia » (gagner ou perdre mais toujours avec la démocratie), cette devise du club de football du SC Corinthians résume l’esprit de ce qui aura été pendant quelques années une incarnation sportive de la lutte contre la dictature militaire brésilienne.
Depuis 1964 et le coup d’état du maréchal Castelo Branco, le Brésil vit sous le joug des généraux, mais en ce début des années 1980 la contestation devient de plus en plus forte. La loi d’amnistie du 22 août 1979, prise alors que le Brésil traverse une forte crise économique qui fragilise le régime, et qui met sur le même plan les bourreaux et les victimes – puisqu’elle garantit l’absence de poursuites à la fois contre les policiers ou les militaires tortionnaires et contre les opposant·es engagé·es dans la lutte armée – marque cependant le début de la fin du régime des oligarques militaires. Les mouvements sociaux connaissent un regain de popularité. C’est donc en plein effervescence politique et sociale que naît une expérience footballistique et démocratique aussi brève qu’inédite, la « démocratie Corinthiane ».
L’autogestion dans les vestiaires et sur le terrain
« Les joueurs sont traités comme des esclaves. Le modèle autoritaire est remis en cause dans tout le pays, il doit l’être aussi dans le foot. ». C’est par ses mots qu’Adilson Monteiro, jeune sociologue de 35 ans, ayant fait ses armes militantes dans les mobilisations étudiantes des années 1970 et qui a connu les prisons de la dictature des généraux, inaugure sa prise de fonction au poste de directeur sportif du SC Corinthians, le club le plus populaire de Sao Paulo, en novembre 1981. Adilson Monteiro engage alors une révolution au sein du club : « Dites moi ce qui ne va pas, prenez vos destinées en main, ayez conscience que vous pouvez commander, nous déciderons tous ensemble ». Trois joueurs vont être les fers de lance d’un mouvement qui va profondément marquer le club : Socrates, Wladimir et Casagrande.
La démocratie est de mise dans toutes les décisions concernant le club, répartition des recettes, forme des entraînements, … sont élaborées et discutées collectivement. Socrates raconte : « Nous avons opté pour une solution d’autogestion en choisissant l’un de nos joueurs pour entraîner l’équipe ». Le club est alors vilipendé par la presse mais sur le terrain les résultats sont là, l’équipe ne perd aucun match entre novembre 1981 et juillet 1982 !
Une expérience qui dura quatre ans
La démocratie corinthienne dépasse largement le cadre sportif, c’est un modèle politique et social concret à opposer à la junte militaire. Dans son Histoire populaire du football, Mickaël Correia rappelle que « le SC Corinthians se revendique depuis sa création en 1910 comme le “club du peuple” – en opposition par exemple au plus huppé São Paulo FC –, l’équipe fournit à la société brésilienne un exemple vivant d’une expérience autogestionnaire qui tacle l’ordre établi, jusqu’à se muer en caisse de résonance des aspirations démocratiques de tout un pays » [1]. La victoire des Corinthians face au São Paulo FC en finale du championnat pauliste est une victoire autant sportive que politique, dans les tribunes une banderole géante est déployée, visible par les 80 000 spectateurs et spectatrices du stade mais aussi dans tous les pays par la télévision : « Gagner ou perdre mais toujours en démocratie ». La victoire des Corinthians signe la future défaite des généraux. Elle marque aussi l’apogée de la démocratie corinthienne et le début de la fin.
L’expérience ne durera même pas quatre années mais elle aura marquée profondément les esprits, au Brésil et bien au-delà, montrant qu’il était possible de pratiquer et faire vivre un football dans un cadre socialiste et démocratique, un sport où la victoire compte moins que la manière de le pratiquer et de le faire vivre.
David (UCL Savoies)
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Le foot palestinien dans la résistance
Le football est un champ de la résistance autant symbolique que matériel pour le peuple palestinien, ciment de son unité malgré son éclatement. À ce titre il est attaqué régulièrement par l’état sioniste, en Palestine comme à l’international.
Toute aspiration nationale palestinienne est combattue depuis la création d’Israël : la Palestine n’existe pas ! Dès lors hors de question de voir ses couleurs représentées dans les stades de foot. Pour cela Israël harcèle les équipes locales : le 10 novembre 2012 au cours de l’offensive « pilier de défense », le stade de Gaza est sciemment bombardé et 4 jeunes footballeurs âgés de 6 à 18 ans sont tués. Le 1er janvier 2014 des soldats ouvrent le feu sans sommation sur deux nouvelles recrues de l’équipe nationale palestinienne… de 19 et 17 ans. Ayant reçu des balles dans les pieds, les deux jeunes espoirs ne pourront plus jamais jouer au foot. Les blocus, check-points et barrages empêchent les sportifs de se retrouver pour jouer ensemble, les interdictions de se rendre à l’étranger sont récurrentes, des rencontres sont régulièrement annulées.
L’équipe nationale palestinienne est composée de joueurs cisjordaniens, gazaouis, palestiniens de 48 ou issus de la diaspora. Cet éclatement géographique entraîne de nombreux déplacements et incertitudes comme le confirme l’entraîneur Jamal Mahmoud « je ne sais jamais de quel joueur je vais pouvoir disposer [...] en général je compose trois équipes possibles et à la fin on voit qui on peut emmener » [1].
Des origines multiculturelles
La première fédération palestinienne de football est créée par un immigré juif biélorusse en 1928. Elle regroupe des clubs juifs comme arabes, mais dès les années 1930 les dirigeants juifs sont majoritaires au sein conseil d’administration, à partir de 1934 les clubs arabes n’ont plus leur mot à dire. Pour les coupes du monde de 1934 et de 1938 aucun joueur arabe ne fait partie de la sélection. Les Arabes créent alors leurs propres structures mais elles sont démantelées durant la Grande révolte arabe palestinienne de 1936-1939.
Après 1948 l’État d’Israël va faire mainmise sur les clubs de football des villages arabes d’Israël afin de les contrôler. Rapidement des tensions apparaissent, en 1964 un match entre deux équipes de villages juifs et arabes se termine en affrontements entre joueurs et supporters, le lendemain des centaines d’ouvriers arabes se mettent en grève. Deux mois plus tard l’Hapoël Bnei Nazareth, première formation arabe remarquée au sein du championnat israélien, célèbre son ascension en deuxième division en écrasant 8-0 l’équipe juive de Kiryat Shmona. En réaction Israël dissout la même année un réseau d’équipe de football qui tentent de former un embryon de championnat arabe entre plusieurs villes.
Mais nombre de joueurs arabes israéliens, excédés par le racisme des ligues israéliennes, sont attirés par les clubs nouvellement créés de Cisjordanie.
Carton rouge au racisme israélien
La fondation d’une ligue palestinienne est actée après les accords d’Oslo. La fédération palestinienne de foot est intégrée à la FIFA en 1998, devenant la première organisation internationale à reconnaître la Palestine comme état indépendant. Le 26 octobre 2006 se tient un match entre « les lions de Canaan » (nom de la première équipe arabe fondée en 1947) et l’équipe jordanienne. La rencontre se solde par un match nul, mais peu importe le résultat, l’important est ailleurs comme le dit le footballeur Murad Ismail Said : « une équipe qui vient jouer sur nos terres c’est une façon de reconnaître l’état palestinien » [2]. Trois jours plus tard ce sera au tour de l’équipe féminine palestinienne de se confronter à son premier match international à domicile toujours face à la Jordanie.
En termes de solidarité internationale, le football est également un espace de combat avec le boycott sportif mené par la campagne BDS. Concernant le foot, sera créé la campagne « carton rouge au racisme israélien » [3] rappelant que la Fifa avait suspendu l’Afrique du sud pendant 30 ans.
En 2016 la fédération palestinienne appuyée par une soixantaine de député·es européen·nes proteste auprès de l’instance contre 6 clubs de football installés dans les colonies. La FIFA se mue alors en arène politique pour la cause palestinienne. Le football est aussi un terrain d’inventivité de la résistance symbolique de la population. En 2010, les gazaoui·es lancent leur propre coupe du monde, la Gaza world cup avec pour mot d’ordre : « si tu ne peux pas aller en Afrique du sud, le mondial viendra à toi » [5]. Durant deux semaines, seize équipes de la bande de Gaza dont 14 clubs professionnels se rebaptiseront de plusieurs noms de pays. « Nous voulons attirer l’attention du monde sur notre isolement et montrer qu’il y a une vie ici » affirme alors Tamer Qarmout, l’un des organisateurs de cet événement [6]. La finale opposera la « France » à la « Jordanie » dans le stade Yarmouk de Gaza, retransmis sur Al Jazeera, les vainqueurs recevrons un trophée réalisé par des artisans locaux à partir du métal retrouvé sur les bombardements israéliens. Pour conclure avec Mahmoud Darwich, « nous serons un peuple lorsque le palestinien ne se souviendra de son drapeau que sur les stades » [7].
La FIFA reconnaît la Palestine
Le 23 juillet 2009, Mahmoud Sarsak, footballeur palestinien du camp de réfugié·es de Balata, est arrêté alors qu’il se rendait à son nouveau club, il est incarcéré 3 ans sans jugements ni inculpation. Il fait une grève de la faim de 92 jours pour être libéré mais sa carrière est brisée en raison des séquelles de l’internement et des tortures. Une pétition est alors lancée et signée entre autre par Eric Cantona qui, dans une lettre, enjoindra à Michel Platini, alors président de l’UEFA à se positionner « il est temps de mettre fin à l’immunité d’Israël et d’insister sur les mêmes critères d’égalité et de respect de la législation internationale que nous exigeons des États » [4]. L’ex-buteur de Manchester United s’opposera également à la tenue de la coupe européenne de football des moins de 21 ans en Israël en 2013. En 2010, Michel Platini menacera bien Israël de ne plus faire partie de l’UEFA pour toutes ses exactions, mais de la parole aux actes...
Nicolas Pasadena (UCL Montreuil)
PAS DE GÉNOCIDAIRE AUX JEUX OLYMPIQUES !
Israël se sert du sport pour se promouvoir et se blanchir, avec notamment sa participation régulière ces dernières années au Tour de France sous la marque « Israël startup nation » (alors qu’Israël ne possède aucune fédération nationale de cyclisme !). La campagne BDS France a ainsi régulièrement ciblé le tour de France ces dernières années pour dénoncer cette participation. Alors que la grande « fête » des Jeux olympiques se déroulera pendant qu’on continue à mourir à Gaza, la campagne BDS espère bien s’inviter et perturber quelque peu les réjouissances en dénonçant la participation des équipes israéliennes, réclamant que l’état colonial endosse la même sanction que la Russie, exclue des Jeux olympiques pour son invasion de l’Ukraine.
[1] Mickaël Correia, Une histoire populaire du football, La Découverte, 2018.
[2] Idem.
[3] « On peut pas s’en foot », brochure BDS, 2014.
[4] Idem.
[5] Mickaël Correia, op. cit.
[6] Idem.
[7] Mahmoud DARWICH, La Trace du papillon – Pages d’un journal (été 2006-été 2007), Actes Sud, Arles, 2009.
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Roller derby : Construire un sport féministe et queer
C’est souvent l’aspect spectaculaire du roller derby que l’on retient. Ça va vite, ça se bouscule, les couleurs sont criardes, difficile de suivre au début. Alors, sport ou spectacle ? Est-ce que ces personnes ne s’élancent sur des patins que par amour des tenues voyantes et des jeux de mots ? Ou est-ce que tout cela n’est qu’un prétexte pour étancher leur soif de compétition et de violence ? D’ailleurs est-ce qu’on pourra retrouver ce sport aux JO ?
Au commencement était le roller derby ! On fait parfois remonter les origines de ce sport au début du xxe siècle. Il s’agit là d’une longue tradition de courses d’endurance ou de jeux en patins. C’est au milieu des années 1930 aux États-Unis qu’un homme d’affaires a l’idée de faire concourir des équipes dans des courses.
Dans le contexte de la Grande Dépression, les participant·es affluent et sont désespéré·es d’emporter les prix.
Très vite les équipes se bloquent, créent des stratégies qui sont incorporées au sport. Le tout est filmé et diffusé à la télévision. La vitesse et l’agressivité servent le spectacle. Les actions sont théâtrales et le port de protections ou le respect des règles sont optionnels.
Mais ces jeux finissent par disparaître dans les années 70. Jusque-là, on est bien loin d’un sport engagé et émancipateur.
Des origines capitalistes à un sport féministe et militant
Le roller derby tel que nous le connaissons naît plus tard. Tout commence au début des années 2000 à Austin au Texas. Des femmes et personnes queers s’inspirent de cette tradition de sports en patins pour se l’approprier. Elles créent leurs propres règles, mais avant tout, elles fondent des collectifs. De cette façon, elles investissent un espace qui leur est hostile, celui du sport, qui plus est un sport de glisse et de contact.
Leur pratique reste marginale : comme pour les autres sports féminins, les financements sont rares et faibles, d’autant plus pour une discipline qui ne correspond pas aux codes marketing du sport « féminin ».
Pourtant rien n’y fait, plus qu’une appropriation, un sport est né. Pour cela, elles ont dû écrire leurs propres règles, trouver des lieux pour s’entraîner, développer des stratégies, une vraie organisation qui tend vers l’autogestion et qui repose sur la communication et le soin.
Parmi ces personnes, Shauna Cross écrit un roman sur une jeune athlète en patin : Derby Girl (2007), puis le scénario du film Bliss (Whip It !) réalisé par Drew Barrimore en 2009. L’acteur Elliot Page y joue une jeune femme qui s’émancipe des attentes de féminité de sa mère. C’est l’occasion de découvrir rapidement les règles, mais surtout la camaraderie, l’appropriation du sport par des personnes qui en sont habituellement exclues ou reléguées au rôle de faire valoir, et aussi une esthétique punk et camp.
Après la sortie de ce film, le roller derby fait presque partie de la culture populaire. À partir des années 2010, le roller derby s’implante même en France. Ce sport reste confidentiel et l’épidémie de Covid met à mal les clubs locaux, mais la magie continue.
Abracadacab
Sport basé sur des règles complexes (voir encadré) et demandant un large panel de compétences athlétiques, le roller derby c’est aussi beaucoup plus. D’ailleurs il n’y a pas forcément besoin de patiner pour « faire du derby ». Pour qu’un sport d’équipe, de contact et de vitesse se passe bien, il faut plus que deux équipes.
Il faut d’abord des arbitres, beaucoup d’arbitres ! Des arbitres à rayure sur patins et des arbitres en noir à pied. Dans une approche anti-validiste, chaque volontaire peut trouver sa place et les caractéristiques de chaque joueur·euse sont prises en compte par les arbitres, par exemple pour les personnes malentendantes. Il faut aussi des bénévoles, car chaque aspect de l’organisation d’une rencontre et de la vie d’un club est assuré bénévolement par ses membres.
De part ses origines militantes, le roller derby moderne a rapidement interrogé la séparation genrée de ses équipes. Pensé dès son origine comme un sport féminin, la plupart des équipes de derby sont aujourd’hui en mixité choisie sans hommes cisgenres. L’équipe de France se définit comme une équipe féminine + et intègre plusieurs personnes trans.
Elle n’a pas manqué d’afficher son soutien aux personnes trans dans le contexte de propositions de lois transphobes de ces derniers mois. Les contours de cette mixité choisie restent le fruit de discussions régulières aux seins des équipes avec pour objectif de préserver des espaces où chacun·e peut trouver sa place.
Il s’agit de trouver une identité et de s’exprimer politiquement, ce qui passe aussi par les numéros et les noms de maillots aussi appelés derby names. En plus des numéros 666, ou 404, on retrouve de nombreux 1312 (ACAB) et autre 161 (AFA).
De la même façon, les derby names permettent également de s’exprimer, de s’approprier une identité souvent riche de jeux de mots comme Noh’Passar’Ass et autres Abracadacab. Toujours engagé et dans un souci d’inclusivité le roller derby tolère aussi les hommes cisgenres dans des équipes « All Gender ».
Institutionnaliser mais à quel prix ?
Ce sport demande un investissement collectif et personnel conséquent. En échange, les personnes qui s’y investissent trouvent un espace bienveillant où s’épanouir. Il s’agit d’un espace ouvert pour les personnes qui ont été jusque-là exclues du sport.
Le care [1] et l’écoute active jouent ainsi un rôle central pour créer des liens de solidarité puissants.
Cette tradition à la fois militante et sportive a permis à de nombreuses personnes d’accéder au sport et parfois de le pratiquer à haut niveau, mais aussi de s’investir activement dans la vie de leur équipe et de leur club.
Mais cet investissement peut peser lourdement sur les individus, et dans certains cas un désir de reconnaissance peut se traduire par une volonté d’institutionnaliser la discipline. Ce nouveau contexte peut sembler peu compatible avec l’engagement militant qui caractérise le roller derby : si l’équipe de France peut s’engager pour les personnes trans, c’est parce qu’elle ne relève pas du ministère des Sports.
Pour les personnes qui défendent une institutionnalisation, cela devrait apporter plus de moyens, permettre à des personnes de se professionnaliser et un meilleur accompagnement des joueur·euses.
Il faudrait faire peau neuve, on porterait son nom sur son maillot et un numéro moins fantaisiste par exemple.
Il faudrait sûrement aussi se plier aux règles classiques du sport, c’est-à-dire à une distinction au sein des équipes par le sexe tel que reconnu par l’administration et non par le genre tel qu’autodéterminé par les personnes, une hiérarchie surplombante qui pourrait limiter des pratiques militantes et malheureusement mener à un accompagnement dégradé pour les personnes investies dans ce sport.
On peut aussi rappeler l’état du sport féminin dans d’autres disciplines plus établies, où les pratiquantes commencent à peine à se faire rémunérer sans pour autant vraiment se professionnaliser.
On peut également faire remarquer que le mouvement #MeToo dans le sport n’a pas épargné le roller derby.
Rien d’étonnant quand on considère les violences structurelles dans nos sociétés. En revanche, la réaction a été assez virulente pour entraîner une série de démissions au sommet de la Fédération française de roller et skateboard (FFRS) [2].
Proposer une alternative
Le roller derby reste un espace à défendre ainsi qu’un espace de débat et d’innovation. Ce sport ne cesse d’évoluer et accueille maintenant une nouvelle génération avec la création d’une ligue junior. Cette évolution a mené à de nouvelles pratiques pour protéger ces nouvelles personnes.
Une progressivité dans les contacts en fonction de l’âge et du niveau a ainsi été mise en place et de même des règles pour encadrer les interactions entre des adultes et des mineurs concernant par exemple la séparation des vestiaires.
Les clubs qui souhaitent créer une équipe junior doivent également se mobiliser pour entraîner ces nouvelles recrues, ce qui représente un investissement supplémentaire de temps et d’énergie. Il faut également communiquer avec les parent·es qui bien que de bonne volonté ne sont pas toujours militant·es ni toujours au courant de la dimension politique du roller derby.
De nouvelles personnes arrivent et investissent cet espace, ouvrant ce sport à de nouveaux défis pour se maintenir et garder sa force militante, où les rencontres sont l’occasion d’échanges riches.
Si une manifestation a lieu après un évènement, la solidarité s’organise pour rejoindre le cortège après le dernier match.
L’athlétisme et la stratégie rencontrent dans le derby des valeurs fortes d’entraide, de bienveillance et de care. Il s’agit de se dépasser dans un esprit radicalement fair-play. Mais alors, y aura-t-il du roller derby aux JO 2024 ?
Ce n’est pas au programme, et pour assister à un match il faudra plutôt se déplacer dans un gymnase municipal près de chez vous. Trop compliqué, trop engagé, trop queer, les raisons sont nombreuses et c’est sûrement là l’intérêt de ce sport : proposer une alternative.
Le roller derby, c’est développer ses capacités physiques et son humanité avec radicalité. Avec plus de 4 500 licencié·es en 2024 et plus de 50 ligues en France, ce sport va continuer d’évoluer et qui sait, peut-être que vous aussi vous serez là au match avant la manif !
Angela Merguez
Le Roller Derby, mode d’emploi
Le roller derby comporte de nombreuses règles visant entre autres à rendre la pratique aussi sûre que possible pour les participant·es. On pourrait vraiment prendre des heures pour les détailler, mais on va tenter de se limiter à quelques lignes.
Le derby c’est donc un sport de contact sur patins et en équipe qui se joue sur une piste ovale, le track !
Chaque match est divisé en jams de 2 minutes maximum. Pour chaque jam, quatre bloqueur·euses par équipe sont aligné·es sur le track. Derrière elleux, il y a les deux jameur·euses, toujours une par équipe. C’est ielles qui marquent les points !
Au premier coup de sifflet, les jameur·euses s’élancent. Dès qu’un·e des jameur·euses a passé les bloqueur·euses, il lui faut faire un tour pour commencer à marquer des points.
Chaque bloqueur·euse adverse qu’ielle dépasse lui rapporte alors un point. Un jam a beau être court, l’effort demandé est intense. Heureusement 30 secondes sont prévues pour changer les lignes : les joueur·euses qui étaient sur le track sont relayées par leurs coéquipier·ères !
Pour que tout se passe bien, il y a deux personnes à pieds : la·e line-up, qui organise les lignes, et la·e bench, qui guide la stratégie de son équipe. Après deux mi-temps de 30 minutes, c’est l’équipe qui marque le plus de points qui gagne !
Avec une mi-temps de 15 minutes, cela fait une heure quinze de concentration et d’effort physique parfois brutal. Il faut donc beaucoup d’arbitres sur le terrain pour suivre un grand nombre d’actions très rapides et assurer la sécurité sur le track : jusqu’à 17 arbitres soit 7 en patins et 10 sans patins.
Le travail se fait également en amont par la formation des joueur·euses. Pour participer à un match, le club doit s’assurer que ces personnes ont les savoirs faire et connaissances théoriques de bases nécessaires pour ne pas mettre en danger les autres et ne pas se mettre en danger soi-même, ce qu’on appelle les MS, Minimum Skills.
[1] « Soucis des autres, soin, attention, sollicitude, aucune de ces traductions possibles prises isolément ne rend justice à l’enchevêtrement des pratiques qui, à différents niveaux, permettent de “maintenir, perpétuer, réparer notre « monde », de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible” », Dictionnaire des féministes, sous la direction de Christine Bard, PUF.
[2] « Violences sexuelles : démission du président de la Fédération de roller et skateboard », Le Monde, 6 mars 2020.
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1936 : L’Olimpíada Popular contre les Jeux de Berlin
Prévues du 22 au 26 juillet 1936, dix jours avant l’ouverture des Jeux nazis de Berlin, les Olympiades populaires de Barcelone ne pourront se tenir du fait du coup d’état de Franco. Une partie des sportifs et sportives venu·es sur place restera cependant et prendra les armes pour défendre la démocratie espagnole contre les forces réactionnaires et fascistes. Si ces premiers Jeux antifascistes ne purent avoir lieu, ils restent une marque de la résistance en acte de sportives et sportifs attaché·es à promouvoir par le sport, un modèle de société émancipateur et démocratique.
Face à des Jeux olympiques devant se dérouler à Berlin, capitale du IIIe Reich, et servir de vitrine à la propagande nazie, un mouvement mondial de boycott inédit s’organise, le premier dans l’histoire des Jeux olympiques. L’attribution des Jeux en 1931 à Berlin plutôt qu’à Barcelone a tenu en partie à ce que Pierre de Coubertin et certains caciques du CIO étaient « effrayés » par la jeune République espagnole… et l’avènement d’Hitler en 1933 ne les a visiblement pas dérangés plus que ça.
Aux États-Unis et en Europe des manifestations s’organisent rassemblant plusieurs centaines de milliers de personnes, des pétitions sont lancées, l’une d’elle est signée par plus de 500 000 personnes ! Un mouvement populaire antifasciste est en marche. L’Internationale rouge sportive (IRS, organisation auxiliaire du Komintern appelée également « Sportintern ») crée à Paris un Comité international pour le respect de l’idée olympique. De son côté la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), née de la réunion fin 1934, justement sous l’égide de la lutte antifasciste, des fédérations sportives socialiste et communiste, lance le slogan : « Pas un sou, pas un homme pour les JO de Berlin ! ». Si à l’image du journal Sport nombreux sont celles et ceux qui demandent « le transfert des Jeux dans un autre pays », le CIO reste droit dans ses bottes. Pire il attribue les Jeux d’hiver de 1936, à Garmisch-Partenkirchen, en Bavière… six mois après l’accession au pouvoir d’Hitler !
La campagne de boycott, réactivée en 1935, ne parvient toutefois pas à convaincre les fédérations des différents pays de ne pas aller à Berlin. En avril 1936 une Conférence internationale pour le respect de l’idée olympique se tient à Paris prend acte de l’échec du boycott et propose un autre plan, l’IRS projette en effet la tenue de « jeux sportifs populaires » dans plusieurs pays en forme de manifestations populaires antifascistes contre « l’Olympiade hitlérienne » de Berlin. L’idée d’une alternative aux Jeux olympiques n’est pas nouvelle, l’IRS a déjà organisé des Olympiades communistes alternatives aux Jeux olympiques, les Spartakiades, dont la première édition s’est tenue à Moscou en 1928.
Après la victoire du Frente Popular aux élections législatives de janvier 1936, l’IRS donne dès février la consigne à sa section espagnole, la Federación cultural y deportiva obrera (FCDO), de « prendre les dispositions pour organiser des jeux populaires espagnols en été de cette année, au moment de l’Olympiade hitlérienne de Berlin ». Issus principalement des fédérations sportives ouvrières, on estime que 6000 athlètes appartenant à 22 pays devaient participer à ces Olympiades populaires.
La cérémonie d’ouverture prévue pour le 19 juillet, devait voir défiler des équipes représentant à la fois des États-nations et des nations sans États aux côtés des juif·ves qui avaient fui l’Europe et des peuples colonisés d’Afrique du Nord. Tout un symbole internationaliste qui ne verra pas le jour. Le soulèvement nationaliste des 17 et 18 juillet prélude de la Guerre civile espagnole empêchera les Olympiades de se tenir. Une partie des athlètes prendront les armes et iront sur les barricades avec les frères et sœurs catalan·es, un athlète français en est mort, première victime internationaliste du conflit. Les troupes militaires repoussées, on dit que les athlètes ont défilé dans les rues en chantant L’Internationale dans toutes les langues.
David (UCL Savoies)
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Tournetourne664
in reply to Union Communiste Libertaire 37 • • •Je suis heureux d'apprendre que vous avez su vous entourer. Seul.es et isolé.es, il est beaucoup plus dûr de tenir face à ces administrations (et ces groupes politiques) qui cherchent à tout prix à nous silencier.
Bravo à vous de tenir bon! Vous avez tout mon soutien!
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Tournetourne664
in reply to Union Communiste Libertaire 37 • • •Vous ne devez rien à personne. Ni aux compagnons qui vous ont soutenu, ni aux autres victimes.
Vous avez le droit de quitter la barque, de passer le flambeau. D'autres s'en saisiront sans aucun doute.
Votre vie continue, et elle ne se limitera pas à cet engagement.
Bon courage pour cette nouvelle année scolaire!
Sororalement,
#metoo
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